Le président Roch Marc Christian Kaboré, en s’adressant à la nation le 25 novembre2021, a parlé de changement de paradigme de gouvernance et de gestion de la crise sécuritaire du pays. Depuis ce discours, il consacre son énergie à mettre en œuvre les points de rupture qu’il a relevés. Des changements de tête sont intervenus dans l’armée encore une fois.
Il a demandé des approfondissements sur le rapport d’enquête d’Inata de sorte à situer les responsabilités autant individuelles que collectives. Le changement de visions, d’interprétations, de conceptions est un exercice qui rien que sur les mots feraient bien de baume sur les plaies et les malheurs que nous vivons. Nous essayons d’y contribuer aussi.
Face au conflit qui nous oppose à des ennemis que nous ne connaissons pas, nous n’avons pas osé l’appeler par le nom qui nous fait peur : la guerre. A ce mot terrifiant, qui est ce qui peut nous arriver de pire, le mal absolu, nous avons préféré celui de terrorisme ou de « djihadisme ». Comme si ne pas le dire, l’évitait, le conjurait. Comme si lui accoler le terme de guerre augmenterait notre malheur. Quand on acceptait de parler de guerre enfin c’était encore pour dire que ce n’était pas une vraie guerre, une guerre pas comme les autres, mais une guerre asymétrique.
Nous avions peur de parler de guerre parce qu’elle oppose deux États.
Et que ceux-ci se font la guerre avec un certain formalisme, une déclaration de guerre, un code d’honneur etc. Ici il est vrai, on ne voit pas la trace d’un code d’honneur chez ceux qui nous attaquent, ils n’ont pas donné d’ultimatum avant de s’en prendre à nous, ils ne font pas de différence entre civils et militaires et n’ont pas de pitié pour les femmes et les enfants. Les groupes armés qui nous attaquent ont une certaine connaissance de l’art de la guerre, de la guérilla, puisqu’ils nous font une guerre de mouvement frappant ici aujourd’hui et là demain. Aujourd’hui au Soum, demain à l’est après demain au centre-nord…
S’ils ne respectent pas les lois de la guerre, cela ne fait pas d’eux de doux pacifiques, ils sont en guerre et font « une affirmation par la force » comme le dit Cicéron. Que disent-ils, que revendiquent-ils ? Que proposent-ils ? Ils parlent peu et les discours tendant à se présenter comme des représentants de l’islam est un faux ami qui cachent leurs intentions vénales.
Ceux qui nous attaquent sont dans leur tête un État, ils en ont la prétention et le désir de l’être face aux États sahéliens en faillite qui sont en train de perdre leur statut.
Même s’ils ne sont pas des entités étatiques, les groupes armés, auxquels nous avons à faire veulent créer des États, c’est un objectif que Daech affiche et sa succursale dans notre région s’appelle l’État islamique au Sahel et au grand Sahara. Son concurrent le GSIM,(Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) une franchise de Al Qaéda composée de plusieurs groupes aux prétentions territoriales diverses veut aussi conquérir le Macina, le Djelgoji, le Liptako Gourma, l’Azawad …
Même si nous n’avons pas à faire à des États, nous sommes confrontés à des embryons d’Etat qui nous font la guerre, nous disputent notre territoire et ses richesses et essaient d’administrer les zones que nous perdons selon leurs lois qu’ils imposent aux populations.
On l’a vu les zones d’orpaillage et d’exploitation minière ont été des zones des attaques les plus meurtrières : Bongou, Solham, Inata…
C’est une guerre de prédation, d’accaparement des richesses de notre sous-sol particulièrement de l’or. Les autorités burkinabè reconnaissent que la quantité d’or extraite par orpaillage et les mines artisanales représente plus du double de celle des mines modernes. En 2014, le Burkina Faso était le 19e producteur mondial d’or avec 38,9 tonnes produites soit 1,24% de la production mondiale. En 2017, nous avons produit 46,4 tonnes et nous étions au sixième rang africain. Le double de cette production est dans une zone grise et est captée par les trafiquants associés ou non aux groupes armés.
Cet or, cette richesse est source de convoitise de sociétés criminelles et d’États qui ne s’embarrassent pas de légalité et de justice sur les sources de provenance et les moyens par lesquels ses biens ont été obtenus. Les groupes armés qui contrôlent ces sites prélèvent des taxes, achètent l’or au prix fixé par eux et l’exportent du pays. Les pays par lesquels cet or transite pour être vendu, et ceux qui l’achètent sont des pays qui nous agressent et sont en guerre contre nous de fait. Un changement de paradigme voudrait qu’on le leur fasse comprendre sans ambages.
Développer un soft power
Le changement de paradigme voudrait que l’on réfléchisse sérieusement sur les moyens de recouvrer la souveraineté sur les richesses de notre sous-sol. Clausewitz dit que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Il faut que nous ayons à l’esprit que les compagnies multinationales et certains États veulent obtenir et exploiter les richesses sans rien céder aux États et aux populations locales et la guerre est le moyen le plus sûr pour eux d’arriver à leurs fins.
Voyez le scandale géologique qu’est la République démocratique du Congo et le pullulement de groupes armés qu’elle connaît, cette insécurité n’empêche pas l’exploitation des richesses du pays.
C’est ce modèle qu’ils veulent imposer aux États sahéliens. Faire le chaos dans nos pays où des groupes armés se partagent le territoire et la prédation des richesses. Rendre impossible toute possibilité de dialogue et d’union pour défendre la patrie au niveau des forces politiques qui vont aussi entrer en crise en devenant de plus en plus apatrides.
Dans cette guerre, nous avons des faiblesses multiples, mais le changement de paradigme voudrait que nous développions des points forts comme un soft power qui nous permettrait d’avoir le dessus par une intelligence et une meilleure compréhension du conflit.
Pourquoi ne pas mettre à contribution nos universités par la création de département d’études géostratégiques, du Sahel et du Liptako-Gourma, d’études de nos langues et des langues étrangères comme l’arabe, le chinois et le russe en plus de celles existantes, d’études sur la connaissance des engins explosifs et le déminage etc.
La question des études stratégiques ne doit pas non plus être négligée. Il faudrait mobiliser nos forces de défense et de sécurité sur la nécessité de défendre le pays et donc de la justesse de cette guerre, car elle vise à défendre le bien commun, sécuriser les populations, et empêcher les assaillants de les chasser et de brûler leurs récoltes et retirer leur bétail. Remobiliser la nation pour la défense du pays est aussi une œuvre de réconciliation nationale.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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