Le samedi 9 août 2025, a eu lieu à Abidjan, dans la commune de Yopougon, une manifestation monstre pour une présidentielle inclusive en Côte d’Ivoire. Cette manifestation est appelée par le front commun des deux plus grands partis de l’opposition, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire dont le candidat désigné pour l’élection présidentielle, Tidjane Thiam, a été écarté, et le Parti des peuples africains de Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo, également empêché de participer à la compétition électorale. C’est la deuxième manifestation de l’opposition concernant le prochain scrutin.
La place Ficgayo, lieu du rassemblement, a regroupé, selon les organisateurs, deux millions de personnes. Les Ivoiriens sont sortis nombreux pour faire passer un message important et le président ivoirien devrait se mettre au-dessus de son parti, de son gouvernement et de ses proches pour réfléchir sur la conduite à tenir face à ce qui est en cours dans son pays. Parce que la Côte d’Ivoire n’est pas le Cameroun où le président fantôme, Paul Biya, va encore se présenter pour son 9ᵉ mandat. Est-ce utile de faire un quatrième mandat si le pays va retrouver ses anciens démons ? Faut-il vraiment qu’à chaque élection, ce pays devienne un volcan en ébullition qui menace son unité, sa paix et son développement ? Pour la stabilité du pays, une élection consensuelle et participative est-elle superflue ?
Au mois d’octobre 2025 vont se dérouler des élections présidentielles au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Ce sont deux pays francophones d’Afrique qui ont sensiblement le même poids dans leur union monétaire et économique régionale. Le Cameroun représente 41 % du PIB de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) alors que la Côte d’Ivoire est à 40 % du PIB de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Si ces deux pays jouent les premiers rôles au plan économique, ils sont les derniers de la classe pour la démocratie, avec Biya qui va se présenter pour un 9ᵉ mandat et Ouattara pour un 4ᵉ et les deux ayant écarté les principaux opposants. La Côte d’Ivoire a une histoire particulière avec les élections qui sont toujours à risques, depuis la mort d’Houphouët, pouvant conduire à des coups d’État, des rebellions, sans compter les milliers de victimes qui perdent leurs vies et sont blessées lors des contestations postélectorales et des manifestations.
Le président Alassane Dramane Ouattara devrait tirer des leçons de l’évolution politique de son voisin du Nord, où Blaise Compaoré, au fait de sa gloire, a refusé d’écouter la voix du peuple qui refusait la révision de l’article 37 de la constitution de son pays. Son clan, son parti et des partis alliés lui ont conseillé de ne rien entendre, de ne rien concéder à l’opposition jusqu’à l’insurrection qui l’emmena à fuir le pays et à se retrouver en Côte d’Ivoire.
Une révision des listes électorales est toujours possible
Personne ne joue au Cassandre et comparaison n’est pas raison, il y a dans les manifestations des slogans « trop c’est trop » qui ont été lancés au Burkina. Il reste trois mois avant l’élection et une révision exceptionnelle de la liste électorale incluant tous ceux qui ne peuvent pas compétir est encore possible. La faire est la moindre des choses car Alassane D. Ouattara a lui-même eu le privilège de bénéficier d’une telle mesure. Le bon sens aurait voulu qu’il ne soit plus dans la course et si son parti n’a pas de candidat susceptible de l’emporter, le RHDP soutiendra le PDCI pour lui retourner au moins une fois l’aide qu’il lui a apportée pour sa première victoire. Et ADO pouvait se retirer avec les honneurs de champion d’Afrique en football en laissant un pays plus ou moins réconcilié.
Une victoire de Tidjane Thiam étant la garantie que le pays reste sur les mêmes chemins au plan économique. À défaut de cela, s’il veut toujours aller aux élections, il se doit de donner une chance à tous ceux qui le désirent de le battre dans les urnes. Il pourra ainsi montrer à Guillaume Soro, son fils adoptif, qu’il a encore des leçons à apprendre de son « vieux père ».
Ce qui est aussi vrai pour Gbagbo et Blé Goudé. Si ces fils pressés de tuer les pères sont réduits à leur simple expression par une défaite électorale, les vieux pères n’en sortiront que plus grands et plus jeunes puisque c’est la jeunesse qui choisira lors de l’élection.
Si les Ivoiriens préfèrent ADO, à tous ses opposants, il pourra gouverner en paix et s’il est battu, il devrait partir dignement sans contestation. Pour transmettre ce message aussi : qu’à l’élection on ne gagne pas toujours. Ce n’est vraiment pas élégant que lui, qui a été victime de l’ivoirité, fasse encore une autre victime pour des raisons de nationalité, ou des frustrés parce qu’ils n’ont pas pu se présenter.
C’est comme si le pays n’avançait pas et revenait toujours sur les mêmes erreurs. La situation de la région ouest-africaine commande de ne pas faire de cette élection une occasion de plonger la Côte d’Ivoire dans une nouvelle crise. Les dirigeants qui écoutent leurs peuples ne sont pas faibles, ils sont les plus forts en humanité parce qu’ils évitent des souffrances, des misères à leurs compatriotes.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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