Pour mieux adapter les engrais aux réalités des sols burkinabè et aux besoins spécifiques des cultures, l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA), avec des partenaires, a mis au point de nouvelles formulations de NPK. Dans cet entretien, le coordonnateur du projet de cette recherche, le Docteur Jean Ouédraogo, revient en détail sur la genèse du projet, les résultats des tests et les perspectives d’une véritable industrie d’engrais « made in Burkina ».

Lefaso.net : Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte est née cette initiative de recherche sur les nouvelles formulations de NPK au Burkina Faso ?

Dr Jean Ouédraogo : Il faut dire que les engrais qui étaient utilisés en termes de formulation, principalement le 14-23-14, sont entrés au Burkina avec le système coton. Bien sûr, avec les autres agro-dealers du secteur des engrais, d’autres formulations ont été testées et sont actuellement utilisées par les producteurs. Cependant, ces engrais ne sont pas très bien adaptés aux conditions de nos sols ni aux besoins des cultures.

C’est de là qu’est partie l’idée de conduire un diagnostic sur la réponse des cultures aux différents nutriments et d’aller vers la formulation d’engrais qui répondent réellement à leurs besoins tout en tenant compte des caractéristiques de nos sols. Cette idée a trouvé sa concrétisation à travers un projet financé par AGRA, intitulé Optimizing Fertilizer Recommendations in Africa, qui a permis d’établir des courbes de réponse de différentes cultures aux nutriments, principalement l’azote, le phosphore et le potassium. Le présent projet également financé par AGRA vise à vulgariser deux nouvelles formulations d’engrais spécifiques au maïs et au riz.

Qu’est-ce qui a motivé la Société d’exploitation des phosphates du Burkina (SEPB) à s’impliquer dans ce projet en partenariat avec l’INERA et l’ONG AGRA ?

Un premier projet a permis de diagnostiquer la réponse des cultures aux différents nutriments. Au regard de ces résultats, l’INERA a estimé qu’il était possible de mettre en place de nouvelles formulations d’engrais répondant mieux aux besoins spécifiques des cultures. D’où le second projet, Improving Fertilizer Blends Delivery to support smallholder farmers’ resilience for Sustainable Agricultural Production in Burkina Faso, encore financé par AGRA, qui visait à proposer une formulation spécifique pour le maïs et une autre pour le riz, deux filières stratégiques pour le Burkina Faso. Dans le cadre de ce projet, il fallait formuler les engrais au Burkina Faso, et il faut saluer cette vision d’AGRA. Cela a été concrétisé à travers une convention avec la Société d’exploitation des phosphates du Burkina. Pourquoi la société s’est-elle intéressée à ces formulations ? Parce que la SEPB l’une des principales missions de la SEPB est de contribuer à la fourniture d’engrais NPK de qualité aux producteurs. Ces innovations, de par leur importance, ne pouvaient qu’être accompagnées par la société. C’est donc dans la continuité de nos actions et en accompagnement de la politique gouvernementale en matière de fertilisation des cultures que nous nous sommes engagés dans ce processus.

Les essais ont montré une meilleure performance des nouvelles formulations NPK sur le riz et le maïs. Concrètement, qu’est-ce qui différencie ces formules des produits classiques déjà présents sur le marché ?

Merci pour cette belle question. Comme je l’ai dit, ces formulations sont issues d’un diagnostic de la fertilité des sols. Elles tiennent compte des caractéristiques réelles de nos sols et des besoins spécifiques de nos cultures.

Si l’on regarde les chiffres 12-30-10 ou 12-30-10-4,5 CaO, on constate qu’ils diffèrent des formules classiques présentes sur le marché. Cette différence s’explique par les observations issues des essais : l’azote et le phosphore se sont révélés être les éléments les plus limitants pour les cultures. Comme nous disposons déjà d’engrais simples à base d’azote (urée), il fallait modifier la teneur en phosphore dans la formulation pour que l’apport d’environ 200 kilos d’engrais réponde aux besoins optimaux du maïs et du riz. Le potassium, quant à lui, n’étant pas un élément limitant pour ces cultures, ce que les essais ont confirmé, sa quantité a été réduite. Ainsi, ces engrais présentent une teneur en potassium plus faible que les formules classiques, mais une teneur en phosphore beaucoup plus élevée. C’est là toute la clé : obtenir une composition qui corresponde réellement aux besoins des cultures.

Lors d’un atelier de présentation, vous évoquiez une augmentation du taux de phosphore dans la formule. Pouvez-vous expliquer le rôle de cet élément et pourquoi il est si déterminant pour les cultures au Burkina ?

C’est une question très intéressante. Si l’on prend le phosphore d’un point de vue chimique, on distingue le phosphore total largement présent dans nos sols et le phosphore assimilable, c’est-à-dire celui que les plantes peuvent effectivement absorber. Nos sols contiennent beaucoup de phosphore total, mais très peu de phosphore assimilable, car celui-ci devient rapidement indisponible en milieu acide. Or, la plupart des sols du Burkina sont acides, notamment à cause de la culture du coton. Le phosphore joue plusieurs rôles essentiels. D’abord, il stimule la croissance racinaire, et comme chacun le sait, la plante se nourrit à travers ses racines. En favorisant leur développement, le phosphore améliore l’exploitation du sol et la nutrition des cultures. Ensuite, il intervient dans le transport de l’énergie et dans la fécondation. Un sol pauvre en phosphore induit des épis mal remplis ou incomplets, en raison d’avortements ou d’un défaut de fécondation. Le phosphore permet donc un meilleur remplissage des épis et, en synergie avec l’azote, il améliore la productivité globale.

Sur le plan technique, comment ces nouvelles formules ont-elles été testées et validées sur le terrain ? Quels critères ont guidé les choix de composition ?

Les essais ont d’abord consisté à déterminer la réponse des cultures à chaque élément nutritif de façon individuelle. À partir de ces données, nous avons dérivé les formulations applicables. Des tests ont ensuite été conduits en milieu paysan, dans différentes régions et zones agroécologiques, afin d’observer les résultats dans des conditions réelles. Nous avons fabriqué des engrais de mélange avec les nouvelles formules, identifié et formé les producteurs à leur utilisation, puis installé des parcelles de démonstration de 500 à 2 000 m² par élémentaire. Ces tests ont permis aux producteurs de constater eux-mêmes les différences en grandeur nature. En deux années d’expérimentation, les visites commentées ont confirmé l’efficacité et la performance de ces engrais, à travers les témoignages des producteurs.

« Lors des essais avec les producteurs, nous avons toujours associé l’usage des engrais minéraux à l’apport de matière organique. C’est une pratique que nous encourageons fortement, car utiliser uniquement des engrais minéraux sans matière organique, peut dégrader les sols à long terme. »

Est-ce qu’en dehors des tests, les producteurs ont acheté cet engrais pour l’utiliser ?

Plus ou moins, car les tests ont été menés au cours des deux dernières années. Mais durant la campagne agricole 2025-2026, les choses ont évolué. Le ministère de l’Agriculture a acquis près de 4 000 tonnes de ces engrais pour les subventionner au profit des producteurs. Parallèlement, AGRODIA a commandé ces formules pour les distribuer également sous subvention. Quant à la SEPB, elle les a commercialisées à travers ses distributeurs agréés. Les retours sont très positifs : tous ceux qui ont eu accès à ces engrais apprécient leur qualité et leurs performances. Certains producteurs, comme celui de Orodara, un fonctionnaire à la retraite, ont même cherché à en stocker pour être sûrs d’en disposer les années suivantes. Sur le terrain, l’engrais se comporte donc très bien.

Ces nouvelles formules tiennent-elles compte des enjeux environnementaux, notamment la préservation des sols ou la réduction des pertes d’éléments nutritifs ?

Oui, et même davantage. L’azote, par exemple, est un élément très mobile qui se perd facilement sous forme de nitrates, pouvant contaminer les eaux. Nous avons donc diminué sa teneur dans la formule. Le complément d’azote nécessaire est apporté plus tard, sous forme d’urée, de manière fractionnée. Par ailleurs, l’amélioration du rendement et de la biomasse contribue à une meilleure disponibilité des résidus de cultures. Ceux-ci peuvent être utilisés pour l’élevage ou transformés en compost pour enrichir le sol. Ainsi, ces engrais favorisent à la fois la productivité et la durabilité environnementale. Lors des essais avec les producteurs, nous avons toujours associé l’usage des engrais minéraux à l’apport de matière organique. C’est une pratique que nous encourageons fortement, car utiliser uniquement des engrais minéraux sans matière organique, peut dégrader les sols à long terme. Nous insistons donc sur la combinaison des deux approches.

À long terme, voyez-vous ces innovations comme un levier vers une véritable industrie d’engrais « made in Burkina » ?

Oui, nous y croyons fermement. Avec les résultats obtenus au cours des deux dernières années et les commandes importantes enregistrées auprès de l’État, AGRODIA et d’autres partenaires, la demande des producteurs ne cesse de croître. Ils nous sollicitent déjà pour développer des formules spécifiques pour d’autres cultures, comme l’oignon ou la tomate, notamment pour la contre-saison. Lorsque vous proposez une formulation qui résout un problème concret vécu par les producteurs, vous créez naturellement un marché. Cela stimule la production locale et favorise l’industrialisation. À la SEPB, nous voyons déjà l’impact positif de ces innovations : ces engrais sont devenus des produits phares de notre gamme, et leur succès augure d’une véritable industrie d’engrais burkinabè.

Quel message souhaitez-vous adresser aux producteurs, aux acteurs publics et aux partenaires techniques quant à l’importance d’adopter des engrais mieux adaptés à nos réalités agroécologiques ?

Aux producteurs qui ont participé aux essais ou aux visites commentées, je dirais qu’ils ont déjà constaté les résultats sur le terrain, et qu’il n’y a plus lieu de douter. À ceux qui n’ont pas encore testé ces engrais, je lance une invitation : rapprochez-vous de la SEPB, participez aux visites commentées, organisez-vous en groupements, venez voir les effets par vous-mêmes. Ces produits sont de qualité et augmentent sensiblement les rendements, tout en permettant d’économiser jusqu’à 50 kg d’engrais par hectare. Aux acteurs du développement rural et aux partenaires techniques, nous demandons d’intégrer ces formules dans leurs programmes et leurs commandes pour renforcer la productivité agricole. Nous remercions déjà le ministère de l’Agriculture, qui a largement adopté ces engrais et contribue à leur vulgarisation à travers la Direction générale des productions végétales et l’ensemble des projets du ministère. Ces nouvelles formules constituent une réelle opportunité pour atteindre, voire dépasser, les objectifs de l’offensive agricole nationale.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net