Dans un contexte national marqué par des tensions sécuritaires, une forte pression démographique et des défis structurels, le Burkina Faso se trouve à la croisée des chemins. Pour amorcer une transformation économique profonde et durable, le pays doit capitaliser sur ses ressources internes. Le deuxième chapitre du rapport pays 2025 de la BAD explore en détail les leviers disponibles et les stratégies à activer pour mobiliser efficacement le capital domestique sous toutes ses formes, qu’il soit fiscal, naturel, humain, entrepreneurial ou financier.
Pour soutenir sa transformation structurelle, le Burkina Faso a besoin de ressources financières substantielles. Selon les estimations de la Banque africaine de développement (BAD), il faudrait mobiliser environ 5,1 milliards de dollars par an jusqu’en 2030, soit 19,3% du PIB, pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063. À cette échéance, l’effort requis se réduirait à 0,9 milliard de dollar par an. Cette projection révèle l’ampleur du défi à court terme, mais également la possibilité d’un redressement progressif en cas de mobilisation réussie.
En matière de recettes fiscales, des progrès notables ont été enregistrés. Le taux de pression fiscale est passé de 15,4% du PIB en 2021 à 17,8% en 2023, avec un objectif communautaire de 20% à l’horizon 2024. Les taxes sur les biens et services dont la TVA et les revenus représentent les principales sources de revenu. À cela s’ajoutent les recettes non fiscales, dont le Fonds de soutien patriotique (FSP), qui a permis d’accroître les ressources via des prélèvements solidaires.
Cependant, les dépenses publiques restent élevées, avec une part importante dédiée aux dépenses courantes estimé à 61,6%, dont principalement les salaires, évalués à près de 50% des dépenses courantes. Cette rigidité budgétaire limite la capacité d’investissement dans les infrastructures, pourtant cruciales pour la croissance.
Un capital naturel sous-exploitée
Selon le rapport de la BAD, le Burkina Faso possède une diversité de ressources naturelles, allant des terres agricoles (9 millions d’hectares, dont un tiers cultivé), aux ressources minières, en passant par l’énergie solaire. Le pays tire une part substantielle de ses recettes d’exportation de l’exploitation de l’or, qui représentait près de 80% des exportations totales en 2023. Le secteur minier a également contribué à hauteur de 21,2% aux recettes budgétaires.
Mais cette richesse cache une vulnérabilité : la valeur du capital naturel par habitant est en baisse, passant de 3 288 dollars en 1995 à 2 571 dollars en 2020. Cette érosion est principalement due à la croissance démographique qui dilue les gains, mais aussi à la sous-exploitation des ressources renouvelables comme l’eau, la forêt, les terres. Pire, la BAD révèle que les pertes dues à la fraude minière sont alarmantes. Elle précise à cet effet, qu’environ 22 tonnes d’or pourraient quitter illégalement le territoire chaque année.
Pour mieux valoriser ce capital, le pays est appelé à renforcer les mécanismes de régulation, notamment dans les industries extractives. Un effort est aussi attendu sur la valorisation du crédit carbone, avec un potentiel estimé à plus de 4 milliards de dollars par an jusqu’en 2050.
Un tissu entrepreneurial dominé par l’informel
Le rapport présente un paysage des entreprises au Burkina Faso dominé par les PME, dont la grande majorité, près de 90%, opère dans l’économie informelle. En 2022, plus de 148 000 entreprises formelles étaient recensées, majoritairement des microentreprises. Le commerce et les services restent les principaux secteurs d’activité, mais le secteur minier génère l’essentiel des recettes fiscales.
Aussi, le présent rapport relève que des défis importants pèsent sur la croissance des entreprises tels que l’insécurité, qui réduit les zones viables d’investissement ; le coût élevé de l’électricité (0,203 dollar/kWh, contre 0,132 dollar en Côte d’Ivoire) ; l’enclavement du territoire ; et l’accès limité au financement, notamment pour les PME.
Toutefois, des réformes récentes ouvrent de nouvelles perspectives. Le nouveau code minier favorise la participation nationale au capital des sociétés minières. La loi 010-2023/ALT offre des incitations fiscales et douanières ciblées pour les PME. Le cadre de concertation entre l’État et le secteur privé est actif, et la dématérialisation des services publics commence à alléger les procédures.
L’espérance de vie progresse à 61 ans
Le développement humain reste un point faible du Burkina Faso, affirme la BAD, qui rappelle le classement 2025 du PNUD dans lequel le pays des hommes intègres occupe la 186ᵉ place sur 193 États. Près de la moitié de la population est sans instruction, et la durée moyenne de scolarisation est en deçà de 2,3 années. L’espérance de vie s’élève à 61,1 ans, en légère progression.
Le gouvernement a fait du capital humain une priorité stratégique, avec près de 40% du budget 2025 alloué à l’éducation et à la santé. Plusieurs initiatives visent à renforcer l’offre éducative, comme la promotion de l’enseignement technique et professionnel, ou l’introduction des TIC dès le primaire. Les jardins scolaires, par exemple, constituent une réponse innovante aux défis alimentaires et pédagogiques dans les zones vulnérables.
Mais de nombreux obstacles subsistent. Cela se traduit selon le rapport par la fermeture d’établissements en zone rouge, l’inadéquation formation-emploi, le sous-emploi élevé estimé à 26,6%, les inégalités de genre et la pauvreté structurelle. Dans le domaine de la santé, malgré l’adoption d’une assurance maladie universelle, l’accessibilité aux soins reste inégale, particulièrement en milieu rural, confie la BAD.
Près de 894 milliards de francs CFA levés en 2023
La BAD soutient que le Burkina Faso dispose d’un système financier diversifié mais peu profond. En 2023, les actifs bancaires représentaient 73% du PIB, avec 16 banques et 4 établissements financiers. À cela s’ajoutent 124 institutions de microfinance, 16 compagnies d’assurance, des fonds nationaux de financement et un accès au marché régional des titres publics.
Le pays a levé près de 894 milliards de francs CFA en 2023 via des émissions obligataires, avec un taux de couverture de 125,8%. Toutefois, selon l’indice du FMI, le niveau global de développement financier du pays reste faible (0,12 en 2021), en raison d’un accès limité aux services financiers et d’une profondeur encore insuffisante du marché. Seule l’efficacité des institutions financières dépasse la moyenne continentale.
La diversification des sources de financement est donc essentielle. L’aide publique au développement représente encore 10,7% du PIB, principalement sous forme de prêts. Les IDE, notamment dans le secteur minier, restent conditionnés à une amélioration du climat sécuritaire. Les envois de fonds de la diaspora constituent une autre source significative (220 millions USD en 2023).
Pour la BAD, le développement du Burkina Faso passe par une mobilisation plus efficiente et plus équitable de l’ensemble des formes de capital. Les financements innovants, bien qu’encore embryonnaires (seulement 15 fintechs recensées), offrent un potentiel réel à l’instar du capital-risque, du crowdfunding, de la finance climatique, etc. Le pays a désigné deux institutions pour être accréditées auprès du Fonds vert pour le climat, une initiative qui peut catalyser de nouvelles ressources pour les investissements durables.
La création d’un fonds souverain
Les recommandations de la Banque africaine de développement s’articulent autour d’une stratégie en deux temps, combinant des actions urgentes et des réformes de fond. À court terme, l’accent doit être mis sur l’amélioration de la productivité agricole et l’optimisation des recettes issues du secteur minier, deux leviers cruciaux pour renforcer l’assiette fiscale. Parallèlement, une meilleure orientation des dépenses publiques vers l’éducation, la santé et la formation professionnelle est essentielle pour accroître le capital humain. L’extension progressive de la gratuité de l’enseignement secondaire pour les filles vise à réduire les inégalités et à renforcer l’inclusion sociale, tandis que le développement de fonds de garantie doit permettre de faciliter l’accès au financement pour les PME.
À moyen et long terme, la BAD préconise des transformations structurelles : encourager l’agro-industrie pour créer de la valeur ajoutée locale, structurer les chaînes de valeur minières, et renforcer les compétences dans les administrations clés. La création d’un fonds souverain permettrait de sécuriser les recettes minières et d’orienter les investissements vers des projets porteurs. Enfin, l’émission d’obligations dédiées à la diaspora constituerait un moyen innovant de mobiliser des ressources stables pour le développement durable.
Le rapport de la BAD montre clairement que le Burkina Faso ne manque pas de ressources. Ce sont les capacités de mobilisation, de coordination et d’orientation de ces ressources qui déterminent le rythme de sa transformation. En investissant dans son capital humain, en renforçant la gouvernance économique, en modernisant le système financier et en valorisant ses atouts naturels et entrepreneuriaux, le pays peut tracer un chemin crédible vers une croissance inclusive et durable.
Mobiliser le capital domestique n’est donc pas un luxe, mais une nécessité pour construire un Burkina Faso plus résilient, souverain et prospère.
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Hamed Nanéma
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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