Les projets et programmes font partie intégrantes des outils de développement du Burkina. Mais sont-ils utilisés à bon escient ? Pour Dr Mahamoudou Kiemtoré, docteur en management des projets, « il est impératif pour le pays de se doter d’un outil harmonisé » pour « optimiser la performance des projets pour le bien-être général des populations ». Lisons-le.

A l’image du Plan Marshall financé par les Etats-Unis pour la reconstruction de l’Europe après la Seconde guerre mondiale, des institutions multilatérales et bilatérales mettent à la disposition de pays d’Afrique d’importants moyens financiers pour son développement. Ces financements sous forme de dons ou de prêts se font principalement à travers des projets et programmes de développement.

Toutefois, les résultats escomptés dans la mise en œuvre de ces projets sont largement en-deçà des attentes. Cette situation est consécutive à la pratique de gestion de projet qui peine à se mettre au diapason de l’évolution scientifique, technique et méthodologique mondiale. Cela se traduit, entre autres, sur le terrain par des processus de conception des projets escamotés, la mise en place d’équipes en déphasage des principes techniques et l’absence d’outil harmonisé en matière de gestion de projet.

Les processus de conception de projet ne suivent pas très souvent les règles techniques et scientifiques en la matière. Il est courant d’entendre des experts parler de « montage », « formulation », « écriture » d’un projet dans le contexte burkinabè. Cela se matérialise par l’élaboration des projets par des cadres dans un « laboratoire » avec des données souvent dépassées qui ne répondent plus aux besoins des consommateurs du projet, et dont l’évolution de l’environnement nous échappe. Techniquement et scientifiquement, un projet ne se monte pas, ne se formule pas, ne s’écrit pas ; il se conçoit.

La conception d’un projet est un processus qui obéit à des principes scientifiques, techniques et méthodologiques. Cette étape cruciale dans le cycle de vie d’un projet est, dans la majorité des cas, occultée ou négligée dans beaucoup de cas, soit par manque d’expertise, soit par manque de temps matériel. Cette pratique permet immédiatement de gagner du temps et de l’argent, dit-on, mais à long terme, on en perd 100 fois plus que ce qu’on a sauvé.

La conception escamotée des projets oblige à se concentrer plus sur le suivi-évaluation qu’à la mise en œuvre effective du projet. Le suivi-évaluation qui, scientifiquement, est une activité très secondaire dans le processus de gestion de projet, devient une activité principale dans le processus de déroulement des projets. Ils sont nombreux ceux qui sont experts en suivi-évaluation sans pour autant maîtriser l’environnement global de gestion de projet.

Un médecin peut-il diagnostiquer un malade s’il ne maîtrise pas les principes de fonctionnement du corps humain ? Assurément non ! Un expert en suivi-évaluation de projet doit être, avant tout, celui qui a une maîtrise technique et instrumentale de l’ensemble du cycle de vie d’un projet. Tout comme on passe de médecin généraliste à médecin spécialiste.

Par conséquent, la gestion des projets est toujours perçue comme une pratique « administrative » où chaque individu commis à la tâche essai de mettre en œuvre ses connaissances et ses certitudes. Cette façon de faire est un précédent qui ouvre la voie à l’« à-peu-près » dans la conduite des projets et à la mauvaise performance. Depuis les années 60, la gestion de projet est devenue une discipline scientifique à part entière et des méga-recherches sont conduites pour mettre en place des référentiels, standards, outils, techniques, méthodes en gestion de projet et, partant, améliorer les bonnes pratiques.

Des groupes de chercheurs et des regroupements professionnels se mettent en place pour donner à cette science toute sa plénitude et les résultats sont engrangés sur le terrain. Toutefois, il faut souligner que cette tendance est presque méconnue de la sphère des projets au Burkina Faso.

Aussi, il faut que l’on se sorte de la carte mentale des projets dits « de développement » dont l’objectif est d’aider les « autres ». Le Burkina Faso, à l’instar d’autres pays africains en développement, déroule les projets pour « aider » les populations. Conséquence, les règles et principes élémentaires de performance en gestion de projets sont reléguées au second plan, laissant place à des investissements qui ne répondent pas, le plus souvent, aux besoins des populations cibles.

Du point de vue scientifique et professionnel, tout projet sert à investir dans une communauté, dont le but ultime est d’« habiliter » celles-ci à participer activement à la vie socio-économique du pays et, partant, impulser le développement à la base.

Enfin, l’autre plomb dans l’aile de la performance des projets demeure le volet technique, c’est-à-dire la constitution d’une équipe de projet, qui reste en déphasage avec les bonnes pratiques en la matière. L’ancienneté ou l’expérience est un critère qui prime sur les compétences et l’expertise dans le recrutement des membres de l’équipe des projets.

La suite, les mêmes « anciens » ou « expérimentés » tournent depuis plus de deux décennies dans les projets mis en œuvre notamment par l’Etat et les organismes régionaux et internationaux. Cette pratique entraine la « routinisation » dans le pilotage des projets. Alors qu’au plan technique, un projet doit demeurer un cadre d’expression de la compétence, de la créativité, de l’innovation et de l’imagination. Toute personne qui passe beaucoup d’années successivement dans un projet épuise son contenu progressif et fonctionne en mode routinier.

Contrairement à ce qui se passe dans l’administration publique (où l’ancienneté est un critère primordial), la gestion de projet est un domaine où l’on doit acquérir des compétences techniques pour y exercer, où la capacité à enclencher et à soutenir l’innovation et la créativité est plus importante. En gestion de projet, la maîtrise de l’environnement est primordiale par rapport à la maîtrise du sujet pour une meilleure performance.

Autrement dit, un médecin n’est pas forcément le meilleur gestionnaire de projet en santé, l’agronome n’est pas le meilleur manager de projets agricoles, s’ils n’acquièrent pas au préalable les compétences y afférant.

Tous ces constats sont consécutifs au fait que le Burkina Faso, comme nombre de pays africains, ne dispose pas de référentiel en gestion de projet à l’instar du continent américain avec le Project Management Body of Knowledge (PMBOK®) ; européen avec l’International Project Management Association- Competence Baseline (ICB) 3.0 et le PRojects IN Controlled Environments (PRINCE2), etc. Tous ces référentiels et méthodes offrent l’avantage d’harmoniser la conduite des projets et d’optimiser leurs performances.

En conclusion, il est impératif pour le pays de se doter d’un outil harmonisé en vue d’optimiser la performance des projets pour le bien-être général des populations. A défaut, la probabilité que les grands projets mis en œuvre n’engrangent pas de meilleurs résultats que les précédents.

Mahamoudou Kiemtoré

Docteur en Management de projets

Secrétaire Exécutif

African Project Management Institute (APMI)

Source: LeFaso.net