
Étudiant en Intelligence artificielle (IA) et internet des objets à l’université des sciences et technologies de Chine (USTC) à Hefei, au sud du pays, Ézéchiel Ouédraogo fait partie du lot d’étudiants burkinabè transférés de Taiwan en République populaire de Chine après la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays en 2018. En année de master dans le domaine de l’IA, l’étudiant entend retourner au bercail après ses études pour mettre son expérience au service de son pays. Ce retour pour lui, est avant tout un sentiment d’amour pour son pays mais aussi un devoir. La langue, le transfert de Taiwan en République populaire de Chine, ses projets futurs…, il s’est confié à Lefaso.net dans cette interview. Lisez !
Lefaso.net : Comment êtes-vous arrivé en Chine dans le cadre de vos études ?
Ézéchiel Ouédraogo : Mon parcours est assez particulier et s’inscrit dans un contexte diplomatique important pour le Burkina Faso. En fait, je fais partie de la première promotion à venir en Chine après la reprise des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la République populaire de Chine en 2018. Au départ, nous avions été sélectionnés par l’ambassade de Taïwan pour poursuivre des études supérieures à Taïwan. Nous avions passé tout le processus de sélection et étions prêts à partir.
Mais juste avant notre départ, il y a eu la rupture des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et Taïwan, suite à la décision du gouvernement burkinabè de reconnaître la politique d’une seule Chine. Cette situation aurait pu compromettre nos projets d’études, mais heureusement, des discussions ont été rapidement engagées entre les nouveaux responsables de la diplomatie chinoise et le ministère burkinabè des Affaires étrangères. Grâce à ces négociations, nous avons été transférés en Chine continentale. Le gouvernement chinois a accepté de nous accueillir et de nous offrir les mêmes opportunités d’études.
C’est ainsi que je me suis retrouvé en Chine en septembre 2018. Nous avons d’abord été accueillis dans un centre de langue à Beijing pour une année d’apprentissage intensif du mandarin, ce qui était essentiel pour pouvoir suivre nos cursus universitaires. Ensuite, j’ai intégré mon programme de bachelor, et aujourd’hui je poursuis mon master à l’USTC.
Je dirais que nous avons été, d’une certaine manière, les témoins et les bénéficiaires directs de ce tournant diplomatique historique entre nos deux pays.
Comment avez-vous vécu vos premiers moments ?
Mes premiers moments en Chine sont gravés dans ma mémoire ! Dès notre arrivée à l’aéroport, des compatriotes burkinabè, auparavant à Taiwan, sont venus nous chercher. C’était très rassurant de voir des visages familiers dans cet environnement totalement étranger. Ils nous ont immédiatement pris sous leurs ailes et nous ont accompagnés pour nos premières sorties : aller au restaurant pour découvrir la cuisine chinoise, faire nos premiers achats pour nous installer, nous expliquer comment utiliser les applications mobiles indispensables comme WeChat et Alipay. Leur présence et leurs conseils ont vraiment facilité notre adaptation.
Mes premières impressions étaient un mélange de confusion et d’émerveillement. Je me sentais un peu perdu dans cette immense métropole futuriste qu’est Beijing. Tout était nouveau, différent, parfois déroutant : les caractères chinois partout, les sons de la langue, les habitudes culturelles…
Mais en même temps, j’étais complètement ébloui ! Le système de transport m’a particulièrement impressionné : le métro moderne, rapide, propre, avec des stations qui ressemblent à des œuvres d’art. La technologie omniprésente dans la vie quotidienne : le paiement mobile, la digitalisation de tout… C’était comme entrer dans le futur.
Grâce au soutien de nos aînés burkinabè et à l’année d’apprentissage de la langue qui a suivi, j’ai pu progressivement passer de ce sentiment d’être perdu à celui de me sentir de plus en plus à l’aise dans cet environnement. Aujourd’hui, je peux dire que la Chine est devenue ma deuxième maison.
Avez-vous des nouvelles du pays ?
Oui, absolument ! Grâce à internet, nous restons constamment informés de ce qui se passe au pays. Le gouvernement, les journaux, les entreprises et pratiquement tout le monde sont maintenant sur les réseaux sociaux, ce qui nous permet de rester au parfum de l’actualité nationale. Nous suivons de près l’évolution politique, économique et sociale du Burkina Faso. Au-delà des nouvelles générales du pays, les réseaux sociaux me permettent également de garder un contact étroit avec ma famille et mes amis.
Qu’est-ce qui a justifié le choix de la Chine pour poursuivre votre formation ?
Plusieurs raisons ont motivé ce choix, et je dirais que c’était une combinaison de facteurs académiques, linguistiques, et économiques. D’abord, la qualité de la formation. La Chine offre une formation de pointe, comme en témoignent ses innovations remarquables dans de nombreux domaines : les technologies de l’information, l’intelligence artificielle, les télécommunications avec la 5G, les énergies renouvelables, l’aérospatiale, et bien d’autres. Le classement des universités chinoises au niveau international ne cesse de progresser. Des institutions comme l’université des Sciences et technologies de Chine où j’étudie, Tsinghua, ou Peking University figurent régulièrement parmi les meilleures universités mondiales.
De plus, la Chine investit massivement dans la recherche et le développement, avec des laboratoires ultramodernes et des infrastructures de pointe. Pour quelqu’un qui s’intéresse à l’IA et à l’internet des objets comme moi, c’est l’endroit idéal pour être au cœur de l’innovation technologique mondiale.
Ensuite, la langue chinoise constituait une motivation très importante. Le mandarin est l’une des langues les plus parlées au monde avec plus d’un milliard de locuteurs. Dans un monde de plus en plus globalisé, maîtriser cette langue représente un avantage compétitif considérable.
L’Afrique et le Burkina Faso en particulier tissent de plus en plus de relations profondes avec la Chine dans tous les domaines : commerce, infrastructures, coopération technique, échanges culturels. Les entreprises chinoises sont très présentes sur le continent africain, et réciproquement, de plus en plus d’entreprises africaines cherchent à établir des partenariats avec la Chine. C’est donc un atout non négligeable, voire indispensable, de pouvoir comprendre la langue et la culture chinoises pour faciliter ces échanges et cette coopération.

Enfin, l’accessibilité des bourses. Soyons réalistes : même si le niveau de vie en Chine n’est pas aussi élevé qu’en Occident, vivre et étudier à l’étranger reste toujours très coûteux pour une famille ordinaire burkinabè. Les frais de scolarité, le logement, la nourriture, les déplacements… tout cela représente un investissement important.
La Chine offre de nombreuses bourses aux étudiants étrangers, notamment à travers des programmes comme la bourse du gouvernement chinois (CSC), les bourses des universités, et d’autres initiatives bilatérales entre la Chine et le Burkina Faso. Ces bourses couvrent généralement les frais de scolarité, le logement, et offrent même une allocation mensuelle pour les dépenses quotidiennes. Sans ce soutien financier, il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, pour moi de poursuivre des études supérieures à l’étranger. C’est donc l’une des raisons déterminantes pour lesquelles j’ai choisi la Chine.
Comment est née votre passion pour l’intelligence artificielle ?
Ma passion pour l’intelligence artificielle est le fruit d’un cheminement progressif qui a commencé très tôt. Depuis mon jeune âge, j’ai été passionné de technologie, particulièrement l’informatique. J’étais ce genre d’enfant qui voulait toujours comprendre comment les choses fonctionnaient : comment un ordinateur pouvait exécuter des programmes, comment internet connectait le monde entier, comment les logiciels étaient créés. Cette curiosité naturelle m’a naturellement orienté vers des études en informatique.
Le véritable déclic est survenu pendant mon parcours de bachelor, lorsque j’ai suivi un cours d’introduction à l’intelligence artificielle. Ce cours m’a littéralement ouvert les yeux sur un nouveau monde de possibilités. J’ai pu voir le potentiel immense que l’IA représentait : des machines capables d’apprendre par elles-mêmes, de reconnaître des patterns complexes, de prendre des décisions intelligentes, d’interagir avec les humains de manière naturelle. C’était fascinant !
Ce qui m’a particulièrement captivé, c’est la polyvalence de l’IA. Contrairement à d’autres domaines plus spécialisés, l’intelligence artificielle peut être appliquée à pratiquement tous les secteurs : la santé pour améliorer les diagnostics médicaux, l’agriculture pour optimiser les rendements, l’éducation pour personnaliser l’apprentissage, les transports pour créer des systèmes autonomes, la finance, la sécurité, et bien d’autres encore.
Quelles sont vos ambitions après vos études ?
Mes ambitions se déclinent en plusieurs étapes, qui correspondent à mon parcours actuel et à ma vision à long terme.
À court terme, mon ambition première est d’apprendre et d’innover. Je suis conscient de la chance exceptionnelle que j’ai : je me trouve dans l’une des meilleures universités au monde, l’Université des Sciences et technologies de Chine, qui dispose d’infrastructures de recherche de pointe et d’un personnel académique extrêmement compétent. C’est un environnement particulièrement propice pour l’apprentissage académique et la recherche de haut niveau.
Je veux profiter au maximum de cette opportunité pour approfondir mes connaissances en Intelligence artificielle et en internet des objets, participer à des projets de recherche innovants, publier des articles scientifiques, et repousser les frontières de ce qui est possible dans mon domaine. L’excellence académique est pour moi la base solide sur laquelle tout le reste va se construire.
Dans la même lancée, j’ai également l’ambition d’acquérir des expériences professionnelles concrètes en entreprise. La théorie académique est essentielle, mais l’expérience pratique en milieu professionnel l’est tout autant. Je souhaite faire des stages ou travailler dans des entreprises technologiques, idéalement celles qui sont à la pointe de l’innovation en IA et IoT.
Cela me permettrait de comprendre comment ces technologies sont déployées à grande échelle, comment on gère des projets complexes, comment on travaille en équipe multidisciplinaire, et surtout comment transformer des idées brillantes en produits et services qui résolvent de vrais problèmes. Cette double compétence académique et professionnelle est cruciale pour ce que j’envisage pour la suite.
À long terme, mon ambition ultime est d’avoir un impact réel quand je serai de retour au pays. Tout ce que je fais aujourd’hui, l’apprentissage, la recherche, l’expérience professionnelle, est au service de cet objectif final.
Je veux contribuer au développement technologique du Burkina Faso de manière concrète. Cela pourrait prendre plusieurs formes : participer à la recherche et à l’enseignement dans les universités burkinabè pour former la prochaine génération d’experts, travailler avec le gouvernement ou des organisations pour déployer des solutions technologiques adaptées aux défis locaux, ou même créer une entreprise technologique qui développe des produits et services innovants pour le marché africain.
L’idée, c’est de ne pas être simplement un consommateur de technologies importées, mais de devenir un acteur du développement technologique, quelqu’un qui crée, qui innove, et qui adapte les technologies de pointe aux réalités et aux besoins spécifiques de notre contexte africain.
En résumé, mes ambitions suivent une trajectoire claire : exceller académiquement ici en Chine, acquérir une solide expérience professionnelle, puis retourner au pays avec les compétences, les connaissances et le réseau nécessaires pour faire une différence significative dans le développement du Burkina Faso.
Quelle nuance-a-t-on entre l’usage de l’IA en Chine et celle au Burkina Faso ?
La différence est considérable, tant au niveau du déploiement que de l’adoption de l’intelligence artificielle dans les deux pays.
En Chine, l’IA est omniprésente et profondément intégrée dans la vie quotidienne. On la rencontre partout : dans les systèmes de reconnaissance faciale pour les paiements et la sécurité, les assistants vocaux intelligents, les recommandations personnalisées sur les plateformes de e-commerce et les réseaux sociaux, les voitures autonomes en phase de test dans plusieurs villes, les systèmes de surveillance intelligents, la télémédecine assistée par IA, et même dans l’agriculture avec des fermes intelligentes.
De plus, il y a une culture d’adoption technologique très forte chez les citoyens chinois. Les gens sont habitués à utiliser des applications intelligentes pour pratiquement tout : commander de la nourriture, réserver un transport, payer, accéder aux services gouvernementaux. Cette acceptation sociale facilite grandement le déploiement de nouvelles technologies d’IA.
Au Burkina Faso, par contre, nous en sommes encore aux premiers stades de l’adoption de l’IA. L’usage reste limité et concentré principalement dans quelques secteurs spécifiques ou projets pilotes. Il y a plusieurs raisons à cela.
D’abord, les infrastructures numériques sont encore en développement. L’accès à internet reste limité, surtout dans les zones rurales. La connexion est souvent lente et coûteuse. L’électricité n’est pas encore accessible partout de manière stable, ce qui constitue un frein majeur au déploiement de technologies avancées.
Ensuite, il y a une question de priorités. Le Burkina Faso, comme beaucoup de pays africains, fait face à des défis plus fondamentaux : l’accès à l’eau potable, à l’éducation de base, aux soins de santé primaires, à la sécurité alimentaire. Dans ce contexte, l’IA n’est pas encore perçue comme une priorité immédiate, même si elle pourrait justement aider à résoudre certains de ces défis.
Enfin, il y a un manque de ressources humaines qualifiées. Peu de professionnels sont formés aux technologies d’IA, et les universités commencent à peine à intégrer ces disciplines dans leurs programmes. Sans expertise locale, il est difficile de développer et déployer des solutions d’IA adaptées à nos réalités.
La nuance principale, je dirais, c’est que la Chine est dans une phase de déploiement massif et d’optimisation de l’IA, tandis que le Burkina Faso est dans une phase de sensibilisation et d’expérimentation.
Les autorités actuelles invitent les étudiants à retourner au bercail après leur formation pour servir le pays. Seriez-vous vraiment prêt à revenir au Burkina Faso pour mettre vos compétences au service de la nation ?
Absolument, et sans la moindre hésitation. L’objectif final, c’est bien sûr de retourner au pays, par amour et par devoir. Vivre en Chine, c’est voir tous les jours ce qu’une société peut offrir de meilleur en termes d’infrastructures, d’innovation et de développement. Naturellement, on aspire à la même chose pour les siens. J’espère donc avoir la chance d’apporter ma pierre à la construction de notre pays et de contribuer à son développement, particulièrement dans le domaine des technologies émergentes.
Quelle appréciation faites-vous des formations offertes par la Chine ?
Mon appréciation est très positive. Les formations sont très variées. La Chine propose un large éventail de programmes, notamment en ingénierie, médecine, informatique, commerce international, sciences sociales et technologies émergentes comme l’IA, les énergies renouvelables, ou encore la robotique.
Concernant la qualité, comme je l’ai mentionné précédemment, les universités chinoises investissent massivement dans la recherche et disposent d’infrastructures modernes. Les laboratoires sont bien équipés et les professeurs sont souvent à la pointe de leurs domaines respectifs. De plus, l’approche pédagogique combine théorie et pratique, ce qui est particulièrement bénéfique dans des domaines techniques comme le mien.
À combien peut-on estimer le nombre de la communauté estudiantine en Chine ?
Je ne saurais donner un chiffre exact. Les étudiants arrivent en Chine par différents moyens : agences privées, DGCOB, bourses universitaires directes, etc. Il est donc difficile, voire impossible, d’avoir un recensement précis.
L’ambassade du Burkina Faso en Chine organise parfois des recensements et dispose certainement de chiffres plus fiables. Ce que je peux dire, c’est que la communauté estudiantine burkinabè en Chine est en croissance constante.
Quel message avez-vous à l’endroit de vos compatriotes au Burkina Faso ?
J’aimerais dire à la jeunesse burkinabè : croyez-en vous et en vos rêves, investissez dans votre éducation et l’acquisition de compétences, car c’est le plus grand atout qu’on puisse avoir. Soyez ouverts au monde, profitez de toutes les opportunités qui se présentent, mais n’oubliez jamais que notre pays a besoin de nous. Le développement du Burkina Faso viendra de nous, les Burkinabè. Chacun à son niveau peut contribuer à bâtir le pays dont nous rêvons tous. Ensemble, nous pouvons construire un Burkina Faso plus prospère et plus innovant. Restons fiers et déterminés ! Que Dieu bénisse le Burkina Faso !
Interview réalisée en ligne par Serge Ika Ki, à Pékin
Lefaso.net
Source: LeFaso.net

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