Depuis une vingtaine d’années, ou même plus, l’on peut facilement constater qu’il s’est développé chez les Burkinabè, pas tous bien heureusement, une mentalité pseudo libérale à fort accent individualiste qui, lentement mais irrésistiblement est en train de nous conduire, si ce n’est déjà le cas, dans une impasse ; le mot impasse n’étant dans ma tête qu’un euphémisme. En quoi cela a-t-il consisté ?
Tout simplement à faire passer les intérêts particuliers au-dessus de l’intérêt général. En disant cela, je ne prétends donner de leçon à personne, je souhaite simplement, tout comme d’autres, attirer l’attention sur une dynamique sociale particulièrement inquiétante.
C’est irréfutable, dans le Burkina Faso d’aujourd’hui, du nanti à l’indigent, du fonctionnaire au commerçant, de l’enseignant à l’élève et même du parent à l’enfant, tout le monde ou presque fonctionne désormais selon une seule et même logique : « Je veux tout pour moi, les autres n’ont qu’à se débrouiller ou…crever ». Conséquence, face aux problèmes communs, c’est à dire des problèmes qui concernent ou qui pourraient concerner tout le monde, se sont développées des « solutions », qui sont peut-être spontanément compréhensibles mais rationnellement suicidaires pour une société qui se veut forte et durable.
Exemple, au lieu de lutter collectivement pour améliorer le niveau globalement triste de l’école ou de l’hôpital public, chacun fait tout pour s’en passer. Et comment ? En s’enrichissant au maximum, y compris par des moyens illicites et immoraux car il est bien connu que de nos jours il faut être vraiment pauvre pour inscrire son enfant dans une école publique ou se soigner à l’hôpital public quand on est malade. Les récents cas de femmes décédées en couche ou de nouveaux nés morts par manque de couveuses en sont d’ailleurs la preuve.
A force, notre rapport à l’ensemble du service public a fini par être touché et les choses ne vont sans doute pas s’arranger avec l’explosion démographique et tous les défis qui vont avec. Un exemple assez parlant ; au lieu de lutter ensemble pour améliorer la voirie, la solution consiste pour beaucoup à tout faire pour s’offrir la dernière voiture à la mode afin d’échapper à la poussière ou de ne pas être gêné par les nids de poule des routes en piteux état. Même les « Blancs » réputés chez nous pour leur individualisme ne le sont pas jusqu’à ce point !
Dans ce contexte, je m’étonne de voir des parents qui disent préparer l’avenir de leur(s) enfant(s) à coup de millions, tout en compromettant celui des autres comme s’il suffisait de ne manquer de rien pour être heureux. Je m’étonne parfois de voir des parents qui disent vouloir le bonheur de leur(s) enfant(s) tout en leur préparant un pays de malheur comme si l’argent pouvait les prémunir de tout, les soigner de tout. Mais comment peut-on être si étroit d’esprit ? Pourquoi et comment en es-t-on arrivé à tomber si bas dans ce pays ?
Ce serait peut-être un raccourci mais si on en est là aujourd’hui, c’est sans doute la faute à nos parents, à nos ainés qui ont trahi nos valeurs ancestrales de solidarité, et d’intégrité, et qui nous ont inculqué une « éducation » qui risque de nous perdre. Philosophiquement, je n’ai jamais été adepte du « c’était mieux avant » tout comme j’ai toujours trouvé vain d’éprouver de la nostalgie pour une époque que je n’ai d’ailleurs pas connue, vu mon jeune âge. Cela pour dire que, je suis convaincu qu’une société humaine qui n’évolue pas, se meurt. Pour autant, il m’a toujours paru évident que toute évolution sociale et sociétale n’engendre pas forcement de progrès surtout lorsque la société qui la met en œuvre renie ses valeurs au profit de chimères importées d’ailleurs.
Il n’est donc pas étonnant que nous soyons confrontés depuis dans années à des tourments politiques et socio-économiques qui trouveraient, à mon sens leur source dans la faillite morale et éthique qui a accompagné la période post révolutionnaire. Pourquoi ? Parce qu’il faut se souvenir que le Burkinabè a pendant longtemps été, au moins jusqu’à la fin des années 1980, l’incarnation du pauvre qui se sait pauvre mais qui a le sens de l’intégrité, de l’honneur et du travail bien fait. Et qu’est-il devenu aujourd’hui ? Tout le monde connaît la réponse.
Face à cette « évolution » qui ne nous a finalement pas fait que du bien, je ne sais vraiment pas comment en corriger le cours. Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir réfléchi. Peut-être que je suis trop alarmiste, que je me fais du souci pour rien, que les choses ne sont pas aussi graves que je le pense, que même si elles l’étaient, qu’elles finiront peut-être par s’arranger d’elles-mêmes comme par miracle. Ou alors, ou alors, qu’il nous faut absolument agir et vite avant qu’elles ne deviennent irrécupérables.
Daouda OUEDRAOGO
Doctorant en Droit, Université de Bordeaux
daou-ouedraogo@outlook.com
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Source: LeFaso.net
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