Il est entré dans l’histoire de la presse du Burkina Faso en étant le plus jeune journaliste à recevoir le Super Galian en 2019. Il était seulement âgé de 24 ans. Il a fait encore parler de lui en remportant le prix du meilleur journaliste de l’Afrique de l’Ouest au WAMECA 2019. En moins de dix ans de carrière, il a reçu de nombreuses distinctions au niveau national et international. Hugues Richard Sama est l’un des meilleurs grands reporters du pays. Dans cette interview qu’il a accordé à Lefaso.net, il donne des conseils à ceux qui veulent réaliser des grands reportages. Prenez des notes, Hugues Richard Sama fait la leçon.

Lefaso.net : Depuis combien d’années pratiquez-vous le journalisme ?

Hugues Richard Sama : Je suis journaliste depuis mai 2016. J’ai toujours exercé principalement au quotidien L’Observateur Paalga. Mais depuis quelques temps, je suis en retrait pour raison d’études.

Quels conseils avez-vous à donner à un journaliste qui souhaite réaliser des grands reportages : l’idée du sujet, la narration et les pièges à éviter ?

Tout commence par une idée, mais il n’y a pas une baguette magique qu’on peut agiter pour trouver la bonne. J’aime bien cette formule qui dit que le journaliste est l’historien du présent. Un journaliste doit donc pouvoir raconter son temps. En principe, tout, même des faits ou des évènements a priori sans grande importance, peut inspirer de grands sujets. Ça va bien sûr dépendre parfois du talent ou de l’inspiration du journaliste pour tirer le meilleur de ce qui ne semble pas l’être.

Plus précisément, une idée de reportage peut naître au cours d’une simple discussion, d’un constat, à la suite d’un événement. À tout moment et en tout lieu une idée peut naître. C’est en cela que je pense que le journalisme a quelque chose d’artistique. Il y avait un journaliste de L’Obs qui, m’a-t-on dit, trouvait des sujets dans les maquis. Ce n’est peut-être pas le meilleur exemple mais ça illustre bien ce que je dis. Moi par exemple, l’un de mes grands reportages sur la maladie mentale, c’est au cours d’un reportage politique qui n’avait donc rien à voir avec le sujet.

C’est lorsqu’on échangeait entre confrères que l’idée est née.

À mes débuts, l’idée de faire un reportage sur les enfants en conflit avec la loi m’est venue après avoir constaté qu’il y avait beaucoup d’enfants de la rue autour du grand marché où se trouvait mon lieu de travail. Un journaliste sur le trajet qui l’amène de sa maison à son service a de quoi faire plusieurs grands reportages.

L’actualité inspire également des sujets. C’est en cela que c’est important de suivre les autres confrères, d’autres médias hors du Burkina et les réseaux sociaux.

Les différentes distinctions de Hugues Richard Sama

En tant que journaliste, on doit suivre par exemple sur les réseaux sociaux tout et n’importe qui. J’avais fait un papier sur des enfants qui se rendaient à l’école en pirogue. C’est en scrollant sur Facebook que je suis tombé sur cette histoire et je me suis dit que ça pourrait faire un excellent sujet de reportage. Mon conseil, c’est d’être attentif, observateur et curieux, d’avoir le contact facile et des relations partout. Si vous faites vos preuves, certaines personnes peuvent spontanément venir vous suggérer des idées de reportages, certains avec intérêt et d’autres non. C’est à vous de faire le tri et de vous lancer seulement quand vous sentez bien le sujet.

Une fois l’idée trouvée, il faut déjà penser à comment en faire un produit journalistique. Avec le temps et l’expérience, on a déjà une vision de ce qu’on veut faire concrètement en même temps que naît l’idée. Un bon reportage nécessite une préparation. Ça veut dire qu’il faut se documenter sur le sujet, prendre des contacts, imaginer tous les scénarios possibles. Parfois, quand on va loin, il faut préparer la logistique nécessaire et trouver un fixeur. À Douré et à Tanwalbougou, j’avais par exemple des fixeurs. Sur certains types de reportages on en a forcément besoin.

En même temps qu’il faut se préparer, il ne faut pas rester esclave de cette préparation. Comme disent les militaires, c’est le terrain qui commande la manœuvre. Un grand reporter est parfois comme un aventurier. Il y a dans ses démarches une part de connu et une part d’inconnu. Il doit toujours se dire que les choses peuvent ne pas se passer comme il avait prévu, il peut arriver même que le sujet qu’on avait imaginé ne résiste pas à l’épreuve du terrain. Il arrive qu’à côté de la grande histoire, il existe aussi de petites histoires qui valent leur pesant d’or. Il doit donc toujours s’adapter. En presse écrite, on peut consacrer les encadrés à ces à-côtés qui donnent ce petit piment à son récit.

Sur le terrain, il faut veiller à récupérer le maximum d’informations possible, s’entretenir avec le plus de personnes possible et rester attentif aux détails de son environnement. Même si vous pensez que c’est une répétition et que votre interlocuteur n’en vaut pas la peine, il a généralement quelque chose de plus à vous apprendre. N’importe quel interlocuteur ou anecdote peut faire passer votre sujet d’un petit sujet, si je peux me le permettre, à un grand sujet.

Lors de la rédaction, il arrive qu’on se rende compte qu’il y a des informations qui manquent et qui permettent de compléter l’histoire, c’est en cela que le fait d’avoir pris des contacts sur le terrain est très utile. Un coup de fil suffit parfois pour régler le problème.

Concernant le style d’écriture, on nous enseigne dans les écoles de journalisme que le bon style est fait de phrases courtes : « sujet-verbe-complément » pour reprendre la formule. On nous apprend également la pyramide inversée, règle au nom de laquelle on commence l’article par les informations les plus importantes au moins importantes. Tout ça, c’est très bien et très justifié mais je crois qu’en dehors de l’éthique et de la déontologie, on ne doit pas emprisonner le journaliste dans un moule. Le journalisme est un métier de liberté. Chaque style ou manière de faire est unique. L’Observateur Paalga a souvent l’habitude d’attaquer ses papiers par des anecdotes.

C’était parfois, à la première lecture, un contre-pied parfait par rapport au contenu de l’article. Ça peut hérisser les poils des puritains mais c’est une manière de faire qui plaît à beaucoup et qui, à la seconde lecture, n’était pas un non-sens. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’un grand reportage, on peut se permettre certaines digressions qui concourent à la beauté du texte. Les gens veulent certes être informés mais ils veulent prendre du plaisir en s’informant. Je ne dis pas que c’est mauvais de faire court et simple, c’est la meilleure écriture, mais la différence n’est pas à rejeter.

J’aime bien autant le style direct du rédacteur en chef de L’Obs. Alain Zongo dit Saint Robespierre que celui du directeur des rédactions Ousséni Ilboudo qui use davantage de tournures ou encore l’écriture de Issa K. Barry qui a une plume relâchée, qui flirte constamment avec l’humour et l’ironie.

Si un journaliste a des ailes pour voler haut, eh bien, qu’il vole ! Le plus important, c’est la cohérence du récit. On doit happer le lecteur et l’entraîner dans son histoire. Chaque phrase doit être la suite logique de l’autre. Moi, particulièrement, j’imaginais souvent mes reportages comme des scénarios de films, avec des rebondissements. À des étapes du récit, je mettais un coup de fouet pour relancer l’intérêt de mon lecteur. Un grand reportage est en principe plus long qu’un reportage classique. C’est là tout l’enjeu : que celui qui vous lit ne s’ennuie pas et qu’il prenne plaisir du début jusqu’à la fin. Il faut donc travailler sa plume et son storytelling pour y arriver. Moi, il m’arrivait avant chaque grand sujet, de lire d’anciens reportages en lien avec mon sujet ou même qui n’ont rien à voir, et mon écriture était plus facile.

Comme le bon vin, je crois que le journaliste se bonifie avec le temps. Mais le risque lorsqu’on blanchit sous le harnais, c’est de tomber dans la routine, on finit par avoir une écriture stéréotypée. Bien que les sujets soient différents, on retrouve toujours les mêmes éléments dans vos reportages. En fait, l’habitude étant une seconde nature, on fait des articles comme on fabrique des produits en série, des copies conformes parce que le journaliste a tendance à répéter ce qui a fait le succès du précédent article. Or, chaque histoire est unique et on passe à côté d’informations essentielles si on se contente de vouloir faire comme les précédentes fois.

Pour éviter ce piège dans lequel je crois être tombé plusieurs fois, chaque fois que j’avais un photographe ou un chauffeur avec moi, je leur demandais de poser des questions, de m’assister en gros. Tout haut suspendu, je n’aurais pas posé ces questions parce que je les aurais trouvées « terre à terre », comme on dit, mais au finish, ça s’avère être des questions pertinentes et leurs réponses l’étaient encore plus.

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Concrètement, comment construire un bon angle de reportage ?

Le bon angle est un angle qui est pertinent et sort de l’ordinaire, ce qui fait l’originalité de votre sujet. Le bon angle, c’est celui auquel les autres journalistes n’auraient pas pensé. C’est généralement l’envers du décor, ce qui est sous le tapis. Donc lorsque vous avez un sujet, vous devez faire le tour des problématiques possibles selon votre connaissance du sujet et certainement il y aura quelque chose qui va se dégager. En échangeant aussi avec des collègues, quelqu’un peut vous mettre sur une bonne piste. Vous pouvez avoir aussi un angle très commun mais avec une bonne plume, vous arrivez à captiver votre public.

Je tiens à souligner également que pour les grands reportages on aurait du mal à parler d’angle au singulier tant il peut y en avoir plusieurs. C’est la nature de ce reportage, plutôt long format, qui l’exige. Ce n’est peut-être pas très académique, mais c’est une pratique très répandue. Ça veut dire qu’on a un angle et une fois sur le terrain on se rend compte que d’autres aspects de votre sujet sont intéressants. Les puritains vous diront de scinder votre sujet en plusieurs reportages. Ce qui est faisable aussi, mais dans la pratique, il arrive qu’on les fonde dans le même reportage et ça fait quelque chose de complet pour votre public si la mayonnaise a bien pris. Comme précédemment dit, en presse écrite, on peut se servir des encadrés pour meubler les grands papiers.

L’angle est aussi parfois dicté par la ligne éditoriale du média. Pour vous donner un exemple, même s’il peut paraître caricatural : lors de la cérémonie d’ouverture du FESPACO, un journal par exemple va peut-être s’intéresser au côté solennel et protocolaire de l’événement, avec les différents discours, etc. L’Obs., lui, va s’intéresser aux coulisses, à ce que le public ne voit pas en direct à la télé, un média culturel va faire un zoom sur le spectacle. Ce sont des manières de faire différentes mais qui ont chacune leur public.

Quels sont les secrets d’une narration captivante ?

Il faut à la fois le style direct du journaliste qui vise à informer et le style littéraire qui vise à faire aimer. Surtout dans un contexte où les journalistes sont concurrencés par les réseaux sociaux et où le public a bien souvent l’information brute avant les publications des médias. Il faut donc que le journaliste apporte quelque chose de plus. Il peut le faire en restant fidèle aux règles éthiques et déontologiques qui encadrent notre profession mais aussi en donnant une raison au lecteur de le lire, de le suivre ou de l’écouter. C’est là que sa capacité de narration va faire toute la différence.

Le secret, c’est une écriture fluide, plaisante, agréable, qui plonge et entraîne le lecteur dans le récit. Un bon reportage, ce doit être comme un bon film ou un bon roman : on en redemande encore. Pour y arriver, il faut forcément au départ s’inspirer des autres, de ce qu’on aime. Par la suite, on se forge sa propre marque.

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Comment gérer les délais pour rendre un grand reportage au moment opportun ?

Ça dépend de la pratique dans chaque média. À L’Obs par exemple, pour un reportage qui n’est pas lié à l’actualité brûlante, il n’y a pas de délai qui urge. Le journaliste a tout le temps de peaufiner son article. Mais le conseil que je donnerais, c’est de commencer le plus rapidement possible la rédaction pendant que l’esprit est encore frais. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de commencer la rédaction de mon article sur mon téléphone pendant le chemin de retour.

Ma stratégie était de coucher pêle-mêle mes idées sans trop faire attention aux fautes ou à la formulation. Généralement, je le fais en quelques minutes. Et c’est ce fouillis, qui n’est même pas encore un premier jet, qui va constituer la charpente de mon reportage. Avec cette méthode que j’ai développée plus tard, j’ai gagné beaucoup en temps.

Comment équilibrer émotion et rigueur journalistique dans un sujet de grand reportage ?

L’idée d’un journalisme complètement déconnecté, qui se contenterait tel une machine de relater les faits et qui aurait quasiment une valeur scientifique, dans le sens de sciences dures, me paraît utopique. Un journaliste n’est pas un être désincarné. Il a forcément des opinions, ses émotions propres qui rejaillissent sur son travail. Ce n’est pas antinomique du journalisme, seulement l’honnêteté commande de chaque fois indiquer à son public s’il s’agit des faits, d’un commentaire, d’une opinion ou de sa perception de la réalité.

Dans un sujet de reportage, la sensibilité du journaliste joue beaucoup. Je crois que c’est en même temps ce que les lecteurs attendent de lui : qu’il leur fasse ressentir des émotions. Ils veulent voir, entendre, sentir à travers les sens du journaliste. Tant qu’on reste attaché à la vérité, ce n’est pas un crime que d’exprimer ses émotions dans un reportage.

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Samirah Bationo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net