À 88 ans, Sékou Ouédraogo incarne une mémoire vivante du cinéma burkinabè, surtout son volet de l’image. Premier directeur de la photographie de la Haute-Volta, cadreur autodidacte formé « sur le tas » puis perfectionné en France, il a porté à bout de bras les premiers longs-métrages, les documentaires et les films éducatifs. Homme discret, mais mentor admiré de nombreux réalisateurs, il continue d’éclairer, de conseiller et d’inspirer les opérateurs de l’image d’aujourd’hui.

Assis sur une chaise en bois, Sékou Ouédraogo écoute plus qu’il ne parle. L’octogénaire, dont l’âge n’a en rien terni la mémoire, porte les traces d’une vie consacrée à la lumière et à l’image. Il est l’un des pionniers du cinéma burkinabè, premier directeur de la photographie de la Haute-Volta, cadreur, réalisateur et documentariste.

Dans les années 1960, la Haute-Volta cherche ses repères. Le cinéma est embryonnaire à cette époque et se pratique à travers une petite cellule rattachée à la Direction générale de l’information, où l’essentiel du travail restait la presse écrite. C’est dans ce contexte que Sékou Ouédraogo, un jeune dynamique de l’époque, fait ses premiers pas. Il n’a pas fréquenté d’école spécialisée du domaine. C’est auprès de Serge Ricci, un coopérant français passionné, qu’il apprend à manier la caméra et à apprivoiser la lumière. « Nous n’étions que trois personnes au niveau de l’image. Une autre équipe se chargeait de projeter les films que nous tournions. C’était une coproduction simple, les Français payaient la moitié, et notre pays la moitié », se souvient-il.

Curieux et avide de perfectionnement, Sékou ressent bientôt le besoin de se perfectionner. Il part en France pour intégrer le Conservatoire libre du cinéma français, en section image. Ce séjour lui donne les fondations techniques qui feront de lui un artisan de l’image rigoureux et créatif.

De retour au pays, il retrouve son compagnon de route, Issaka Thiombiano, un autre passionné du domaine. Ensemble, ils formeront un duo incontournable du cinéma burkinabè naissant. Dans les années 1970, l’aventure s’accélère. Les premiers longs-métrages burkinabè voient le jour, et Sékou Ouédraogo est de la partie. En 1973, il signe la direction de la photographie du « Sang des parias » de Mamadou Djim Kola, considéré comme le premier long-métrage de fiction du Burkina. Puis en 1976, il éclaire « Sur le chemin de la réconciliation » de René Bernard Yonli. Pour chaque plan, il choisit la lumière, l’ambiance, la nuance qui donnera au récit sa force visuelle. « Un directeur photo s’occupe de la lumière. Je lis tout le scénario, je fais le découpage technique, puis je décide quelle lumière il faut pour chaque séquence. C’est tout un travail de précision et d’anticipation », explique-t-il avec de la nostalgie.

Sékou Ouédraogo a reçu un hommage des cinéastes et une chaise personnalisée à l’initiative du réalisateur Serge Armel Sawadogo

Mais son travail ne se limite pas à la fiction. Sékou tourne une multitude de documentaires, de films éducatifs et de sensibilisation, portant sur l’agriculture, la santé ou encore le développement.

Un témoin de la naissance du FESPACO

Sékou Ouédraogo a aussi été un témoin privilégié de la création du FESPACO. Il raconte avec simplicité comment, un matin, le directeur du Centre culturel français, Claude Prieux, lui propose d’organiser une « journée du cinéma africain ». Sékou transmet l’idée à ses responsables, qui valident. Ainsi naît, presque comme une aventure amicale, ce qui deviendra le plus grand festival de cinéma africain. « Au départ, l’État ne s’en est pas mêlé. Mais à mesure que cela prenait de l’ampleur, il a fini par accompagner », relate-t-il. Malgré sa fierté de voir le FESPACO grandir, l’octogénaire déplore que les films burkinabè circulent peu en Afrique. « La plupart sont destinés aux festivals. Tant que nous ne collaborerons pas davantage entre Africains, nous travaillerons à perte », prévient-il.

Admiré par ses collaborateurs et sa famille

Le réalisateur Gaston Kaboré, grande figure du cinéma africain, parle de celui qui a été son directeur de la photo sur ses films Wend Kuuni et Zan Boko avec beaucoup d’admiration. « C’est un professionnel passionné. Le directeur de la photo doit être attentif à tout. La lumière change rapidement, surtout sous notre soleil ardent. Il doit veiller à la continuité photographique, pour garantir la crédibilité du film. Mais ce n’est pas qu’un travail technique, il est aussi un acte créatif et artistique », indique Gaston Kaboré. Il insiste sur la place centrale de Sékou Ouédraogo sur les plateaux de tournage. « Un directeur de la photo est le premier collaborateur du réalisateur. Toute l’équipe technique dépend de lui. Grâce à Sékou, nos films ont pu atteindre une qualité qui a contribué à la reconnaissance internationale du cinéma burkinabè. On ne peut pas écrire l’histoire du cinéma africain sans mentionner son nom », a-t-il signifié. Pour lui, Sékou Ouédraogo n’a pas seulement transmis un savoir-faire, mais aussi une éthique professionnelle. « Il m’a appris à aider sans distinction, sans favoritisme. Sa discrétion cache une immense influence. »

« Sans lui il n’y aurait pas la reconnaissance que beaucoup d’entre nous ont eue », indique Gaston Kaboré

Derrière le professionnel reconnu, il y a un homme simple, proche de sa famille. L’une de ses filles, Bintou Ouédraogo, parle d’un père disponible malgré les exigences de son métier. « Il est une personne très agréable à vivre, très à l’écoute, toujours prêt à soutenir les siens. Nous avons toujours eu son appui, sans jamais ressentir ses absences malgré ses déplacements. Il nous a toujours couverts d’amour », a-t-elle déclaré. Aujourd’hui, il est aussi le grand-père d’une vingtaine d’enfants.

Bintou Ouédraogo, quatrième enfant de Sékou Ouédraogo

Après ses années à la Direction du cinéma, Sékou Ouédraogo a poursuivi son activité dans les années 1980 et 1990, en collaborant avec des sociétés privées. Même après sa retraite, il continue de partager son expérience et répond encore aux sollicitations des jeunes réalisateurs et opérateurs. C’est pourquoi toute la famille du cinéma lui a rendu un hommage vivant à travers témoignages et reconnaissances à l’initiative du réalisateur Serge Armel Sawadogo.

Farida Thiombiano

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Source: LeFaso.net