Les États africains doivent développer et diversifier l’offre locale des produits manufacturés pour réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur et faire face aux chocs mondiaux. C’est l’analyse du macroéconomiste Dr Irifaar Hubert Somé sur la parité euro-dollar. Pour la première fois en près de 20 ans, l’euro a touché la parité avec le dollar américain le mardi 12 juillet 2022. En vue de comprendre ce phénomène et de savoir quel pourrait être l’impact sur le continent africain, en l’occurrence la zone franc CFA, Lefaso.net est allé à la rencontre de Dr Irifaar Hubert Somé du Laboratoire d’économie appliquée de l’université Norbert Zongo.

Lefaso.net : Comment expliquez-vous que l’euro ait atteint aujourd’hui la parité avec le dollar ?

Dr Irifaar Hubert Somé : Cette appréciation du dollar est due à la décision des autorités américaines (la Banque fédérale) d’augmenter les taux d’intérêts pour faire face à cette inflation galopante. Il y a une relation positive entre le taux de change et les taux d’intérêt. Puisque l’augmentation des taux d’intérêt des États-Unis entraîne une forte demande du dollar par rapport à l’euro. Et cette situation naturellement favorise une hausse de la valeur du dollar : ce que l’on appelle une appréciation. Ce qui implique par conséquent, une dépréciation de l’euro qui s’explique par la baisse de sa valeur jusqu’à ce qu’elle soit à parité avec le dollar.

Quel peut être l’impact de cette appréciation du dollar sur l’économie de l’Afrique, notamment la zone CFA ?

Les impacts vont dépendre de plusieurs paramètres. Il y a d’abord la monnaie utilisée par le pays, il y a ensuite la nature du taux de change et enfin les caractéristiques d’exportations des États. Les conséquences concernant les pays de la zone CFA seront selon qu’un pays soit grand importateur ou grand exportateur. Pour le cas de la Côte d’Ivoire par exemple, qui est un grand exportateur de produits agricoles (café, cacao…), cette appréciation du dollar sera vue comme une revalorisation de la valeur de ses exportations. C’est-à-dire qu’avec le même volume d’exportation qu’avant, le pays encaissera beaucoup plus de francs CFA que de par le passé lorsque l’exportation est bien sûr libellée en dollar.

Dr Irifar Hubert Somé, macroéconomiste du Laboratoire d’économie appliquée de l’université Norbert Zongo

S’agissant des pays grands exportateurs d’hydrocarbure tels que le Cameroun, le Congo, eux aussi pourront bénéficier de cette parité euro-dollar. Car on assistera à une entrée de ressources supplémentaires issue des exportations. C’est pareil pour le Bénin et le Burkina Faso qui sont grands exportateurs du coton.

L’autre élément positif est que l’appréciation du dollar américain va attirer davantage d’investisseurs dans la zone CFA car cette devise vaut désormais environ 652 francs CFA.

Quels peuvent donc être les effets néfastes de cette parité de l’euro-dollar ?

La consommation des pays africains étant la plus part du temps dépendante de l’extérieur, engendre un fort taux d’importation en direction du continent. Et puisqu’il faut dorénavant beaucoup de francs CFA pour un dollar, il faudra débourser plus d’argent qu’avant pour acquérir le volume de produits importés. En d’autres termes, cela renchérit le coût des biens importés.

La hausse des prix au niveau mondial du blé combinée à l’appréciation du dollar, tout ceci devrait contribuer à accroître l’inflation. Cette cherté de l’importation va également se ressentir sur le coût production à travers les moyens de production importés qui seront plus élevés. Ce qui va également avoir des répercutions sur les prix de vente des produits agricoles.

Sur le plan sécuritaire, la parité euro-dollar va conduire à renoncer à certains investissements pour l’importation des armes

En outre, certains pays vont avoir du mal à assurer le service de la dette du fait de cette situation. Parce que lorsque la dette est libellée en dollar par exemple, cela signifie qu’il faut encore plus de francs CFA aux pays endettés pour s’en acquitter. Les répercutions vont aussi se manifester aussi bien sur le plan touristique que des affaires en direction des États-Unis.

D’autant plus qu’il va falloir mobiliser davantage de francs CFA pour acheter le billet d’avion et tout le reste. Au regard de ce qui précède, tout ceci va contribuer à réduire le pouvoir d’achat des ménages.

Au regard de cette analyse que vous faites de l’appréciation du dollar, quelle doit être l’attitude des autorités africaines ?

Ce phénomène est pour moi interpellateur. Parce qu’il y a assez d’évènements au niveau national qui viennent rappeler à nos États, la nécessité de développer et diversifier l’offre locale des produits manufacturés. Ce qui permettrait d’être encore plus résilient vis-à-vis de certains chocs sur le plan mondial et de réduire la dépendance à l’égard des produits importés.

Aussi, les États africains doivent faire de la diversification des exportations, un objectif ultime avec des perspectives de développement du commerce sud-sud (commerce intra zone). Ce qui pourrait libérer un potentiel de croissance. Les États devraient également investir dans la technologie afin d’améliorer la balance des paiements technologiques. Puisqu’on a démontré que le coût d’importation des moyens de production telle que la technologie, est revu à la hausse du fait de l’appréciation du dollar.

Alors, lorsqu’on investit dans la technologie, cela nous permet d’optimiser un tant soit peu la balance de paiements technologiques avec bien sûr des perspectives de création d’emplois. Ce qui va favoriser une réallocation des ressources du secteur des biens non échangeables vers celui des biens échangeables. Puisque nous savons qu’au Burkina Faso, une grande partie de la population exerce dans le secteur des biens non échangeables. Lorsqu’il y a ce transfert de compétences, cela permet de booster un tant soit peu les conditions de vie des ménages et de faire face à certaines crises mondiales.

Propos recueillis par Hamed NANEMA

Lefaso.net

Source: LeFaso.net