En marge de la célébration de la Journée des coutumes et traditions, le musée de la femme de Kolgondiessé (situé à Ziniaré) de la promotrice Yabré Juliette Kongo, par ailleurs princesse du Moogho, a organisé, mercredi 14 mai 2025, une conférence publique sur la diplomatie coutumière. Elle a été animée par Pr Urbain Amoa de la Côte d’Ivoire, homme de culture et expert de la diplomatie coutumière, sur le thème « Valorisation des valeurs endogènes de cohésion sociale pour un Burkina Faso libre et prospère à travers la diplomatie coutumière ». Il a passé en revue les mécanismes endogènes de résolution des conflits et la contribution de la diplomatie coutumière au renforcement de la cohésion sociale et à l’instauration d’une paix permanente.

Depuis 2024, le Burkina Faso célèbre, chaque 15 mai, la Journée des coutumes et traditions. C’est en marge de cette deuxième édition que Yabré Juliette Kongo organise une série d’activités pour un « retour aux sources », parmi lesquelles figure la conférence publique animée par Pr Urbain Amoa. Il faut savoir que Urbain Amoa est entre autres un universitaire ivoirien, homme de culture, titulaire de la chaire de la diplomatie coutumière africaine, officier des arts et des lettres, ambassadeur UNESCO de la chaire de la culture et de la paix, expert de la diplomatie coutumière.

Qu’est-ce que la diplomatie coutumière ?

D’entrée de jeu, Pr Urbain Amoa a cherché à éclairer la lanterne des participants en définissant la diplomatie coutumière. Pour lui, elle n’est pas que culturelle, parce qu’on peut faire des activités culturelles sans que cela relève d’un rapprochement des peuples. « La diplomatie coutumière, c’est l’ensemble des méthodes, des stratégies qui permettent de prendre appui sur nos valeurs et civilisations, sur nos mécanismes et nos infrastructures (les bois sacrés, les rivières sacrées) pour aller vers la quête d’une paix non pas durable, mais permanente, par approche consensuelle », a-t-il précisé.

Le conférencier, le Pr Urbain Amoa, a remis des présents (des pagnes traditionnels baoulé) à remettre au président du Faso et à l’épouse du Premier ministre

Et cela donne un concept, un fondement théorique que Pr Urbain Amoa appelle le consensualisme démocratique, contraire au constitutionnalisme démocratique. Toujours selon le conférencier, il faut passer par une méthode qu’il nomme « l’immersionisme cognitiviste », qui consiste à « se noyer dans l’espace où se déroule le conflit, pour en saisir les vibrations et jusqu’à découvrir le nœud caché et le vecteur ou le porteur du nœud caché, pour aller vers une paix perpétuelle. »

Photo de famille

Pour Pr Urbain Amoa, la diplomatie coutumière africaine n’est pas non plus la diplomatie africaine, car, selon lui, pour parler de la diplomatie africaine, il aurait fallu pour cela avoir une Afrique unie, une Afrique comme un État fédéral, comme l’on pourrait parler de la diplomatie américaine. « La diplomatie coutumière africaine n’est pas non plus une diplomatie transactionnelle ou transitionnelle, ce n’est pas quelque chose d’aléatoire. La diplomatie coutumière africaine, c’est l’ensemble des pratiques et des mécanismes, mais aussi des infrastructures qui permettent d’aller vers une alliance, vers la recherche permanente et non durable, car en fait, la durabilité n’est durable que par rapport à un temps de durée déterminée », a-t-il soutenu.

Renforcer la paix et la cohésion sociale

« Face aux incompréhensions internes que nous avons dans nos villes, dans nos pays, n’est-ce pas la question d’une mauvaise orientation des modes de gouvernance ? Les extrémismes que nous développons, n’est-ce pas le fait de n’avoir pas mis en route des mécanismes qui nous sont propres ? Le nœud caché du problème, c’est quoi ? Pourquoi le terrorisme ? Le terrorisme ne reconnaît-il pas vraiment la puissance de la chefferie et des valeurs spirituelles africaines ? Ne s’est-on jamais écouté vraiment dans la case de l’autre ? », s’est interrogé Pr Urbain Amoa, avant d’aborder la contribution de la diplomatie coutumière dans la résolution des conflits dans l’Afrique d’antan.

Pr Amoa a indiqué que la résolution d’un conflit par la diplomatie quotidienne a au moins trois niveaux. Le premier niveau, c’est la case, les concertations à huis clos. Le deuxième niveau, c’est le bois sacré, les divinités. Et le troisième niveau, c’est la place publique.

Le Pr Urbain Amoa, conférencier du jour sur la diplomatie coutumière africaine

« Et il y a une sélection qui s’opère de façon à ce qu’entre la case, la présélection et la place publique, on choisisse de dire ce qu’il y a à dire par consensus. D’où la théorie du consensualisme démocratique contre la théorie du constitutionnalisme démocratique. Pourquoi tant de coups d’État en Afrique ? Comment choisissons-nous ? Comment choisissons-nous nos chefs, nos rois ? Est-ce que, dans un pays ou dans un village où il y a 100 habitants, je peux recenser tout le monde pour des élections ? Ce n’est pas si certain que ça. Quand bien même, le jour du vote, 50 personnes sur 100 votent. Celui qui va être élu, à supposer qu’il ait 30 voix, il est donc président de qui ? Président de 30 personnes ou président de 100 personnes ? C’est-à-dire, ontologiquement, à l’intérieur de nous-mêmes déjà, nous partons sur une base où il n’y a pas de consensus et où on ne peut qu’à 70 déjà contester l’autorité du représentant des 30. Nous sommes là dans la dynamique d’une certaine vision. L’Afrique ancienne aurait certainement favorisé la recherche des concertations par approche circonscrite et jusqu’à aller vers ce que j’appelle le consensualisme démocratique. Or, pour obtenir le consensualisme démocratique, il faut une méthode. Et la méthode, en diplomatie coutumière, c’est l’immersionnisme cognitif. Se noyer dans l’espace jusqu’à comprendre le non-dit et à sentir les vibrations mystiques de la terre, des arbres, des choses pour pouvoir aller vers plus haut, pour aller en avant », a-t-il développé.

Intérêt scientifique de la conférence

Pr Alain Joseph Sissao est directeur de recherche à l’Institut des sciences des sociétés (INSS) et modérateur de la conférence. À l’entendre, cette conférence a un intérêt scientifique dans la mesure où le conférencier a parlé de la diplomatie coutumière qui, selon lui, est une pratique endogène qui permet de questionner les traditions africaines, pour puiser les fondements de cette diplomatie coutumière qui est essentiellement axée sur quatre piliers développés par le conférencier, Pr Urbain Amoa. Il s’agit notamment du pilier de la vérité, du pilier scientifique, du pilier historique, du pilier divin et enfin du pilier de la réconciliation.

Pr Alain Joseph Sissao, directeur de recherche à l’Institut des sciences des sociétés et modérateur de la conférence

« Cette conférence nous a enrichis dans la mesure où cela permet à l’Afrique, au Burkina Faso, de pouvoir s’interroger sur les mécanismes endogènes de règlement des conflits qui peuvent être un socle pour résoudre un certain nombre de conflits traditionnels, mais aussi modernes. Comment le Burkina Faso peut s’interroger sur les conflits qu’il traverse actuellement et sur quelles bases il peut puiser dans ses traditions, son identité pour résoudre ces conflits, au regard de ce que nous traversons actuellement, notamment la question sécuritaire ? », a-t-il indiqué.

Permettre aux jeunes de connaître leur identité

À en croire son initiatrice, Yabré Juliette Kongo, cette conférence vise à donner la possibilité aux jeunes de connaître leur identité, de savoir que, dans l’Afrique antique, il y avait des mécanismes qui permettaient de vivre en harmonie.

Yabré Juliette Kongo, princesse du Moogho et initiatrice de cette conférence

« Quand on parle de diplomatie, ce sont des questions de peuples. Ce n’est pas une question politique, mais des questions de peuples. L’Afrique a toujours vécu en symbiose, ce sont les Occidentaux qui sont venus nous mélanger. Il faut que nous repartions à notre source pour avoir la possibilité d’être nous-mêmes, d’avoir la capacité d’éduquer nos enfants et de les orienter selon ce que nous voulons. Ce qui est venu de l’extérieur, ce n’est pas mauvais, mais y a beaucoup de choses qui ne correspondent pas à nous, à nos valeurs. Nous avons envie de donner la possibilité à nos enfants de vivre et de penser Afrique. Que nous arrêtions de parler de nos morceaux de terre qui ne sont que des fractions faites par les Occidentaux. Nous devons donc travailler en symbiose pour atteindre le développement durable. Et ce développement durable ne viendra que de nous-mêmes. C’est pour ça que nous parlons d’endogénéité et c’est pour ça que nous sommes fiers aujourd’hui que le président Ibrahim Traoré ait choisi la date du 15 mai pour donner la possibilité aux valeurs endogènes de faire leur promotion », a insisté Yabré Juliette Kongo.

De son côté, Aoua Carole Bambara/Congo, directrice de l’INSS, dit avoir suivi avec beaucoup d’intérêt cette conférence publique sur la diplomatie coutumière et le retour aux sources. Elle s’engage à renforcer les travaux sur le patrimoine culturel pilotés par son institut, avec la contribution du conférencier du jour.

Aoua Carole Bambara/Congo, directrice de l’INSS

« J’ai suivi cette conférence avec beaucoup d’intérêt, parce que là, c’est véritablement un retour à nos sources. Pr Amoa nous a vraiment entretenus sur ce qui est essentiel pour nous en tant qu’Africains, avec tout ce qui entoure la diplomatie coutumière. Comme l’a dit l’honorable Juliette Kongo, cette diplomatie existait, mais il y a eu des entraves avec la colonisation et nous avons beaucoup perdu de nos traditions, de nos valeurs ancestrales. Et ce retour aux sources, il fallait en parler ; nous en avons parlé, nous avons échangé. Et l’INSS repart satisfait parce qu’il y a des perspectives. Nous avions déjà engagé des travaux sur le patrimoine culturel et nous allons les renforcer avec notre frère, Pr Amoa, qui est venu nous redonner encore des forces d’avancer, et nous allons avancer main dans la main avec les frères africains. C’est essentiel et j’estime que la recherche et l’enseignement supérieur ont des devoirs à ce niveau et nous allons y travailler », a confié Aoua Carole Bambara/Congo.

Mamadou Zongo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net