Le Faso Digital bat son plein depuis son lancement samedi dernier avec une série de panels, conférences et masterclass en ligne. Ce mardi 21 octobre 2025, la troisième conférence de la journée a réuni les participants autour du thème : « Résilience numérique : quelles innovations pour une inclusion numérique des non-voyants au Burkina Faso ? ». Elle a été animée par Issifou Sorgho, président de la Société burkinabè d’adaptation des TICs (SOBATIC) SAS, et modérée par Djibrill Pamousso.

Aveugle depuis 1992, Issifou Sorgho est un exemple de résilience. Après un cursus secondaire entre Ouagadougou et Tenkodogo, il s’inscrit à l’université Joseph Ki-Zerbo, en lettres modernes. Son parcours universitaire s’interrompt en 2014, mais la même année marque un tournant décisif dans son engagement.

« J’ai participé à la lutte pour l’intégration des personnes en situation de handicap visuel dans la fonction publique. Le gouvernement nous recrutait, mais ne savait pas encore comment nous allions interagir avec nos collègues », raconte-t-il.

Homme de défis, comme il se définit, il ne baisse pas les bras malgré l’échec au concours de la fonction publique. Cette expérience le pousse à renforcer sa formation en informatique et à mettre sur pied la Société burkinabè d’adaptation des TICs (SOBATIC) SAS, une entreprise spécialisée dans l’adaptation des technologies aux besoins des non-voyants, et dans laquelle l’Etat détient une part de 10%. « L’idée, dit-il, était d’aider les camarades à utiliser les outils numériques pour pouvoir travailler efficacement. », souligne-t-il.

Innover pour rendre les technologies accessibles

Aujourd’hui enseignant à l’Institut régional d’administration du Guiriko, où il forme des étudiants non-voyants en informatique, Issifou Sorgho pense que la résilience numérique demande encore plus d’ingéniosité et d’efforts surtout pour les personnes en situation de handicap visuel, qui, à l’instar des autres franges de la population, doivent participer à la construction du pays. L’inclusion numérique est donc une exigence et non un luxe, pourrait-on résumer sa pensée.

Face au coût élevé des outils spécialisés, l’innovation locale devient une nécessité, selon le conférencier. « Ailleurs, on conçoit des machines comme HYPRA, l’ordinateur dédié à l’apprentissage des déficients visuels, mais leur prix dépasse les 8 000 dollars l’unité », explique-t-il.

Selon le président de SOBATIC, il serait préférable d’adapter les ordinateurs classiques disponibles sur le marché burkinabè à l’aide de logiciels libres et abordables. « Avec un ordinateur standard, un système Windows et quelques logiciels open source comme NVDA, un lecteur d’écran vocal gratuit, nous pouvons obtenir un équipement fonctionnel pour moins de 250 000 FCFA », précise-t-il. Et d’ajouter que : « À ces solutions locales s’ajoutent des logiciels payants tels que Dolphin et Acapela, qui permettent d’améliorer la productivité et la communication avec les collègues. »

Djibril Pamousso a modéré la conférence

Mais l’inclusion ne s’arrête pas au matériel, selon le conférencier. Elle concerne aussi la conception des plateformes web et mobiles. Il pointe du doigt les difficultés rencontrées par les non-voyants lorsqu’ils doivent par exemple valider des CAPTCHA visuels lors d’une inscription en ligne. « La synthèse vocale ne permet pas de lire ces images. Ce qui fait qu’une personne aveugle ou malvoyante ne peut pas s’inscrire seule. Elle aura besoin de l’assistance d’une autre personne », regrette-t-il.

Il appelle donc les développeurs à concevoir des interfaces compatibles avec les lecteurs d’écran intégrant des commandes vocales, de préférence dans les langues locales. « Au Bénin, des systèmes vocaux interagissent déjà en Fon. Nous pouvons faire de même ici », suggère-t-il.

Former et sensibiliser pour un numérique inclusif

Un autre frein majeur identifié par le conférencier est le manque de formateurs spécialisés dans l’accompagnement technologique des non-voyants. « Il faut innover dans la formation. Ici nous n’avons pas de formateurs attitrés en TIC pour non-voyants. Il faut former plus d’assistants techniques. Les formateurs actuellement se sont formés soit à l’extérieur soit en ligne », constate-t-il.

Il en appelle à une meilleure formation des développeurs et des concepteurs de plateformes numériques, afin qu’ils intègrent les normes d’accessibilité dès la conception. A ce propos, le modérateur Djibrill Pamousso dira que de plus en plus, il est demandé aux développeurs de se faire assister par les experts métiers des domaines dans lesquels ils doivent concevoir des solutions.

Un appel à la responsabilité collective

Issifou Sorgho a salué les efforts déjà consentis par certaines structures, comme l’Union nationale des associations burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (UN-ABPAM) qui distribue des ordinateurs aux élèves non-voyants, ou encore les programmes du ministère en charge de l’éducation de base qui fournissent des tablettes adaptées. Il a également cité le programme OSIRIS au Sénégal, qui forme des personnes déficientes visuelles à l’informatique, comme un modèle qui pourrait inspirer le Burkina Faso.

Le promoteur du Faso Digital, Dr Cyriaque Paré est intervenu lors de la conférence

« Nous demandons à l’Etat et aux ONG d’implanter des centres de formation en zone urbaine et rurale. Nous sommes prêts à accompagner de telles initiatives pour le renforcement des capacités », a laissé entendre le conférencier.

Il a aussi tenu à remercier LeFaso.net, pour avoir relayé en 2014 la déclaration des personnes vivant avec un handicap visuel, ce qui a contribué à attirer l’attention des autorités sur leur combat, ouvrant la voie au recrutement de 33 personnes aveugles et malvoyantes dans la fonction publique.

Mais pour lui, la lutte est loin d’être terminée. « Le contexte est difficile, reconnaît-il, mais les efforts conjugués du gouvernement, des ONG et du secteur privé permettront de bâtir une société où chacun, voyant ou non, pourra participer pleinement à la transformation numérique du pays. »

Un exemple à multiplier

Promoteur du Faso Digital, Dr Cyriaque Paré a rappelé que le premier objectif de cette foire virtuelle est de créer un pont entre les porteurs de besoins et ceux qui proposent des solutions. Ce dialogue, souvent absent, est pourtant essentiel, selon lui. « Cela interpelle particulièrement les informaticiens, mais pas seulement. Dans de nombreux domaines, un tel échange est nécessaire pour mieux comprendre les besoins réels des communautés et y apporter des réponses numériques adaptées. C’est, à mon sens, un exemple assez concret qui demande à être multiplié.

Fredo Bassolé

Lefaso.net

Source: LeFaso.net