Le jeudi 13 août a eu lieu à Touba, à environ deux cents kilomètres de Dakar, au centre du pays, le 131ᵉ Magal des Mourides. Ils étaient plus de six millions de pèlerins pour commémorer le départ en exil du fondateur de la confrérie des Mourides. Cet exil contraint de Cheick, Serigne en wolof, Ahmadou Bamba au Gabon en 1895 par l’administration coloniale effrayée par le développement de la confrérie soufi qu’elle a créée fut un mal pour un bien, vous le découvrirez tantôt. Cheick Ahmadou Bamba va fonder une ville sainte, dotée d’un statut particulier et qui est aujourd’hui la troisième ville du pays. Quelle est la spiritualité de ce saint d’un islam enraciné dans la culture sénégalaise ? Comment un mouvement religieux populaire à l’origine dans les campagnes et les champs s’est-il propagé dans les villes du Sénégal et d’Afrique de l’Ouest pour gagner l’Europe, l’Asie et l’Amérique ?

Le Magal de Touba est le pèlerinage religieux le plus impressionnant du Sénégal. Le pays en dénombre d’autres comme ceux de Tivaouane, de Médina Gounass, de Kaolack pour respectivement des branches de la Tidiania et les Niassènes. Et enfin Popenguine pour les catholiques. Vu de Dakar, celui des Mourides est celui qui est vécu comme un évènement qui mobilise et crée des embouteillages monstres et fait ressentir aux Dakarois leur situation de presqu’île, avec tous les voyageurs convergeant vers la seule porte de Rufisque pour quitter la capitale. Les gens vont d’autant plus à Touba que les pèlerins arrivés sur place ont le gite et le couvert offerts par les habitants de la ville, adeptes également de la confrérie.

Cette tradition est le berndé. Touba est une ville sainte où le foncier appartient au Khalife général des Mourides. C’est lui qui fait les lotissements et offre gratuitement la parcelle au disciple qui le demande. À Touba, l’eau est aussi un don du ciel et du Khalife général, gratuite. Ces avantages ont fait le succès de l’urbanisation et du peuplement de la ville, qui est la troisième du pays par sa population. Touba est considérée comme l’antichambre du paradis par les fidèles, l’alcool, entre autres, n’y est pas autorisé, ce qui montre sa situation de cité extraterritoriale au Sénégal. Qui est à l’origine d’une telle ferveur populaire et de cette foi qui soulève des montagnes et construit des mosquées ?

Cheick Ahmadou Bamba

La photo qu’on a de lui montre un vieillard vêtu de blanc de la tête aux pieds. Cheick Ahmadou Bamba est né en 1853 à M’Backé Baol dans une famille noble proche du roi du Cayor, Lat Dior, qui s’est opposé aux colons français lors de la construction du chemin de fer et de l’instauration de la culture de rente de l’arachide. Le fondateur de la confrérie des Mourides est un enfant du siècle où l’Afrique occidentale se bat contre la domination coloniale française, où les administrateurs coloniaux sont obsédés par ceux qui possèdent le savoir et lisent le Coran, par crainte d’une insurrection djihadiste.

Cette crainte du djihad par les colons est d’autant plus forte que la résistance a été menée pas loin du Sénégal par des rois et chefs musulmans (Samory Touré, El Hadj Omar Tall). Face au succès de l’enseignement de Cheick Ahmadou Bamba et au nombre grandissant de ses disciples, le pouvoir colonial, sans connaître l’homme et sa spiritualité, décide de l’exiler au Gabon et de disperser la confrérie. Le Gabon ne mettra pas fin au destin du marabout du Baol : il revient sept ans après, plus fort spirituellement, ayant pardonné à ceux qui en voulaient à sa vie.

Un islam pacifique, conciliant, basé sur le travail et le pardon

Son retour est glorieux et le mouvement renaît de ses cendres encore plus fort, encore plus présent dans les campagnes avec davantage d’adeptes. Il déploie sa spiritualité et sa conception de la rédemption et du salut qui passe par le travail. Elle vient du Coran qui dit : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir, et prie comme si tu devais mourir demain. » C’est ainsi que les disciples vont se lancer dans la culture arachidière, colonisant tout le centre du pays par cette monoculture, confiants qu’ils gagnent le paradis par le travail. Il est étonnamment moderne par son enseignement sur l’accomplissement de soi, et le développement personnel. Lequel peut s’exprimer par le voyage et la découverte du monde.

Les Mourides, aux quatre coins du monde, intègrent la modernité, tout en préservant la culture sénégalaise. Le Mouride vit en communauté dans les daara qui sont le creuset de la solidarité et de la spiritualité dont la purification intérieure est un volet important. Il fait allégeance au guide spirituel de son daara par qui passent ses offrandes. Il devient ainsi le talibé (disciple) du marabout qu’il a choisi. Lequel lui doit prières et bénédictions et doit être reconnu par la famille sainte par sa ferveur et sa spiritualité. La confrérie est dirigée par le khalife général qui est un descendant de Cheick Ahmadou Bamba. Après sa mort, ses fils lui ont succédé et maintenant ce sont ses petits-enfants.

Ce n’est que tard que l’administration coloniale a compris que la guerre de Cheick Ahmadou Bamba, ce n’est pas contre les colons et les non-croyants, mais celle du croyant contre lui-même, une bataille de l’âme. Il a été décoré par l’administration coloniale française pour son action et celle de sa confrérie dans l’effort de guerre lors du second conflit mondial. C’est par la non-violence, la cohésion sociale et la transformation personnelle en un être nouveau qui, par son travail, essaie de déployer tous les dons divins en lui que se mène le djihad des Mourides et non par les armes pour tuer et enlever la vie des créatures de Dieu.

C’est assurément un homme charismatique, humble et de pardon, le Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), qui fait une leçon de vie à ses disciples au lieu de recommander de fêter son retour victorieux d’exil. C’est son départ, la souffrance, l’humiliation et la privation de liberté qu’il demande de célébrer en 1922 par la lecture du Coran, la récitation des khassaïdes (écrits poétiques du Cheikh) et le berndé, distribution gratuite de mets aux fidèles et hébergement des pèlerins. Des offrandes de chameaux, bœufs, moutons, volailles et des espèces sonnantes et trébuchantes sont faites à l’occasion du Magal, qui est un moteur de développement économique avec des milliards de FCFA de retombées générées par les millions de pèlerins.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net