Au Centre hospitalier universitaire (CHU) Yalgado Ouédraogo, il soigne les blessures de guerre, des accidents de la route, des drames du quotidien, etc. Avec rigueur et humanité, il redonne forme et espoir à des visages détruits de façon inimaginable par le commun des mortels. Le Dr Adama Zango, médecin spécialiste en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale, est un homme au regard concentré, au geste sûr et aux mains habiles. Avec toute l’équipe de l’hôpital, malgré la complexité de sa spécialité, il redonne une chance à de nombreux défigurés de vivre normalement. Mais au-delà du bistouri, c’est la foi en l’humain qui guide son métier. Portrait.

Le Dr Adama Zango est souriant de nature malgré la pression qu’il porte sur ses épaules au quotidien. Il est arrivé à la médecine après une formation ordinaire à l’université Joseph Ki-Zerbo. Puis, il s’oriente vers une spécialité rare et exigeante. La chirurgie maxillo-faciale, une discipline à la croisée de la chirurgie plastique, dentaire et reconstructrice. Il se forme avec obstination, enchaîne les stages et les années d’apprentissage dans des services de référence, avant de revenir servir dans son pays.

« Je voulais être utile à ma société, à ma communauté. Nous avons besoin de spécialistes dans ce domaine et je savais que je pouvais contribuer à soulager des souffrances », confie-t-il. Aujourd’hui, au CHU Yalgado Ouédraogo, il est un visage bien connu de cette spécialité. Dans son modeste bureau du service de stomatologie et de chirurgie maxillo-faciale, son agenda déborde. Chaque jour, des patients viennent avec des plaies, des malformations congénitales, des séquelles d’accidents ou de cancers. Chacun espère trouver une réponse, une solution, parfois un simple espoir.

La chirurgie maxillo-faciale n’a rien de spectaculaire pour celui qui la pratique, mais tout d’extraordinaire pour celui qui en bénéficie. « C’est une spécialité qui touche à ce que nous avons de plus visible, dont le visage », explique le Dr Zango. Les malformations, les traumatismes ou les tumeurs ne sont pas seulement des atteintes physiques, mais aussi des blessures sociales. « Beaucoup de nos patients sont victimes de stigmatisation. Certains ne sortent plus, d’autres ont du mal à aller à l’école ou à travailler. Les aider à retrouver leur visage, c’est les aider à reprendre leur place dans la société. » Pour lui, chaque intervention est un acte de réparation, un pont entre la science et la compassion. Derrière les gants stériles et les protocoles médicaux, il a la conviction profonde que la médecine ne sert à rien si elle ne guérit pas aussi les regards.

En juin dernier, le Dr Adama Zango et son équipe sauvent un enfant grièvement blessé au visage par une barre de fer. Un acte de bravoure médicale relayé par l’Ordre national des médecins.

Très souvent confronté à la détresse sociale

Parmi les histoires qui l’ont profondément marqué, celle d’une fillette de dix mois revient dans les mots du Dr Adama Zango. « L’enfant souffrait d’un syndrome polymalformatif rare : une fente labiale, une hydrocéphalie et une absence de développement oculaire. Quand vous la regardiez, vous voyiez deux paupières, mais sans globe oculaire à l’intérieur. C’était un cas très complexe, sur le plan médical comme sur le plan social », confie-t-il.

Sa mère, démunie, était venue chercher de l’aide au CHU Yalgado Ouédraogo. Elle espérait que le chirurgien trouverait une solution. Touché par leur détresse, le Dr Zango avait sollicité des personnes de bonne volonté pour financer l’intervention. Mais un obstacle inattendu allait freiner toute la prise en charge : celui du refus du père. « J’ai voulu associer le papa. C’est une décision médicale lourde, il faut la présence des deux parents. Mais le père n’est jamais venu. Il refusait de reconnaître l’enfant à cause de ses malformations », explique le chirurgien. Pire, la famille paternelle aurait, selon les confidences de la mère au médecin, tenté à plusieurs reprises de faire disparaître l’enfant. « Ils l’ont emmenée chez des tradithérapeutes, loin de Ouagadougou.

Mais la maman, par instinct, n’a jamais voulu s’en séparer. » Malgré l’impossibilité d’opérer sans autorisation parentale, le chirurgien est resté en contact avec la mère, qui revient plusieurs fois pour des consultations. « Elle aimait profondément sa fille. À chaque visite, elle la coiffait, la tenait comme n’importe quel autre enfant. Quand la petite a eu un an, elle est venue me voir pour que je puisse le lui souhaiter. On avait cherché un petit cadeau ensemble. » Cependant, quelques semaines plus tard, le contact se rompt. Le téléphone de la mère ne répond plus. « J’ai essayé d’appeler, en vain. Je n’ai plus jamais eu de nouvelles. C’est une histoire qui m’a vraiment touché. On fait tout ce qu’on peut, mais parfois, la réalité sociale nous dépasse », déplore-t-il. Cette expérience, comme tant d’autres, selon le Dr Zango, rappelle que le métier ne s’arrête pas à la salle d’opération avec des situations où les décisions ne relèvent plus seulement de la science, mais de la conscience.

Avoir du sang froid sans s’endurcir

Dans son regard maquillé de bonne humeur, on devine la fatigue des longues gardes, mais surtout la sérénité de quelqu’un qui a trouvé sa voie. Être chirurgien maxillo-facial, c’est faire face à la douleur des autres, sous toutes ses formes. Celle de personnes en état de conscience ou en état de coma. Le Dr Adama Zango le reconnaît sans détour, on ne naît pas prêt à affronter certaines scènes en médecine. « Au début, c’est difficile. On est confronté à des hémorragies, à des plaies profondes, à des visages défigurés. Je me souviens qu’à ma quatrième année, quand j’assistais pour la première fois à un accouchement, j’ai fait un malaise. Quand l’enfant est sorti, je n’ai pas pu tenir. C’est humain ! », se remémore-t-il avec un sourire, comme pour se moquer de lui-même. Avec le temps, pourtant, l’esprit apprend à se protéger. « Le cerveau développe une forme d’adaptation. À force d’être exposé, il se désensibilise sans devenir insensible. Ce n’est pas un manque d’émotion, c’est une résistance », assure le chirurgien.

Cette résilience psychologique, forgée par les années d’études et de pratique, devient un outil indispensable pour continuer à sauver sans sombrer. « Aujourd’hui, il y a rarement des cas que nous n’avons pas vus. Face aux situations graves, on garde le sang-froid, on agit, puis après coup, on analyse, on réfléchit à ce qu’on aurait pu faire différemment. » Dans son regard, aucune froideur ne se lit car il fait de l’empathie son leitmotiv. Néanmoins, il trouve des moments pour souffler.

Derrière la blouse blanche et les longues heures passées au bloc, il y a aussi un homme, un père, un ami. Une vie qu’il faut tenter d’équilibrer malgré le poids de la vocation. « Je passe la majeure partie de mes journées à l’hôpital. Mais il faut savoir conjuguer vie professionnelle et vie familiale. Quand je ne suis pas de garde, j’essaie de consacrer du temps à ma famille et à mes proches », fait-il savoir. Certains dimanches par exemple, il ouvre sa porte à des amis pour des moments de partage et de détente. « On parle de tout, pas seulement de médecine. Ces moments me permettent de souffler un peu », confie-t-il. Et lorsqu’il quitte la ville, c’est pour se retrouver avec le calme de la nature. Ce contact avec la nature, loin du bruit des urgences, lui permet de garder l’équilibre.

« Ce métier, c’est d’abord une vocation »

Pour le Dr Adama Zango, pour embrasser ce métier, il faut avoir de la vocation. « Sans la vocation, ça ne sert à rien de venir faire cette spécialisation. Parce qu’au-delà de la prestation, vous allez tout entendre, et vous ne pourrez pas satisfaire tout le monde. » Il parle de sacrifices, dans le sens le plus noble du terme. « On ne peut pas s’arrêter parce que les huit heures de travail sont passées. Quand une intervention est en cours, on reste jusqu’à la fin », insiste-t-il. Il fait également savoir que c’est un métier où il faut se donner à fond, sans rien attendre en retour. « Beaucoup de patients t’appellent tous les jours quand ils souffrent, puis t’oublient une fois guéris. Mais ce n’est pas grave parce que la vraie reconnaissance, c’est de redonner un visage, et un sourire. Quand quelqu’un retrouve goût à la vie, il n’y a pas de plus belle récompense », pense le chirurgien.

Le Dr Zango souhaite que les populations consultent dès qu’un signe nouveau apparaît sur leurs corps. Trop souvent, dit-il, les patients arrivent tard, après avoir tout tenté des remèdes traditionnels, l’automédication, ou une simple attente. « Quand ils viennent, c’est souvent parce qu’ils n’ont plus d’autre choix. Nous devenons le dernier recours », déplore-t-il. Dans son service, les traumatismes dus aux accidents de la circulation dominent. Chaque jour, ils y reçoivent des blessés de la route avec des fractures, des plaies avec des visages déformés. « Je lance un appel au respect du Code de la route, au port du casque, et à la non-violence. » Mais d’autres dangers, plus silencieux, l’inquiètent. « Les complications de caries dentaires sont de plus en plus fréquentes. Une infection dentaire mal soignée peut atteindre tout le visage et le cou, et dans certains cas, être mortelle. Un patient sur trois en meurt », informe le spécialiste.

Dr Adama Zango, chirurgien maxillo-facial, a été élu Ambassadeur de paix universelle pour les œuvres humanitaires et sociales par la Fédération pour la paix universelle (FPU)

Reconnu ambassadeur pour la paix

Le 2 août 2025, le Dr Adama Zango a reçu la distinction d’Ambassadeur pour la paix. Une reconnaissance décernée par la Fédération pour la paix universelle, qui salue non seulement son engagement professionnel, mais aussi sa contribution à la cohésion sociale et à la promotion de la paix par l’action humanitaire. « Cette distinction n’est pas un honneur individuel, ça va au-delà de l’individu parce que je travaille dans un service où il y a d’autres acteurs qui interviennent. Je la partage avec ces différents acteurs qui travaillent jour et nuit dans l’ombre pour que nous puissions atteindre nos objectifs dans un monde vraiment de paix où il fait bon vivre », souligne-t-il ajoutant qu’au départ il ne savait pas que les actions qu’il a posées étaient suivies. « Donc, du coup, lorsque j’ai été approché pour être nominé, je me suis posé pas mal de questions. »

Il a toujours pensé que la paix ne se limite pas à l’absence de guerre. C’est aussi la santé, le bien-être, la dignité. Quand vous redonnez le sourire à un enfant ou la confiance à une femme, vous contribuez à la paix, selon lui. Cette distinction, il la porte avec humilité, conscient de la responsabilité qu’elle implique. « Être ambassadeur de paix, c’est d’abord un engagement moral », affirme-t-il soulignant que cela le pousse à faire davantage, à continuer d’agir, même au-delà de l’hôpital.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net