Longtemps considéré comme l’un des pays où la considération humaine est la mieux partagée, le Burkina Faso semble avoir passé un nouveau cap dans son histoire. Au moment où les citoyens à qui il reste un peu de jugeote appellent à la cohésion sociale, d’autres s’illustrent de la plus belle des manières par des discours qu’aucun pays n’aurait jamais tolérés. Ce sont eux, les désormais maîtres incontestés du web. Ils disent ce qu’ils veulent, quand ils le veulent, comme ils le veulent et ne manquent pas de rôtir ceux qui osent émettre un avis contraire à leurs saintes pensées. De quoi souffre cette nouvelle catégorie de Burkinabè ? Que gagne-t-elle à salir l’image du pays comme si leur souffle en dépendait ? Pourquoi certaines autorités se taisent-elles face à ces égarements ?

Si vous espérez trouver des éléments de réponse à travers les questions ci-dessus citées, autant vous choquer pendant qu’il est temps : circulez, il n’y a rien à voir ! Mais si vous restez scotchés à l’écrit quand bien même il n’y a rien à se mettre sous la dent, alors vous vous souvenez sûrement de ce conte assez connu : il s’agit d’une hyène qui avait deux têtes et huit pattes. Décidant d’échapper à la voracité du lièvre, elle alla trouver refuge dans un poulailler. Expliquant son mal-être au coq de la basse-cour, celui-ci décida de soumettre l’affaire aux abeilles.

Une fois dans le trou secret de la ruche, cette dernière se résolut de faire une chose : danser au son des faux-bourdons. Pendant que toute la ruche festoyait alors que les hôtes venaient d’exposer un problème sérieux, s’invitèrent dans le même temps fourmis, éléphant, lion, termite, gazelle, guépard, zèbre, bref, tous les animaux de la terre. Ne pouvant pas entrer dans la ruche, ces derniers décidèrent de louer le barrage de Tanghin, là où baleines et requins dorment depuis sa construction en 1963. Là, les animaux du domaine aquatique refusent de se joindre à la fête, car estimant que même si tous les animaux de la terre étaient présents, la chenille du village avait été oubliée. Résultat : chacun rentra chez lui.

Si vous avez compris cette histoire, il y a deux cas : soit vous n’avez pas de la lumière à tous les étages, soit la science a fortement besoin de vos compétences pour justifier l’injustifiable. C’est perdu dans un brouhaha pareil que l’on tente de comprendre où sont passées les autorités, mais rien ne nous vient à l’esprit. Pourtant, cela remonte à longtemps, le communiqué des réseaux de téléphonie mobile annonçant que les câbles qui doivent alimenter les Burkinabè en connexion internet ont été bouffés par des requins. On peut comprendre que le temps ne suffit pas à tout régler. Que l’on soit débordé par les occupations ou même que l’on ait peur d’émettre, ce qui nous attirera les foudres de ces illuminés qui, visiblement, semblent maîtriser les quatre coins du pays comme des géographes, est compréhensible. Mais face à la recrudescence de ces propos haineux, il y a de quoi se poser des questions.

Il ne se passe presque plus un jour sur les réseaux sociaux sans que les génitrices de certaines personnes ne soient flanquées au pied de la croix par des super hommes, ou que des discours très violents soient prononcés par certaines personnes, souvent à l’endroit de leurs frères burkinabè. Hier encore, ce sont des lives sur les réseaux sociaux qui ont fait vibrer le pays au rythme de la bêtise, avec au menu, la religion. Il est vrai que l’être humain peut tomber bas, très bas ! Mais dire qu’il arriverait même à toucher à ce qui semble le dernier recours lorsque l’intelligence humaine a atteint ses limites relevait jusque-là de l’impensable. Vraiment Sérieusement ! A-t-on besoin d’interpeller les autorités morales notamment, pour couper court à tout cet imbroglio ? Les autorités administratives, elles ont fini par sortir de leur silence. Fort heureusement.

Au moment où nous mettions cet article en ligne en effet, le ministre en charge de la l’Administration territoriale, dans un communiqué, « constatant que des messages de haine et de division sont diffusés dans l’espace public via les réseaux sociaux notamment des vidéos de prêche de certains religieux », assure qu’il assumera pleinement son rôle régalien de protection de la liberté de culte pour toutes les confessions religieuses et que « toute personne, sans exception, qui, au nom d’une quelconque religion se livrera à de telles pratiques sera punie conformément aux textes en vigueur ». Elles annoncent même avoir tenu une réunion le 22 mai avec les responsables de la communauté islamique et des chefs coutumiers.

Le Burkina ne souffre-t-il pas déjà assez de ces hordes terroristes qui lui pourrissent la vie, pour que des frères qui semblent jouir de toutes leurs facultés mentales s’adonnent à des propos qui défient la raison ? Attend-on de voir les conséquences de ces dérapages pour faire semblant de lever le petit doigt ? Comment peut-on rester aussi impassible face à de tels agissements ? Est-ce que le virus de l’indifférence a finalement été inhalé par les plus grands hommes de ce pays ? Ont-ils jeté à la poubelle leur serment ? Ou alors, comme ce n’est pas le champ du papa de quelqu’un, on va faire « laisse guidon », comme le dirait le gamin de six ans qui manque encore de maturité ?

Le 20 mai dernier, c’était le très respectable imam Alidou Ilboudo qui déplorait cette nouvelle mode susceptible même de donner le tournis au malin, en ces termes : « Pauvre Burkina Faso ! C’est malheureux et pitoyable de voir les fils et filles du Faso s’insulter à longueur de journée sur la question des croyances, des pratiques et des dogmes. C’est encore plus déplorable que les voix autorisées, aussi bien celles morales qu’administratives, assistent à cela sans rien dire. Je suis totalement étonné et ahuri que le Comité d’écoute du discours islamique (CEDI), mis en place en novembre 2024, fasse la sourde oreille et que le présidium de la FAIB ne lui demande pas des comptes. En tout état de cause, l’opinion nationale apprécie. »

Un journaliste de ce pays aimait à le répéter souvent : la société fonctionne comme une moto : les yeux ne joueront jamais le rôle de l’estomac. Les doigts, bien que servant à plusieurs choses, ne se substitueront pas aux reins, et la tête est très mal placée pour jouer le rôle des fesses. Autrement, c’est à chacun de jouer sa partition, pour que tout puisse rouler comme sur des rails. Le médecin doit soigner les malades. Le pilote doit conduire des avions. L’enseignant doit transmettre le savoir. Le maçon doit construire des maisons. Quand bien même le rôle du journaliste semble difficile à comprendre, il doit garder son rôle de critique. L’autorité quant à elle, qu’elle soit judiciaire, politique, religieuse ou peu importe l’appellation qu’on devrait lui donner dans ce contexte, doit jouer son rôle, car jusqu’à preuve du contraire et quoiqu’on dise, l’autorité, c’est l’autorité ! Et c’est dans ce sens qu’il faut saluer la réaction du ministre de la l’Administration territoriale.

Erwan Compaoré

Lefaso.net

Source: LeFaso.net