Au secteur 17 de Bobo-Dioulasso, au marché de Sarfalao, des vendeuses proposent de l’huile et du sel reconditionnés. Pratiques courantes dans la ville et dans l’ensemble du pays, elles soulèvent pourtant des questions sur l’hygiène, la traçabilité et les risques nutritionnels pour les consommateurs. De passage dans la ville dans le cadre d’une caravane de presse, des journalistes ont pu voir les habitudes aussi bien chez les vendeurs que chez les consommateurs.

Bobo-Dioulasso, quartier Sarfalao au secteur 17. En cette fin de matinée de mai 2025, le soleil tape légèrement sur le marché de Sarfalao. Les allées sont animées. Entre les étals de légumes, les marchandises diverses, des voix de vendeuses, vendeurs et de clients bourdonnent. Sur de nombreuses tables en bois, quelques bouteilles plastiques recyclées, de tailles diverses, contiennent de l’huile reconditionnée manuellement. D’autre part, le chlorure de sodium (sel) est vendu en poudre et en granulés. Visiblement, la plupart des produits alimentaires de base sont vendus au détail. Assise sur un tabouret en bois, Mamounata Sanou expose devant elle l’huile en différentes quantités. Sur sa table, des bouteilles usagées de jus, d’eau minérale ou de boisson gazeuse dont l’étiquette est toujours présente sont soigneusement remplies à ras bord.

« Nous vendons l’huile en fonction du pouvoir d’achat de tous les clients », Mamounata Sanou

« Voici le bidon de 20 litres. Je mesure de petites quantités que les femmes achètent pour la cuisine. Je prends cette marque d’huile parce que c’est ce que les grossistes me proposent. Les prix varient en fonction de la période et des marques », explique la jeune dame qui affirme n’avoir pas encore été sensibilisée à l’importance de vendre l’huile fortifiée en vitamine A aux consommateurs. Mamounata achète souvent ses bidons d’huile de 25 litres à 19 000 francs CFA, mais elle a acheté l’huile actuelle qu’elle revend à 18 500 francs CFA. La commerçante indique qu’il y a des marques qui coûtent 17 500 francs CFA pour la même quantité. « Je vends la bouteille d’un litre à 1 000 francs CFA, le demi-litre à 550 francs CFA et le quart de litre à 250 francs CFA », informe la détaillante du liquide gras.

Dans ce marché, l’huile est généralement versée dans les bidons de fortune à l’aide d’un entonnoir, souvent sans gants ni désinfection préalable. Le nom du fabricant et la date de péremption sont le cadet des soucis des revendeurs. Du moment que l’huile semble propre et est bon marché, personne n’y prête attention.

À quelques mètres de la table de Mamounata Sanou, à l’ombre d’un hangar en tôles ondulées, Zénabo Ouédraogo vend du sel. Elle le conditionne dans des sachets plastiques. Près de ses marchandises, des sacs estampillés « Sel iodé » sont déposés. « J’achète le sac de sel au grand marché à 3 750 francs CFA. Je revends ça en petites quantités à 600 francs le kilogramme et 300 francs le demi-kilogramme. Il y en a aussi pour 150 francs CFA. C’est du bon sel qui est bien blanc », confie-t-elle en brandissant un des sacs vides. À la question de savoir comment la vendeuse s’assure de la qualité du sel qu’elle propose, elle répond : « C’est quand je vois l’image d’un homme avec son enfant que je reconnais le bon sac. Il y a des sacs avec des écritures vertes, mais le dessin de l’homme et son enfant est absent. »

Zénabo Ouédraogo affirme vendre du sel iodé

Un potentiel danger sanitaire

Présente avec les journalistes dans le marché, Jacqueline Bationo Dindané, nutritionniste à la direction de la nutrition du ministère de la Santé, indique que ces pratiques posent de sérieuses questions en matière de sécurité alimentaire.

« Le premier constat, c’est que ces aliments sont reconditionnés dans des bouteilles. D’une première observation, on ne peut pas savoir si ces aliments sont enrichis en vitamines ou pas », explique-t-elle. Elle attire l’attention sur la difficulté à identifier une huile enrichie en vitamine A lorsque le contenant d’origine a disparu ou est peu renseigné. « Il faut vraiment demander à voir le bidon d’origine au propriétaire pour savoir si l’huile est enrichie ou pas. À première vue, ce n’est pas visible chez ces revendeuses. » Même constat selon la nutritionniste pour le sel, souvent mis en sachets sans indication.

« Si le consommateur ne demande pas expressément, il ne saura pas si le sel est iodé ou non. Il faut voir le sac d’origine pour s’en assurer. » Mais au-delà des aspects nutritionnels, Jacqueline Bationo pointe également les risques sanitaires liés aux conditions de reconditionnement. Elle plaide donc pour une responsabilité partagée entre producteurs, commerçants et autorités sanitaires. « Ce n’est pas totalement de la faute des revendeurs. Il faut que les producteurs proposent des conditionnements plus petits : 0,5 litre, 0,3litre, pour faciliter la vente au détail. En attendant, les commerçantes doivent utiliser des contenants vraiment propres et protéger les aliments du soleil. » Son message s’adresse aussi aux consommateurs à qui elle recommande de toujours chercher à voir le contenant d’origine.

Difficile de savoir si l’huile et le sel vendus dans ce marché sont de qualité, selon Jacqueline Bationo, nutritionniste

Un compromis économique qui met en danger la santé publique

Les pratiques de reconditionnement artisanal comme celles observées à Sarfalao sont fréquentes dans les marchés populaires du Burkina Faso. Elles répondent à la réalité économique qui propose des produits de première nécessité à des prix accessibles pour des ménages à faibles revenus. Mais derrière cette logique de survie se cachent de nombreux risques sanitaires. Les bouteilles plastiques utilisées pour l’huile sont rarement lavées correctement, et encore moins stérilisées. Certaines contenaient auparavant des boissons sucrées ou gazeuses, dont les résidus peuvent altérer la qualité de l’huile.

L’équipe de journalistes ayant fait le constat

En cas de mauvaise conservation ou de manipulation hasardeuse, l’huile peut rapidement s’oxyder ou être contaminée. Le sel, quant à lui, est souvent exposé à l’air libre, à la poussière et à l’humidité. Son iodation essentielle pour prévenir des maladies comme le goitre ou le retard mental chez les enfants peut être altérée. Pire, certains sels vendus comme « iodés » ne le sont pas du tout, ou en quantités insuffisantes. Pourtant l’iode est un oligo-élément indispensable au bon fonctionnement de la thyroïde. Une carence peut entraîner des troubles graves, notamment chez les enfants. Le sel iodé est une stratégie de santé publique recommandée par l’OMS, à condition que sa teneur en iode soit maintenue jusqu’à la consommation.

Farida Thiombiano

Bobo-Dioulasso

Lefaso.net

Source: LeFaso.net