À l’occasion d’un atelier de réflexion initié par le ministère de l’Action humanitaire et de la solidarité nationale, deux chercheurs de l’Institut des sciences des sociétés (INSS/CNRST), le sociologue Dr Siaka Gnessi et l’anthropologue Dr Sien So Sabine Léa Somé, ont présenté une communication synthétisant les résultats de plusieurs études menées dans notamment dans les régions du Centre-nord et du Centre. Un éclairage scientifique a été ainsi apporté sur les attentes profondes des Burkinabè en matière de sécurité, de cohésion sociale et de paix. L’atelier s’est déroulé du 14 au 20 juillet 2025, à Koudougou.
À travers une combinaison d’approches qualitatives et quantitatives, les chercheurs de l’Institut des sciences des sociétés (INSS), s’intéressent de près aux dynamiques de réconciliation, de paix, de sécurité et de cohésion sociale, dans un pays profondément marqué par la crise sécuritaire.
Les recherches présentées ont été menées auprès de divers groupes sociaux tels que les jeunes, adultes, leaders religieux et coutumiers, responsables associatifs et administratifs. À travers entretiens semi-directifs, focus groups, récits de vie et observations de terrain, les chercheurs ont recueilli la voix du terrain pour comprendre les besoins, les perceptions et les propositions concrètes des populations.
Réconciliation et cohésion : les trésors cachés des pratiques endogènes
Une première étude, conduite dans la région du Centre-nord en 2022 avec l’appui du Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le devéloppement (FONRID), s’est intéressée aux pratiques endogènes de réconciliation (PER) dans les communes de Boussouma, Boala et Tikaré. Le constat fait, révèle que ces pratiques, portées par des figures traditionnelles (chefs de terre, tantes, forgerons, griots, anciens, etc.), jouent un rôle crucial dans la résolution des conflits familiaux, fonciers ou intercommunautaires.
Selon Dr Siaka Gnessi et Dr Sabine Léa Somé, les rituels comme la consommation de Benga ou l’usage du Puusugo (instrument de pardon du forgeron) ne relèvent pas du folklore mais participent à la construction d’un vivre-ensemble authentique et durable. Pour de nombreux enquêtés, ces méthodes sont souvent plus efficaces et apaisantes que la justice moderne, car elles favorisent le pardon et restaurent les liens sociaux.
Les attentes sont nombreuses, comme la formation des jeunes à ces valeurs, la valorisation de la parenté à plaisanterie, l’organisation de rencontres intercommunautaires et l’implication renforcée des femmes dans la médiation. « Un habitant de Boussouma, dans la région du Centre-nord a affirmé que les pratiques endogènes de réconciliations constituent un trésor qu’il faut garder », ont confié les chercheurs.
Solidarité endogène face aux défis du déplacement forcé
Une deuxième recherche, financée par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) en 2024, a porté sur les mécanismes endogènes de solidarité déployés dans la commune de Kaya en contexte de crise sécuritaire. Elle révèle une résilience remarquable des communautés hôtes face à l’afflux massif de Personnes déplacées internes (PDI).
Dans l’impossibilité pour l’État et les ONG de répondre à tous les besoins, les familles d’accueil prennent le relais, en hébergeant, nourrissant et soutenant moralement les déplacés. L’entraide familiale, les causeries communautaires, les tontines ou encore les travaux d’intérêt commun deviennent des leviers puissants pour restaurer la cohésion sociale.
Mais cette solidarité a un coût. Car plusieurs hôtes déplorent le déséquilibre dans l’aide reçue : « Nous aussi, nous avons besoin d’aide. Les aides vont plus aux PDI, alors que notre quotidien est devenu plus difficile depuis leur arrivée », rapportent ainsi, les chercheurs de l’INSS, le témoigne d’une femme vivant à Kaya. Un appel qui souligne l’urgence d’une approche plus équitable et inclusive de l’action humanitaire.
Des attentes claires pour reconstruire le tissu social
Dans un contexte où les tensions religieuses, bien que sporadiques, peuvent fragiliser le tissu social, une étude financée par le FONRID entre 2019 et 2023 a exploré les attentes des populations en matière de dialogue interreligieux dans les régions du Centre-nord et des Hauts-Bassins. Réalisée par les chercheurs de l’INSS, cette recherche-action participative a mis en lumière l’importance d’un dialogue sincère entre les communautés religieuses comme vecteur de paix durable. Elle révèle que les populations aspirent à plus de respect mutuel, à la reconnaissance des symboles culturels et religieux, et à une cohabitation fondée sur des valeurs partagées comme le pardon, l’humilité, la liberté de croyance et l’altruisme.
Au-delà des comportements individuels, les populations interrogées insistent sur la nécessité de créer des cadres formels de concertation interreligieuse, dans toutes les localités où ils font encore défaut. Ces espaces doivent réunir les représentants de toutes les confessions religieuses dans un esprit d’échange franc et régulier. Les leaders religieux sont également appelés à jouer un rôle central en termes de formation et de sensibilisation, pour davantage être les relais de la paix au sein de leurs communautés respectives, contribuant à désamorcer les incompréhensions et à prévenir les conflits d’ordre religieux.
Dans la même dynamique, une autre étude conduite en 2021 dans la région du Liptako-Gourma et soutenue par l’UNESCO a porté sur les attentes des populations face aux conflits communautaires et aux violences sociétales. Les résultats montrent que les communautés locales souhaitent un renforcement des mécanismes de conciliation endogènes, comme préalable à tout recours aux institutions judiciaires ou étatiques. Cela suppose également l’appui à la mise en place de cadres d’échange et de capitalisation d’expériences, ancrés dans les réalités sociales et les pratiques locales.
En outre, l’étude souligne le besoin urgent de promouvoir le dialogue social à tous les niveaux de gouvernance locale. Pour les chercheurs, la décentralisation ne saurait être effective sans un accompagnement des collectivités territoriales dans la gestion des conflits internes. Les enquêtés appellent aussi à un recensement systématique des us et coutumes, afin de mieux comprendre et valoriser les savoirs culturels locaux, notamment dans la résolution des conflits intercommunautaires ou intergénérationnels.
Des enfants victimes d’insécurité et astreints à la mendicité
Par ailleurs, une recherche menée en 2023 par l’INSS avec l’appui du Secrétariat exécutif national de la Politique nationale de développement (SEN/PND) s’est intéressée aux Enfants déplacés internes en situation de rue (EDISR). Leurs récits retracent l’ampleur des traumatismes subis lors de leur fuite des zones d’insécurité. « Trois quarts des enfants enquêtés s’adonnent à la mendicité pour subvenir à leurs besoins élémentaires », ont montré les chercheurs.
Ces enfants expriment des besoins multiples : sécurité alimentaire, accès aux soins, scolarisation, accompagnement psychologique, formation aux métiers et accès à des activités génératrices de revenus. Leurs témoignages plaident en faveur d’une prise en charge holistique et humanisante, qui leur redonne espoir et dignité. « Parmi les enfants enquêtés, seuls 37,5% estiment être en sécurité. Les causes de ce sentiment d’insécurité sont les violences physiques et psychologiques qu’ils subissent », ont divulgué les chercheurs.
Enfin, les chercheurs de l’INSS insistent sur le rôle fondamental de la famille dans la construction de la paix, de la cohésion sociale et de la sécurité (PCSS). Dans le contexte burkinabè, la famille reste le premier espace de socialisation, de protection et d’éducation aux valeurs. Elle assure non seulement la satisfaction des besoins essentiels, mais aussi la transmission des normes sociales à travers des pratiques culturelles telles que les contes et les proverbes.
Les trois piliers d’une paix durable
Pour une paix durable, les chercheurs recommandent de fonder l’action sur trois piliers. D’abord, le “Cœur » qui s’agit de l’engagement personnel à cultiver l’harmonie ; ensuite, la “Famille » faisant cas de l’éducation et la protection sociale ; enfin, le “Pays » faisant allusion à la justice sociale, la sécurité humaine et la valorisation des savoirs endogènes. Une approche intégrée qui relie l’intime au collectif, le traditionnel à l’institutionnel.
Ainsi, les populations interrogées lors des études menées par l’INSS ont exprimé des attentes à la fois claires et concrètes en matière de cohésion sociale et de consolidation de la paix. Elles souhaitent notamment l’organisation de « champs de la paix » et de journées communautaires, comme espaces de dialogue, de réconciliation et de renforcement des liens sociaux. Elles appellent à une implication plus active des autorités coutumières et religieuses, garantes des valeurs traditionnelles, dans les initiatives de médiation et de pacification.
Le besoin de sécuriser les zones de départ apparaît également comme une priorité, afin de permettre aux personnes déplacées de revenir dignement chez elles. Aussi, les enquêtés plaident pour une meilleure articulation entre pratiques traditionnelles et dispositifs modernes dans la gestion des conflits. Enfin, ils insistent sur l’importance de soutenir les efforts de solidarité des communautés locales, souvent dépassées par l’ampleur des besoins, malgré leur bonne volonté et leur engagement.
Certaines suggestions interpellent aussi le secteur privé, le monde du sport et de la culture. Les chercheurs relaient cette attente d’une implication plus active des stars et influenceurs nationaux pour prolonger le travail des ONG dont les financements diminuent.
À travers cette communication, les Dr Gnessi et Somé démontrent l’importance de mieux intégrer les savoirs endogènes et les aspirations des populations dans les politiques publiques de cohésion sociale. La paix, la sécurité et la solidarité ne peuvent être imposées d’en haut. Elles doivent être, estiment-ils, co-construites à partir du vécu, des pratiques et des valeurs des communautés.
Comme le rappelle l’UNESCO : « C’est dans l’esprit des hommes que naissent les guerres, c’est dans leur esprit qu’il faut ériger les défenses de la paix ». Ces études, fruit d’un minutieux travail de terrain, constituent une précieuse boussole pour les décideurs, les humanitaires et les bâtisseurs d’un Burkina Faso résilient et fraternel.
Notons que l’Institut des sciences des sociétés (INSS), l’un des quatre instituts nationaux de recherche du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), est un pôle d’expertise reconnu dans le domaine des sciences humaines et sociales.
Hamed Nanéma
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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