Gaoussou Koté, consultant socio-économiste, lance, à travers les lignes ci-dessous, un cri de coeur par rapport à la disparition accélérée des cours et plans d’eau au Burkina Faso, ce qui expose le pays à un péril écologique, économique et social difficilement réversible passé un certain stade. En dépit des projets de réhabilitation des barrages et de protection des terres, son appel reste d’actualité estime l’auteur qui appelle à l’élaboration d’un projet spécifique de protection des berges des cours et plans d’eau.

Je suis inquiet (je ne suis pas le seul bien entendu ni le premier), et cela ne date pas d’aujourd’hui, du rythme de dégradation de nos cours d’eau : les marigots de mon enfance ont disparu. Je me souviens : des bains avec les gamins de mon âge chaque fois que nous en avions l’occasion et d’où nous sortions blancs, plus blancs que les masques blancs de Julasoba ; la pêche aux menus fretins et, plus tard, à l’étiage, la pêche coutumière collective à la nasse.

Je me souviens aussi du temps où je faisais, par moi-même, en train ou en voiture, le constat de la permanence de fleuves que le professeur de géographie nous a appris au lycée. En effet la Léraba, la Comoé, les Volta rouge, blanche et noire, … roulaient furieusement leurs eaux en toute saison. Et dire qu’aujourd’hui, ils sont réduits, presque tous et dès la fin des pluies, à des filets d’eau ici, des chapelets aux grains très épars par là s’ils ne sont pas complètement à sec sur le plus clair de leur cours.

Que dire des plans d’eau (barrages, lacs, mares) dont certains sont classés zones humides (espaces de biodiversité reconnus au plan mondial) ? Ils se réduisent eux aussi comme peaux de chagrin.

À cela rien d’étonnant si plusieurs dizaines d’hectares de bananeraie, de papayers, de périmètres maraîchers, de cultures pluviales traditionnelles, etc. empiètent sur les zones de protection des cours et plans d’eau, sans mesures idoines de conservation, occasionnant l’érosion et l’envasement des lits de ces cours et plans d’eau. Sans oublier la coupe du bois vert qui prive le sol de sa couverture végétale protectrice, et la carbonisation.

Les administrations locales et les services techniques sont comme désarmés pour faire entendre raison aux auteurs de ces occupations et exploitation anarchiques de ces zones vulnérables.

• On a entendu souvent à la télé des producteurs installés sur les berges des cours et plans d’eau se plaindre de l’envasement desdits cours et plans et de l’insuffisance de l’eau pour la conduite de leurs activités ; comme s’ils n’étaient pas une partie du problème et de la solution au mal dont ils se plaignent !

• Une ministre de l’eau et des aménagements hydro-agricoles a organisé en son temps un atelier sur l’occupation agricole des berges du barrage de Ziga. Comment cette occupation a pu être possible compte tenu de l’importance de ce barrage pour l’approvisionnement en eau de la ville de Ouagadougou et de tout l’arsenal de lois et règlements dont le pays est doté ?

• En juin 2009, le gouverneur de la région des Hauts-Bassins a dû se résoudre à commettre 178 gendarmes et agents des eaux et forêts qui ont réussi, en 48 heures, à raser les champs de maïs, bananeraies et sites de carbonisation qui occupaient les rives de la rivière Kou jusqu’à sa source ; et ce, après que ses appels récurrents à partir sont restés vains à l’endroit des occupants illégaux.

Paradoxalement, quatre ans plus tard soit en novembre 2013, le rapport provisoire du Comité local de l’eau du Kou (CLE-KOU, cadre de gestion des ressources naturelles du sous-bassin du KOU depuis 2008) fait le constat du retour progressifs des déguerpis dans la bande de servitude du Kou, de coupe anarchique du bois vert, du comblement du lit de la rivière et de la baisse inquiétante du niveau de l’eau.

Qu’est-ce à dire ? Simplement qu’il y’a :

• Un manque de suivi rigoureux de l’état de nos cours et plans d’eau ou une faible communication sur le sujet dans des médias largement accessibles ;

• Une maîtrise insuffisance des textes régissant le domaine ;

• La non application du peu que les agents maîtrisent ;

• Une insuffisante prise de conscience des conséquences à court et long termes des récurrentes transigeances avec la législation en la matière par les agents ;

• Subséquemment, le non-engagement sincère des agents censés être de première ligne dans cette opération de protection. On a l’impression que les encadreurs des productions végétales tolèrent les producteurs de leur sous-secteur, même installés dans des zones sensibles ; il en est de même des agents d’élevage à l’endroit des éleveurs qui y font pâturer le bétail, et des agents des eaux et forêts en ce qui concerne la coupe du bois par ceux auxquels ils ont, en plus, vendu des permis de coupe. Sans doute pensent-ils qu’en leur interdisant l’accès à ces zones ils leurs enlèvent le pain de la bouche ? Mieux vaut-il le leur enlever à eux à court terme que de l’enlever à eux et à leurs enfants à long terme ? la réponse semble évidente. Il faut que les gens arrêtent leur sensiblerie pour une démarche responsable.

Il faut signaler que les différentes Agences de bassin et leurs CLE, certains projets et programmes, des ONG et associations ainsi que des personnes ressources, sont engagés dans la lutte pour la protection des ressources en eau au Burkina. Face à l’ampleur du problème, leurs moyens d’action sont très limités. Si fait que les terres et la couverture végétale des berges de nos cours et plans d’eau continuent de se dégrader, les lits de se combler, la capacité de stockage de diminuer voire disparaître par endroit. Ce qui a et aura des conséquences aux plans économique, social et environnemental.

La diminution des superficies aménagées exploitées à l’aval des barrages et, toutes choses égales par ailleurs, celle des productions ;

La diminution de la faune aquatique ;

La perturbation de l’approvisionnement en eau domestique et industrielle ainsi que de la production électrique ;

La diminution des possibilités de recharge des nappes ;

L’exacerbation des inondations dues aux écoulements des eaux en nappe à défaut d’être canalisées dans des lits autrefois encaissés ;
Au plan environnemental, la dégradation d’écosystèmes d’eau douce riches et variés ;

Au plan santé, la prolifération des maladies d’origine hydrique due à l’approvisionnement dans les mares et puisards aux eaux insalubres ;

etc.

Les autorités en ont conscience qui ont entrepris depuis peu, peut-être en guise d’opération pilote, le curage de certains barrages avec des engins mécaniques lourds. Ce n’est sans doute pas une solution durable car difficilement soutenable à long terme.

Le problème est si grave que les approches en cours semblent dépassées. Plus que jamais, il urge de penser une initiative spéciale de protection globale des ressources en eau, incluant le curage des lits avec peu de moyens lourds mais à haute intensité de main d’œuvre. Ce qui nécessitera la mobilisation d’intelligences pluridisciplinaires pour repenser toute l’ingénierie y afférente, et celle de ressources humaines nombreuses qualifiées et non qualifiées pour sa mise en œuvre à l’échelle de tout le territoire.

G. Koté

71289711

Source: LeFaso.net