La problématique de la consommation de la drogue au Burkina Faso est inquiétante. Elle est en train de prendre des proportions qui, si l’on ne prend garde, risquent de ne plus être maîtrisables. Dans cette interview, Landry T. Ouédraogo, certifié par les Nations-unies en prévention de l’abus de la drogue, en réduction des risques et en prise en charge des troubles liés à la consommation de la drogue, fait l’état des lieux de la situation, donne les tranches d’âge et les régions qui sont les plus durement touchées. Il évoque également les grands axes de la stratégie nationale de lutte contre la drogue.
Lefaso.net : Quel est l’état des lieux de la consommation de la drogue au Burkina Faso ?
Landry T. Ouédraogo : C’est difficile de parler de l’état des lieux de la consommation de la drogue au Burkina Faso avec des détails à l’appui, parce qu’il y a une absence d’étude globale. Cela fait qu’on ne peut pas donner avec exactitude les chiffres. Mais ce qu’on peut dire sans risque de se tromper, c’est que l’heure est véritablement grave. Parce qu’il ne se passe pas une seule journée sans qu’au moins une dizaine de parents apeurés, paniqués, nous appellent pour des interventions. Soit leurs enfants sont directement consommateurs, soit ce sont des neveux ou des cousins qui en consomment. Donc, l’heure est vraiment grave et ça va de mal au pis au Burkina Faso. Si rien n’est fait, je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure, mais l’avenir risque d’être très sombre pour le Burkina Faso, en tout cas pour ce qui concerne la drogue.
Quelle est la tranche d’âge la plus concernée par la consommation de la drogue au Burkina Faso ?
La tranche d’âge la plus concernée par la consommation de la drogue au Burkina Faso est la tranche jeune. En effet, il faut qu’on le sache, la consommation de la drogue a un visage beaucoup plus jeune. C’est à partir de l’adolescence, entre 12, 13 ans que les jeunes s’adonnent à la drogue. Mais on en rencontre souvent qui ont moins que cela. À 9 ans c’est-à-dire que dès l’école primaire, il y a des enfants qui commencent à consommer la drogue. Donc, 12, 13, 14 jusqu’à pratiquement 18, 19, 20 ans. Ce sont les tranches d’âge qui sont les plus concernées par cette problématique qui endeuille beaucoup de familles. Cependant, il faut reconnaître et préciser qu’il n’y a pas d’âge en matière de consommation de drogue. Parce qu’on a aussi rencontré des gens de 40 ans, 50 ans, consommateurs de drogue. Sinon, de façon générale, la tranche d’âge la plus concernée, c’est beaucoup plus les jeunes.
Quelles sont les régions du pays les plus touchées par le phénomène ?
Toutes les régions du pays sont concernées par la consommation de la drogue. C’est la triste réalité. Cependant, les plus gravement touchées sont les régions qui sont adossées au Ghana. Je veux parler de la région du Centre-Sud, notamment les villes de Pô, Tiébélé, Léo, etc. Compte tenu de leur proximité avec la frontière avec le Ghana, beaucoup de jeunes dans cette région s’adonnent à la consommation du cannabis et des alcools frelatés, etc.
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Une stratégie de lutte contre la drogue a été adoptée. Pouvez-vous revenir sur quelques axes forts de ce plan ?
À travers la Plateforme nationale des plaidoyers et de lutte contre l’abus de la drogue du Burkina, j’ai participé à l’élaboration de cette stratégie nationale. C’est un référentiel national qui aborde la problématique dans tous ses aspects, dans tous les volets de la lutte. Le volet le plus important à mon sens, c’est la prévention. Il y a aussi la répression. C’est quand la prévention échoue qu’il faut aller vers la répression. Il y a aussi la prise en charge, la réinsertion sociale et même socio-professionnelle. Tous ces aspects ont été véritablement abordés et traités avec efficacité, et consignés dans ce référentiel. C’est sûr que ce référentiel va aider le Burkina Faso à avancer véritablement dans cette lutte.
Selon vous, quels sont les préalables pour que ce référentiel puisse atteindre tous ses objectifs ?
Effectivement, une chose est d’avoir un référentiel, mais une autre est de pouvoir l’adopter, de l’implémenter efficacement. Je pense qu’il y a la fédération des acteurs intervenant dans la lutte contre la drogue, en synergie avec le Secrétariat permanent du Comité national de lutte contre la drogue. J’insiste, l’élaboration de la stratégie a été participative, inclusive ; donc du coup, ce volet a été bien mené. Mais le plus important, c’est le nerf de la paix. Il faut que le gouvernement joue sa partition qui consiste à mettre le budget nécessaire pour la mise en œuvre de cette stratégie nationale de lutte contre la drogue. Ensuite, il y a le côté société civile. Oui, nous avons également notre rôle à jouer. Nous devons utiliser ce référentiel pour faire ce qu’on appelle le lever de fonds, afin de soutenir les efforts du pays en matière de lutte contre la drogue.

La plateforme propose une approche plus globale, humaine et inclusive dans la lutte contre l’abus de la drogue. Pouvez-vous nous expliquer un peu cette vision ?
C’est une approche beaucoup plus équilibrée. Une approche du système des Nations-Unies que nous cautionnons parfaitement. Les dealers, les trafiquants, les producteurs…il n’y a pas commune mesure ; leur place c’est en prison, il faut les emprisonner. Mais pour ce qui concerne les consommateurs de drogue, la plupart, la grande majorité, ce sont des victimes, des malades. On ne peut pas les traiter de la même façon que les producteurs, on ne peut pas avoir la même peine que les trafiquants, les dealers, les narcotrafiquants ; non. Eux, il faut les soigner, il faut les accompagner. Pour prendre en charge ces derniers, il faut une approche beaucoup plus humaine, une approche participative, une approche collaborative, une approche respectant les droits humains, une approche de santé publique. Parce que la consommation de la drogue, c’est un problème de santé publique. Donc, il faut les soigner, il faut les réinsérer, pour qu’ils puissent contribuer à l’édification de notre nation. C’est ce que je peux dire par rapport à l’approche globale, l’approche équilibrée.
Parlez-nous des grandes actions que la plateforme a pu mener dans le cadre de la lutte contre l’abus de la drogue.
La Plateforme a pu mener plusieurs activités souvent en off et d’autres ont été médiatisées. Je peux déjà mentionner l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre la drogue. Il faut dire que c’est la Plateforme qui a levé le lièvre, c’est elle qui a lancé le lever de fonds, avec ses partenaires techniques et financiers, pour commencer les premières étapes de l’élaboration de cette stratégie nationale de lutte contre la drogue. Sans la participation de la Plateforme, ce ne serait pas évident que le Burkina aurait une stratégie nationale de lutte contre la drogue. Au-delà de la contribution combien louable de la Plateforme dans l’élaboration de cette stratégie, il y a que nous sommes intervenus dans le domaine des formations.
Ces sessions de formation se sont étendues aux acteurs de la chaîne judiciaire pour leur expliquer la problématique de la drogue. Nous avons formé des parents d’élèves, les élèves, les étudiants, pour une prise de conscience du phénomène de la drogue. Il faut aussi mentionner les conférences de sensibilisation à l’endroit du milieu scolaire, du primaire jusqu’au supérieur en passant par le secondaire. Donc, la Plateforme a exécuté énormément d’activités pour aider le Burkina à bouter véritablement la drogue hors de son territoire.
La plateforme a-t-elle pu tirer des personnes de la consommation de la drogue ?
Oui, bien sûr, il y a plusieurs personnes que la Plateforme a pu sortir de la drogue pour après les insérer dans la société. Nous avons, au sein de la Plateforme, non seulement les professionnels de la santé naturelle, mais des éducateurs spécialisés en accompagnement psychoéducatif. Moi je suis par exemple phytothérapeute praticien, naturothérapeute praticien. Ces efforts conjugués ont amené beaucoup de familles à pouvoir aider leurs enfants à sortir de la consommation de la drogue. Je prends l’exemple de l’approche psychoéducatif que la Plateforme utilise, qui consiste à faire le mapping de la consommation de la drogue, dégager les causes profondes de la consommation de la drogue, parce qu’on ne peut pas lutter contre quelque chose qu’on ne connaît pas. Pour tirer un consommateur de la drogue, il faut d’abord déceler les causes profondes qui ont poussé ce dernier dans la drogue, les motivations, les racines, le fondement.
Après cela, il y a ce qu’on appelle les contrats tripartites. Ces contrats engagent la famille, l’expert et la personne concernée. C’est ensemble que nous pouvons aider le consommateur à sortir de la consommation de la drogue. Il y a les VAD (Ndlr : Visites à domicile) qui sont faites. Ces visites permettent d’évaluer non seulement les facteurs de protection, mais aussi les facteurs de risque qui peuvent repousser le consommateur vers la drogue. Ce sont les leviers sur lesquels nous nous appuyons pour aider l’enfant à sortir de la consommation de la drogue. Et si cela nécessite qu’on isole l’enfant de son environnement, s’il arrive que c’est son environnement qui a un impact négatif sur la personne, on fait des propositions d’isolement de la personne hors de cet environnement, afin de pouvoir l’aider. Et il y a également le suivi, l’entretien motivationnel.
C’est tout un ensemble de paquetage, mais qui donne véritablement des résultats. La plupart du temps, les gens qui nous approchent demandent un médicament qu’on va donner à l’enfant, qu’il va avaler et arrêter la consommation de la drogue. Je dis que ce n’est pas du maraboutage. Ça n’existe nulle part. C’est tout un process qu’il faut suivre. Et au niveau de la Plateforme, nous avons des experts qui font ce process. Et fort heureusement, il y a beaucoup d’enfants qui arrivent à sortir de la consommation de la drogue grâce à ce processus, au grand bonheur de leurs familles.
Quelles sont les causes qui poussent les jeunes à consommer la drogue ?
Les causent qui poussent les jeunes à la consommation de la drogue sont multiples et diversifiées. De prime abord, il y a l’ignorance. Ces personnes ne savent pas dans quoi elles se sont lancées, d’où la nécessité de les sensibiliser. Je suis convaincu que beaucoup ne s’adonneront jamais à la drogue s’ils avaient été sensibilisés. En deuxième lieu, il y a la disponibilité de produits. Aujourd’hui, la drogue est disponible dans tous les quartiers de Ouagadougou. Quel que soit le quartier où vous êtes, si vous voulez la drogue, vous pouvez l’avoir. Elle est disponible, accessible facilement. Nous avons également le mimétisme.
Pour ce qui est de la franche jeune, on veut imiter les autres. Parce que les autres consomment, moi aussi, je veux consommer pour être à la mode, être stylé, pour faire le choco. Nous avons également l’identification à certaines stars et vedettes qui, malheureusement, sont morts de façon douloureuse suite aux troubles liés à la consommation de ces substances. Nous avons également les troubles au sein des familles, notamment les querelles entre papa et maman à longueur de journée. On s’insulte, on se frappe devant les enfants.
Cela peut conduire les enfants à consommer la drogue. Il faut le dire, beaucoup de jeunes sont entrés dans la drogue à cause de ces raisons. Nous avons également le laxisme au sein des familles. En effet, il y a des familles où il n’y a pas d’autorité. Des familles ou il n’y a pas de règles ; tout le monde fait ce qu’il veut. Cela aussi peut conduire les enfants à la consommation de la drogue. Par contre, il y a des familles où il y a un excès d’autorité, une tolérance zéro. Là également, ça peut conduire les enfants à la consommation de la drogue. De façon générale, l’environnement est un facteur déterminant dans cette affaire de drogue.
On connaît déjà les ghettos, les fumoirs dans les quartiers. Parce qu’il faut le dire, il y a des quartiers à risque. Cet environnement compte beaucoup. Un autre facteur non moins important, c’est la personnalité du jeune consommateur. Il y a des jeunes qui sont de faible personnalité. S’il veut par exemple entrer dans un groupe, et qu’on lui impose la consommation de la drogue comme condition, il va en consommer pour être dans le groupe. Parce que, le soi-disant groupe est un groupe qui est à la mode. Par contre, si l’intéressé a une forte personnalité, si on lui dit cela, il va préférer quitter ce groupe que de consommer la drogue.
La personnalité peut vraiment aider à être clean. C’est pourquoi il faut connaître la personnalité de son enfant, œuvrer à ce qu’il soit fort, travailler à élever le niveau de personnalité de l’enfant pour qu’il puisse dire non quand il faut dire non. Qu’il arrive à dire oui quand il le faut, de façon consciente. Que ce ne soit pas par effet d’amour, ni par mimétisme. Pour cela, nous avons également des programmes d’empowerment pour ceux qui voudraient que leur enfant puisse s’affirmer, ne pas imiter de façon systématique, idiotement.

Vous êtes naturothérapeute praticien, mésothérapeute, diplômé institutionnel en nutrithérapie. Parlez-nous en.
En effet, je suis effectivement diplômé institutionnel en nutrithérapie, suis naturothérapeute praticien. Ce sont des études académiques assorties de thèses à la fin et suivies d’un stage qui doit être validé par un maître de stage et enfin par la pratique. Un naturothérapeute praticien dispose d’un certain nombre de techniques qu’il utilise pour aider ses patients à avoir la santé holistique et le bien-être.
C’est la médecine naturelle scientifiquement codifiée, parce que les techniques sont connues. Entre autres techniques, nous avons ce qu’on appelle la bromatothérapie. « Bromato », en grec, veut dire aliment et thérapie, qui veut dire le soin. C’est en un mot les soins à partir de ce que nous mangeons. Parce que ce qu’on mange peut nous rendre malade. La bonne nouvelle, c’est que manger également peut soigner. Nous avons la phyto-aromathérapie. « Phyto », c’est la plante, l’utilisation des plantes pour se soigner. L’aromathérapie, c’est l’utilisation des essences des plantes pour se soigner. Nous avons la chromothérapie, qui est l’utilisation des couleurs pour se soigner. Nous avons l’argilothérapie, l’utilisation de l’argile pour se soigner.
Nous avons également la massothérapie appelée encore la chirologie, qui sont des techniques manuelles de massage pour soigner. Nous avons ce qu’on appelle la géobiologie, ou la médecine de l’habitat, là où votre environnement de vie peut constituer une menace, peut constituer des forces négatives pour votre santé, comme ça peut être des facteurs de bonne santé. Donc, la naturoteuthérapie c’est toute une panoplie de techniques pour aider les patients à recouvrer la santé et le bien-être. Il y a des pathologies qui sont dites incurables, telles que l’hypertension artérielle, le diabète, les cancers, les hépatites ; mais fort heureusement, dans la naturotérapie, on a vu plein de gens qui ont été suivis par notre cabinet et ont recouvré la santé. Après, ils sont repartis faire leurs tests qui ont été négatifs. Dans le traitement, tu n’es pas obligé de prendre des médicaments à vie, parce que la nature soigne tout. Je suis également amésothérapeute.
L’amésothérapie est une thérapie qui utilise les quatre piliers de la santé de l’homme. Le premier pilier, c’est l’alimentation saine, qu’on voit en bromathérapie. Le deuxième pilier, c’est la maîtrise de ses émotions, parce que l’homme est également émotion. Le troisième pilier, ce sont les exercices physiques. Et enfin, le quatrième pilier, c’est un sommeil réparateur, parce que c’est pendant le sommeil que le corps se régénère. C’est pendant le sommeil qu’un certain nombre de pathologies trouvent des solutions. Le corps a la capacité d’auto-guérison. Voilà de façon succincte ce que je peux dire de la naturothérapie.
<p class="note" style="position: relative; color: #012b3a; margin: calc(23.2px) 0px; padding: calc(9.6px) 40px; border-left: 5px solid #82a6c2; background-color: #eaf0f5; border-top-color: #82a6c2; border-right-color: #82a6c2; border-bottom-color: #82a6c2; font-family: Montserrat, sans-serif;" data-mc-autonum="Note: « >Lire aussi : Consommation de la drogue en milieu scolaire : L’association « Sauvons l’avenir de nos enfants » en ordre de bataille pour éradiquer le fléau
Nous sommes au terme de cette interview. Avez-vous un appel à lancer ?
Je lance un appel à l’endroit des parents. C’est vrai que les enfants déconnent souvent, mais les parents sont, quelque part, responsables de ce qui arrive. Mais que font les parents pour éviter les situations dramatiques ? Est-ce qu’en tant que parents, nous éduquons convenablement nos enfants ? Est-ce que nous les orientons sur le droit chemin ? Est-ce que nous leur donnons les informations nécessaires par rapport à leurs croyances pour qu’ils soient résilients ? Pour éviter tout cela, je les invite à la formation.
J’exhorte également le gouvernement à être très regardants, parce que la guerre contre le terrorisme va finir. Le Burkina Faso sera émergent. Le camarade capitaine président Ibrahim Traoré et son gouvernement vont y arriver. Nous allons arriver à bout de ce fléau du terrorisme. Mais après ce fléau, il y a un danger qui nous guette, un piège qui nous guette. Ce danger, c’est quoi ? C’est la consommation de la drogue.
Interview réalisée par Obissa Juste Mien
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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