Pour Dr David Zombré, économiste du développement et de la santé et spécialiste de la santé publique, la venue du « roi des squats » au Burkina Faso a provoqué un buzz qui peut être transformé en opportunité, en occasion de renforcer notre capital le plus précieux, le capital humain. Il s’en explique à travers les lignes qui suivent.

La nouvelle de la venue du « Roi des Squats » au Burkina Faso enflamme l’opinion publique. Sur les réseaux sociaux comme dans les grins, les positions s’affrontent. Pour certains, il s’agit d’un non-événement, d’une distraction futile alors que le pays traverse des défis majeurs. D’autres n’y voient qu’une affaire de « muscles » et de « buzz » sans intérêt réel pour la nation. Quelques voix, enfin, se perdent dans des considérations triviales et se focalisent de manière obsessionnelle sur « les fesses des hommes ».

Permettez-moi de proposer une autre lecture. Et si, au lieu de nous enfermer dans la caricature, nous reconnaissions, dans cette visite, une formidable opportunité ? Et si ce « Roi des Squats » était, à son insu, un allié précieux de nos efforts de construction nationale ?

Le squat : bien plus qu’un exercice de musculation

Entendons-nous bien : le squat n’est pas un simple exercice pour développer des fessiers photogéniques. Le squat, c’est le mouvement fonctionnel le plus fondamental de l’être humain. C’est le geste ancestral de s’asseoir et de se relever. C’est l’action de ramasser une charge au sol. C’est un mouvement de force, d’équilibre et de survie qui traverse toutes les cultures.

Or, notre pays est aujourd’hui un vaste chantier. L’initiative présidentielle « Faso Mêbo » mobilise des milliers de volontaires et d’artisans dans un élan remarquable de construction collective. Quel est le geste quotidien de ces bâtisseurs courageux ? S’accroupir, soulever des pavés, se relever, s’accroupir pour les poser. Des centaines de fois par jour. Sous le soleil. Dans l’effort.

Une opportunité de prévention sanitaire — et économique

La venue d’un spécialiste africain reconnu de ce mouvement constitue une aubaine extraordinaire. Comme c’était prévu, imaginez : une « masterclass » géante sur les gestes et les postures de travail ! Apprendre à exécuter correctement un squat n’est pas une question d’esthétique, c’est de la prévention des accidents du travail. C’est de l’ergonomie appliquée. C’est de la médecine du travail en action.

Soyons concrets. La science (l’ergonomie, la biomécanique) et nos valeureux médecins nous disent qu’un travailleur qui soulève un pavé avec le dos rond s’expose à la lombalgie chronique ou à une hernie discale. Il devient alors un fardeau pour le système de santé et une force de travail perdue pour la nation. En revanche, un travailleur qui utilise la technique correcte du squat — dos droit, force des jambes, engagement du tronc — protège sa colonne vertébrale, préserve sa santé et peut continuer à bâtir le pays dignement.

Protéger les dos de nos volontaires, préserver les genoux de nos artisans, garantir que cet effort de construction ne se transforme pas demain en une épidémie de lombalgies, d’hernies discales et d’invalidités précoces — voilà l’enjeu réel. Le timing ne pourrait pas être plus pertinent. En matière de santé publique, c’est une intervention au moment opportun. C’est une formation professionnelle à ciel ouvert.

Un symbole pour notre jeunesse

Au-delà des chantiers, cet homme porte en lui un message d’une force singulière. À l’heure où nos systèmes de santé ploient sous le poids des maladies non transmissibles — invalidités précoces, diabète, hypertension, accidents vasculaires cérébraux —, la promotion de l’activité physique devient un enjeu de souveraineté sanitaire. La visite d’une figure mondiale du fitness constitue la plus belle campagne de sensibilisation que nous puissions offrir à notre jeunesse. Elle rappelle que la discipline, le soin de son corps et le dépassement de soi sont des valeurs cardinales pour construire une nation forte et résiliente.

Pragmatisme ou fausse morale ? Le choix nous appartient

Plutôt que de critiquer l’emballage, examinons le contenu. Ne voyons pas seulement un influenceur — voyons plutôt un formateur potentiel. Ne voyons pas seulement des « muscles fessiers » — voyons plutôt une leçon de biomécanique essentielle pour nos travailleurs. Ne voyons pas une « distraction » — voyons une source d’inspiration et d’éducation sanitaire.

Là où certains voient de l’« immoralité », regardons la biomécanique. Là où d’autres voient une « dépravation », saisissons une opportunité de santé publique. Ne nous trompons pas de combat. Laissons la « fausse morale » à ceux qui préfèrent se concentrer sur des détails anatomiques. Concentrons-nous sur le pragmatisme révolutionnaire : nous avons besoin de dos solides, de genoux fonctionnels et de corps en santé pour bâtir le Burkina Faso.

Et si c’est vraiment son collant moulant qui pose problème à certains — cette tenue qui met en évidence son anatomie —, la solution est d’une simplicité désarmante : demandons-lui tout simplement de porter un pantalon de sport ou un short ordinaire lors de ses démonstrations publiques au Burkina. Voilà. Le tour est joué. Problème résolu. Nous sommes un peuple de dialogue et de compromis intelligents. Adaptons la forme sans sacrifier le fond. Préservons la pudeur qui caractérise notre culture tout en capturant l’essence de son message : la santé par le mouvement.

Conclusion : Investir dans notre capital humain

Saluons cette initiative pour ce qu’elle est : une occasion de renforcer notre capital le plus précieux — notre capital humain. Car pour bâtir « Faso Mêbo », pour édifier le Burkina de demain, nous avons besoin de tous les bras. Mais surtout, nous avons besoin de dos solides, de corps en santé et d’un moral d’acier.

La vraie « déchéance » serait de laisser nos volontaires se briser le dos par ignorance, alors que nous avons l’occasion d’apprendre les bons gestes. Si la visite de ce coach peut contribuer à protéger ne serait-ce que 10% de nos travailleurs, ce sera une victoire pour le travail, la science et la santé que nous chérissons tous.

Le « Roi des Squats » vient au Burkina ? Transformons ce buzz en opportunité. Après tout, bâtir une nation, comme faire un squat, commence par un bon ancrage au sol — et par la force de se relever.

Dr David Zombré

Économiste du développement et de la santé

Spécialiste de la santé publique

Source: LeFaso.net