Dans l’univers encore largement masculinisé des industries extractives, certaines pionnières se dressent comme des phares pour éclairer la voie des générations futures. Annonciata Thiombiano, 28 ans de carrière minière, en fait partie. Géographe de formation, aujourd’hui experte en santé, sécurité au travail et environnement (HSE), elle incarne la compétence, la résilience et l’engagement des femmes dans le secteur minier au Burkina Faso. Parallèlement à sa carrière, elle assume le rôle de secrétaire générale de l’Association des femmes du secteur minier du Burkina Faso (AFEMIB), où elle milite sans relâche pour un secteur minier plus inclusif et équitable.
C’est en 1997 qu’Annonciata Thiombiano entame son parcours professionnel dans le secteur minier, au sein d’une unité extractive, où elle officie en tant que géomaticienne. Cette première immersion dans l’industrie minière, encore peu ouverte aux femmes à l’époque, forge chez elle un goût prononcé pour les environnements complexes et rigoureux. Forte de cette première expérience, elle va se tracer un itinéraire peu commun en évoluant au sein de plusieurs entreprises. Son expertise se cristallise autour de la santé, de la sécurité au travail et de l’environnement.
Aujourd’hui elle est responsable HSE d’une entreprise de forage minier au Burkina. Elle a également exercé à l’international, notamment en Guinée, où elle a dirigé un programme de formation en leadership et gestion des équipes pour les superviseurs. Mais Annonciata Thiombiano ne se limite pas à l’opérationnel. Elle est aussi consultante en mise en œuvre des normes ISO 9001 :2015, 14001 :2015 et 45001:2015, formatrice certifiée en leadership genre et développement, et spécialiste du dialogue social et de la négociation professionnelle. Elle affirme qu’elle aime les situations à grands défis car quand elle réussit, cela lui donne un sentiment de fierté.
L’AFEMIB, un levier d’autonomisation
« J’étais la seule femme parmi 13 candidats à un test de recrutement, et pourtant j’ai été retenue », se rappelle Annonciata. Au fil de son parcours, une conviction s’ancre profondément en elle. Celle de la nécessité de promouvoir l’égalité des opportunités dans un secteur historiquement dominé par les hommes. Ce goût du défi devient une mission de rendre visible, compétente et influente la présence des femmes dans le secteur minier. C’est dans cette logique qu’elle est membre de l’Association des femmes du secteur minier du Burkina Faso (AFEMIB). Elle y est la secrétaire générale. Elle est persuadée que cette organisation peut catalyser les énergies féminines autour de l’objectif commun de transformer le secteur de l’intérieur.
Créée en 2000, l’AFEMIB regroupe des femmes évoluant dans tous les maillons de la chaîne extractive dans le domaine de l’artisanat, l’industrie, les administrations, la formation ou la recherche. Avec plus de 700 membres à travers le pays, l’association s’est imposée comme un acteur central du plaidoyer genre dans le secteur minier burkinabè. Selon Annonciata Thiombiano, l’AFEMIB, loin d’être un simple espace de concertation, devient un levier d’autonomisation, de structuration et d’influence. « L’objectif est de positionner l’AFEMIB comme un acteur incontournable dans les discussions stratégiques sur l’avenir du secteur minier au Burkina Faso », insiste-t-elle.

L’association a mené un plaidoyer actif pour que 30 % du Fonds minier de développement local (FMDL) soient réservés aux activités des femmes et des jeunes. Elle a œuvré aux côtés de ses pairs à la mise en place de sites polyvalents d’Activités génératrices de revenus (AGR) pour les femmes dans plusieurs régions minières. « Elle a aussi initié des formations visant à intégrer davantage de femmes dans la fourniture locale de biens et services aux entreprises minières », ajoute Annonciata.
Par ailleurs, l’AFEMIB a accompagné la création de vingt coopératives féminines actives dans des domaines aussi variés que le maraîchage, l’élevage, l’exploitation artisanale de l’or ou encore la transformation agroalimentaire et le warrantage. « L’association a également introduit et vulgarisé des mécanismes d’épargne communautaire, notamment les AVEC (Associations villageoises d’épargne et de crédit), dans les zones minières afin de renforcer les capacités économiques des femmes. Ces actions nous permettent de faire comprendre que l’autonomisation économique passe par la structuration. Les femmes ne veulent pas de la charité, elles veulent des opportunités concrètes », explique la secrétaire générale. Ces actions concrètes ont permis à de nombreuses femmes de sortir de l’isolement, de structurer leurs activités, de renforcer leur autonomie financière et de participer pleinement aux dynamiques locales de gouvernance.
L’égalité et le défi de la participation à la protection de l’environnement
Annonciata Thiombiano ne mâche pas ses mots quand il s’agit de dénoncer les freins systémiques à l’émancipation des femmes dans les mines. « Le plafond de verre existe bel et bien. Il est invisible, mais profondément enraciné dans les mentalités, les structures sociales et les pratiques institutionnelles », pense-t-elle. Pour y faire face, la secrétaire générale indique que l’AFEMIB mise sur la formation, le plaidoyer et le renforcement de capacités. L’association organise ainsi des formations techniques dans les domaines de l’exploitation minière, de la santé-sécurité-environnement et de la transformation locale. Toujours dans le but de capaciter les femmes, elle développe des programmes en gouvernance inclusive qui traitent de leadership, de dialogue social et de mentorat intergénérationnel. « Nous devons bâtir un écosystème où les femmes ne sont pas seulement tolérées, mais véritablement écoutées et sollicitées pour leurs compétences », propose-t-elle.
Autre priorité stratégique, selon Annonciata Thiombiano, est l’intégration des questions environnementales dans les pratiques minières artisanales. Elle indique que sensibiliser les artisan(e)s minier(e)s à l’adoption de techniques alternatives au mercure et les accompagner vers des activités plus durables, notamment dans le domaine de l’agroécologie, est crucial. « Les femmes minières doivent être aussi des actrices de la protection environnementale », insiste la secrétaire générale, ajoutant que le volet environnemental prend d’autant plus d’importance dans un contexte sécuritaire dégradé. Certaines zones d’intervention de l’AFEMIB, comme Yéou, ont vu leurs projets suspendus en raison de l’insécurité. Mais loin de baisser les bras, l’association plaide pour l’inclusion des femmes dans les dispositifs de résilience et de relance économique. « Nous avons des femmes qui, malgré les déplacements forcés, continuent de développer des AGR et de participer à la vie économique. Elles sont une source d’inspiration et de courage », confie-t-elle.
L’AFEMIB ne se limite pas au Burkina Faso. Elle est membre de plusieurs plateformes sous-régionales. « Nous devons aller au-delà de nos frontières pour faire émerger un mouvement continental fort, solidaire et influent. L’Afrique a besoin de ses femmes pour réinventer son modèle extractif », affirme-t-elle avec conviction.
« Suivez votre passion et osez ! »
À l’adresse des jeunes filles et femmes qui hésitent à s’engager dans ce secteur exigeant, Annonciata Thiombiano lance un message. « Laissez-vous séduire par ses défis, ses possibilités d’apprentissage et d’innovation. Aimez ce secteur et il vous le rendra », conseille-t-elle.

Elle se souvient d’un moment marquant de sa carrière, lorsque deux départements se disputaient sa présence. « Je me rappelle une fois où le responsable du département de la formation a voulu m’arracher de mon poste de SST (santé et sécurité au travail) et j’étais devenue l’objet d’une cour assidue de la part des deux responsables de chaque département. Chacun d’eux a fait successivement deux missions au Burkina pour me convaincre. Et finalement, celui du département SST a dit une phrase qui a résonné fort dans ma tête et après une profonde réflexion, j’ai décliné l’offre du département de la formation. Il m’a dit : Annonciata, je sais que même si tu partais dans ce département tu me reviendrais un jour car ce travail coule tant dans tes veines que tu es incapable de l’abandonner. Et cela était vrai », raconte-t-elle pour dire que tenir compte de la passion est important dans toute décision.
Concernant les stéréotypes autour du secteur minier, elle renchérit que ce n’est pas un domaine réservé qu’aux hommes. « Il est certes exigeant, mais pleinement accessible à toutes celles qui sont déterminées, curieuses, bien formées et motivées. Il est temps que les femmes soient non seulement présentes dans les mines, mais aussi visibles et influentes dans les sphères de décision, de formation, d’entrepreneuriat et de leadership. »
Pour conclure, à celles qui hésitent, elle leur dit simplement : « Suivez votre passion et osez ! ».
Farida Thiombiano
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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