Introduction
Cet article est un document de vulgarisation tiré d’un article scientifique publié en 2025 suite à nos recherches sur la problématique du déplacement urbain.
Les populations forcées de fuir leurs localités se dirigent vers les zones urbaines perçues comme refuges sûrs, entraînant une augmentation spontanée de la population dans les villes d’accueil. Ce phénomène de déplacement forcé touche les villes africaines qui sont confrontées à une arrivée massive des PDI. Cette arrivée par vague de PDI dans les espaces urbains fait de l’urbanisation en Afrique subsaharienne un phénomène majeur du XXIe siècle. La ville de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, en est une illustration. La ville de Ouagadougou a accueilli à la date du 31 mars 2023, 36 426 PDI dont : 11 682 femmes, 6 258 hommes, 7 024 enfants de moins de 5 ans, 11 462 enfants de plus 5 ans (CONSAUR, 2023), posant ainsi la question de la gestion des personnes déplacées dans la capitale. L’objectif de cet article est de comprendre les motifs qui ont poussé les PDI à quitter leur localité et les raisons du choix de la ville de Ouagadougou comme refuge.
1. Méthodologie
L’objectif de l’étude étant de comprendre les motifs de départ des PDI de leurs localités d’origine, l’approche qualitative a été privilégiée, plus précisément l’entretien qui, selon Poupart (1997) permet de donner la parole à l’acteur social pour le comprendre de l’intérieur. Cette approche a permis de mener des entrevues auprès de femmes, hommes déplacés et de quelques personnes de la communauté d’accueil. La technique du choix raisonné sur la base de la prédisposition des acteurs à participer à l’enquête a guidé la constitution de l’échantillon. Le travail de terrain a permis d’échanger avec quarante-six (46) personnes : trente-trois (33) PDI dans la ville de Ouagadougou, dont seize (16) femmes, dix (10) hommes, trois (03) filles et quatre (04) garçons ; cinq (5) voisins directs de personnes déplacées internes et huit (8) citadins (un commerçant, un mécanicien, un enseignant, deux représentants d’ONG et trois représentants d’association).
2. Résultats
2.1. Motifs de départ et itinéraire du déplacement
Les personnes déplacées internes, femmes comme hommes, rencontrées relatent leurs difficiles parcours de la zone de départ jusqu’à Ouagadougou, en passant par certaines localités. Une femme Fulsé explique pourquoi et comment elle et sa famille ont quitté leur village.
Je suis Fulsé, originaire de Pobé Mengao de la province du Soum, région du Sahel. Nous avons quitté Pobé Mengao à cause des tirs et des tueries. Ils sont venus dans le village et ils ont commencés à tirer sans qu’on ne sache les raisons et nous sommes parti en fuite laissant beaucoup de morts derrière nous. Mais beaucoup aussi ont pu échapper. Quand nous avons fui de Mengao, nous sommes allés à Bourzanga et de Bourzanga nous sommes allés à Kongoussi et c’est de Kongoussi que nous sommes venus à Ouagadougou et installés à Bassinko depuis trois ans. Vous comprenez que ce sont deux raisons principales qui m’ont conduit ici : fuir la terreur et protéger ma famille, trouver du travail. [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants].
[TA] souligne que c’est dans la peur et l’angoisse qu’ils ont quitté leur villageLes terroristes sont venus nous donner un ultimatum de quitter le village, que s’ils reviennent nous trouver ils vont tous nous tuer, ils avaient déjà tué des gens dans un village voisin et venir tuer d’autres personnes dans notre village devant nous. Je ne connais pas les noms des villages mais je sais que quand nous avons fui venir à Arbinda, nous sommes partis à Barsalogho et ensuite à Kaya ; il y a d’autres villages que nous avons traversés mais je ne connais pas les noms, mais dans tous ces villages nous n’avons pas pu rester parce que là-bas aussi il n’y avait pas la sécurité et en plus on n’avait rien même pour manger [TA, FDI à Ouagadougou depuis 5 ans, Yarga, mariée polygame, 35 ans, 8 enfants].
Les personnes déplacées que nous avons rencontrées ont fui la terreur pour se réfugier dans la capitale. Elles se sont installées à la périphérie de la ville de Ouagadougou. Elles ont abandonné leurs biens pour sauver leur vie. Dans la dispersion, elles ont perdu leurs systèmes de soutien et d’entraide tels que leur famille élargie, les connaissances et le voisinage. Leur parcours a été long et complexe, marqué d’arrêt, de privation, de peur d’être rattrapé par les terroristes. Au regard du long et difficile parcours, l’on se demande pourquoi avoir choisi la ville de Ouagadougou comme zone refuge ?
2.2. Principales raisons du choix de la ville de Ouagadougou comme refuge
Les femmes et les hommes déplacées internes expliquent les raisons du choix de Ouagadougou comme zone refuge. [BA] explique les raisons du choix de la ville de Ouagadougou basées sur la recherche de protection et de sécurité.
C’est ici qu’il y a les acteurs de l’assistance et nous sommes venus pour qu’ils nous sauvent. C’est parce que nous ne pouvons plus vivre là-bas que nous sommes venus ici demander secours. Ma famille et moi, sommes arrivées à Ouagadougou depuis trois ans ; et depuis notre arrivée, nous nous sommes installés à Bassinko, dans un des quartiers périphériques de Ouagadougou [BA, FDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Fulsé, mariée monogame, 60 ans, 3 enfants].
[KR] ajoute que la ville de Ouagadougou est le lieu le plus sûr.Nous n’avons pas voulu rester à Bourzanga ou à Kongoussi parce que jusqu’à présent eux-mêmes ils ne sont pas en sécurité et chaque jour il y a des attaques mais ici nous n’avons plus peur, notre seule peur ici c’est quand nous allons entendre qu’il y a eu coup d’État. Ici nous n’avons plus peur, nous n’entendons plus les bruits des armes ; même les tirs que nous entendons ici ne nous font pas peur parce que nous savons que ce sont les militaires qui font des formations. Nous voulons seulement retourner chez nous sinon ici nous n’avons plus peur [KR, HDI à Ouagadougou depuis 3 ans, Kouroumba, marié polygame, 57 ans, 15 enfants].
Bien souvent, les personnes sont amenées à naviguer entre plusieurs endroits au gré de multiples facteurs contradictoires. La sécurité est la principale raison ; les possibilités économiques, la santé ou l’éducation en sont d’autres.
3. Discussion
La lecture des récits des personnes déplacées rencontrées montre le difficile parcours de ces derniers : un départ forcé et brusque dans la peur, le stress et l’angoisse, suivi d’un parcours semé d’embuches, la perte de son réseau de relations sociales, pour arriver à une destination inconfortable. Cela confirme les résultats de Cernea (2003, p.43) qui estime que « les déplacements forcés sont, sur les plans économique et culturel, l’équivalent à un tremblement de terre majeur qui anéantit les systèmes de production et le réseau des relations sociales ». Désemparées, les populations fuient les attaques dans l’objectif de préserver leur vie et celle de leur famille. Elles choisissent donc judicieusement leur zone de refuge. En effet, il ressort des données analysées que le choix de la capitale comme zone refuge est motivé par des raisons économiques.
Ce qui rejoint les résultats de recherches d’autres auteurs qui avancent que certains travailleurs migrent vers les régions qui leur offrent de meilleures opportunités salariales suivant une analyse coût-bénéfice individuelle (Borjas, 1989, 1990 ; Todaro, 1969 ; Harris et Todaro, 1970). Une fois dans la ville, ces déplacés internes s’installent dans les zones périphériques, surtout si elles sont à la recherche d’un travail et confrontés au manque de moyens pour accéder au logement décent (Séré, 2021). Certaines sont obligées de s’installer soit chez une connaissance ou aller en location à moindre coût avant d’accéder à la propriété.
Conclusion
L’étude a mis en lumière d’une part les principaux motifs de départ des PDI de leurs localités d’origine, d’autres parts, les principales raisons du choix de la ville de Ouagadougou comme zone refuge. Il ressort que ces déplacés ont fui les attaques terroristes pour sauver leur vie. Leurs trajectoires ont été parsemés de risques et de périls avant l’arrivée dans la capitale. Les principales raisons du choix de la ville de Ouagadougou comme refuge est le besoin de protection et de sécurité et l’accès aux opportunités économiques de la capitale.
Bibliographie
Borjas, G. J, 1989, “Economic theory and international migration”, International migration review, 23(3), pp. 457-485.
Borjas, G. J, 1990, “Friends or strangers”, The impact of immigrants on the US economy, New York, Basic Books, 274p.
CONASUR, 2023, Enregistrement des personnes déplacées internes du Burkina Faso, Ouagadougou, Ministère de l’Action humanitaire.
Harris, J. R., & Todaro, M. P., 1970, “Migration, unemployment and development : a two-sector analysis”, The American economic review, 60(1), pp. 126-142.
Poupart, J., 1997, L’entretien qualitatif : considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques. Dans J. Poupart, J.- P. Deslauriers, L. H. Groulx, A. Laperrière, R. Mayer, & A. P. Pires (Éds), La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques (pp. 173-209). Boucherville : Gaëtan Morin.
Séré, Seydou, 2021, « Une part de ville ! », Les populations migrantes en quête de territoire, GARI. Recherches et débats sur les villes africaines, 1(1), en ligne. DOI : 10.46711/gari.2021.1.1.5Thurston, Alex, 2019, “L’escalade des conflits au Burkina Faso” RLS Research papers on peace and conflict studies in West and Central Africa, 01, p. 62.
Todaro, M. P., 1969, “A model of labor migration and urban unemployment in less developed countries” The American economic review, 59(1), pp. 138-148.
Cernea, M., Michael, 2003, “Pour une nouvelle économie de la réinstallation, critique sociologique du principe de compensation”, Revue internationale des sciences sociales 2003/1, 175, pp. 39-48.
Cet article de vulgarisation est tiré de l’article scientifique intitulé : Personnes déplacées internes dans la ville de Ouagadougou : Motifs de départ et trajectoires complexes
Auteur : SAWADOGO Honorine Pegdwendé
Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de la Recherche scientifique et technologique de Ouagadougou — INSS/CNRST
Revue Africaniste Inter-Disciplinaire – RAID,
Septembre 2025 – No92, pp.71-88.
ISSN : 3006-080X, e-ISSN : 3006-0796,
Source: LeFaso.net
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