Au-delà de notre indignation à l’instar de nombreux Burkinabè, il nous est difficile de poser mot plus juste autre que la barbarie sur la vindicte populaire dont a été victime à Ouagadougou une innocente citoyenne le mardi 23 mai 2017. Cependant ne nous méprenons pas à mesurer notre indignation à l’aune de la seule considération de genre qui nous empêcherait de percevoir toute la dimension douloureuse de cet odieux acte profondément ancré en nos sociétés.

La victime est avant tout un être humain et ce crime ne peut être sous-tendu par le fait qu’elle soit une femme. Il nous souvient personnellement d’avoir été témoin d’un cas de lynchage juste pour soupçon de vol d’une chemise sur une corde à linge en 1995 dans cette même ville de Ouagadougou. Aujourd’hui, le seul fait qui a changé est la médiatisation. Pourquoi cette propension à la violence de foule, a-t-elle traversé le temps, aussi bien les temps qui nous semblaient calmes que ceux moins calmes parfois empreints de tempête ?

Nous avons tous, une responsabilité collective qui ne peut hélas être niée. Imputer cela aux soulèvements insurrectionnels qui ont mis fin au régime de Blaise Compaoré, comme il nous est parfois donné de l’entendre, serait non seulement une paresse intellectuelle, mais aussi une grave erreur. Il est impérieux de nous pencher sur les causes réelles avec clairvoyance afin que ce phénomène ne s’amplifie encore plus, car irrigué, nourri par un mal être social de plus en plus profond comme ce qui est en train d’arriver sous d’autres contrées en Afrique en général et Madagascar en particulier où cela prend des proportions insoupçonnées.

En effet, à y voir de plus près, ces phénomènes sont légions et protéiformes, mais le genre est unique et sans équivoque aucune. Que l’on soit accusé de sorcellerie, de voleur, d’avoir commis un infanticide, d’être un pédophile ou un homosexuel, les conséquences sont les mêmes : un lynchage populaire d’une violence extrême allant jusqu’à l’autodafé. Il est même devenu difficile de circonscrire ces faits qui s’observent en effet régulièrement en Côte d’Ivoire, au Burkina, au Burundi, au Gabon, au Sénégal, au Togo, au Nigéria, au Cameroun…

La question légitime qui mérite d’être posée aujourd’hui est pourquoi ? Non pas que la réponse à cette question dédouane cette foule délinquante de son crime, mais nous permettra de mesurer l’ampleur de notre combat collectif. Les comportements sociétaux spontanés ou non ne sont guère que les reflets des rapports qui régissent la société. Le respect de toute chose ne peut être séparé de la conscientisation de ce qui peut être une atteinte à cette chose, Malheureusement même si cela devrait découler de notre caractère humain, c’est le Droit qui nous le rappelle si souvent.

Justement parlons-en du droit. Il n’est efficient que lorsqu’il est accepté de tous. Qu’il soit moderne ou coutumier. Il ne peut y avoir de droit que par la légitimation d’une autorité supérieure dédiée non seulement à le faire respecter mais encline également à agir droitement dès lors qu’il s’agit de question de droit. Et quand cette autorité est dévolue à l’État dans un système institutionnel dans lequel le pouvoir public est lui-même soumis au droit, on parle alors d’un État de droit. Mais voilà que sous nos cieux l’application même du droit est devenue un écrin de frustration, de ressentiment, d’aigreur pour la grande majorité de nos concitoyens susceptibles d’être happés par cette foule délinquante.

Alors, ne pouvant se faire justice soi-même individuellement, on s’adonne via la foule, avec ferveur et sans limite à une justice de fait, une justice non judiciaire dont le dénouement est la condamnation arbitraire du présumé coupable. On est sans conteste en face d’une remise en cause de l’État, du Droit, de la justice pénale si ce n’est leur déni total. En la manière, rien ne peut être excipé à l’endroit des Koglweogo dont les agissements sont du même acabit.

Un autre vecteur de cette frustration, de cette aigreur, est l’acquisition éhontée de richesses par certains, principalement par corruption, par détournement du bien public au détriment de la grande masse en toute impunité. Ce qui entraine parfois des contradictions criantes qui devraient interpeller tous les bien-pensants. En effet comment expliquer qu’un automobiliste qui tombe en panne avec sa grosse 4×4, même en pleine brousse, voit surgir de nulle part tout un essaim de bras valides prêts à lui porter secours sans attendre aucune contrepartie, alors que si jamais par malheur ce même automobiliste était impliqué dans un accident avec un vélo, la probabilité qu’il fût lynché augmenterait avec la gravité des blessures causées et de surcroit s’il y avait perte de vie humaine. En effet dans ce dernier cas, en plus de l’immense peine causée, pour laquelle on est si souvent certain qu’il n’y aurait ni réparation ni condamnation, nonobstant notre inclination à un fatalisme démiurgique, c’est à cette injustice sociale que l’automobiliste est désormais associé.

L’être social est le premier déterminant d’une conscience sociale. Notre développement, dans son sens le plus large ne saurait plus attendre. Au vu de la démographie galopante, la compression inhérente des zones de pâturage nous exposera encore plus à des conflits entre agriculteurs et bergers en transhumance. En effet, hormis un caractère humaniste hors du commun dites-moi ce qui arrêterait le courroux d’une famille qui voit détruit par des bœufs son seul moyen de survie à savoir son champ. On conviendra alors que jamais le pire ne sera loin dans un contexte de lutte permanente pour la survie.

Nous pourrons égrener longuement les cas explosifs pouvant déboucher sur des faits de lynchage, mais cela n’apportera rien de plus au sens de notre écrit. Il y est des consciences collectives que l’on ne peut façonner que lorsque l’État s’honore de toutes ses compétences, que lorsque qu’il crée lui-même l’État, et l’incivisme en fait partie. Les nombreux cas qui découlent de préjugés, d’ignorance ou de croyance nimbée de la religion trouveront sans doute leurs solutions dans une bonne éducation !

Par ailleurs aux côtés de cette foule délinquante se trouve une autre toute aussi irresponsable aux comportements salingues, désireuse uniquement de capter des clichés de ces instants mortifères afin d’alimenter les réseaux sociaux, alors même qu’elle pourrait être poursuivie pour non-assistance à personne en danger. Nous devons désormais tous en prendre la juste mesure au-delà de tout ce que nous pouvons penser au risque de se voir lyncher soi-même un jour suite à un simple cri « Au voleur » …

Sidi M. Ahémine

SIDIBE sidibetche@gmail.com

Source: LeFaso.net