Au cours de la dernière session extraordinaire de l’Assemblée Nationale, son Président a demandé au gouvernement de Paul Kaba Thiéba de sortir du classicisme, de la routine, et de la bureaucratie pour être plus audacieux et imaginatif. Dans un langage direct qu’on lui connait, il a averti que « le Burkina Faso sera en retard s’il continue à être le bon élève du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale (BM). » Mieux, il est allé plus loin en affirmant qu’il faut apprendre à dire « NON » aux institutions de Bretton Woods.
Depuis lors, beaucoup d’encre et de salive ont coulé pour disséquer ses propos et les avis sont très partagés. Pour les uns, il est à féliciter car de telles déclarations traduisent un aveu de l’échec de la RECTIFICATION dont il était l’un des principaux architectes. C’est une reconnaissance à mots couverts que durant trois décennies, la rectification a simplement bradé notre fierté et liquidé notre intégrité. En lieu et place de la poursuite des efforts de mobilisation du peuple pour renforcer sa confiance en soi et son auto détermination, c’est plutôt l’esprit de mendicité et d’assistanat auprès de nos Partenaires Techniques et Financiers (PTF) qui a prospéré sous cette période. On peut dans ce cas, aisément imaginer le sourire narquois de Thomas Sankara de la supposée tombe où il se trouverait (lui qui est mort de « mort naturelle »).
Pour les autres, le réquisitoire du Président de l’Assemblée Nationale (PAN) contre les institutions de Bretton Woods laisse transparaitre de l’hypocrisie, du populisme, du machiavélisme, de la roublardise, ou même de l’incantation. Peut-être faudra-t-il faire preuve d’indulgence et lui accorder le bénéfice du doute… Si cette sortie médiatique a été animée par la sincérité, peut-être qu’il marquera le signe d’un nouveau point de départ dans notre manière de concevoir notre bonheur collectif et surtout, dans notre prétention de grandeur et de dignité par rapport à nos PTF. Dans ce cas, peut-être faudra-t-il examiner froidement les conditions dans lesquelles le Burkina Faso pourrait dire NON au FMI et à la BM. Cet écrit tentera d’y apporter un éclairage.
Pour le PAN, l’exécutif doit apprendre à dire NON à la BM et au FMI. Il a parfaitement raison car il s’agira d’un véritable apprentissage. En effet, l’écrasante majorité des ministres qui ont servi sous le régime de Blaise Compaoré durant 27 ans, ont eu d’une manière ou d’une autre, à mettre en œuvre des volets du Programme d’Ajustement Structurel (PAS) fortement soutenus par les deux institutions de Washington DC. Durant ces trois décennies, des réflexes et des habitudes se sont développés au sein de notre administration qui ne laissait plus de place pour l’audace ou l’imagination. Par exemple, dans certains puissants ministères comme celui l’agriculture, de l’hydraulique et des ressources halieutiques, il fallait obéir et renoncer à l’audace de présenter un point de vue alternatif sous peine d’ostracisation. Ainsi, quand une administration sous la direction de super ministres a développé des réflexes pavloviens d’obéissance absolue aux injonctions du FMI et de la BM pendant près de 30 ans, il lui faudra un apprentissage assez particulier pour dire NON à de tels partenaires.
Aussi, dans le contexte économique et socio-politique actuel du Burkina Faso, pouvons-nous réellement dire NON à la BM et au FMI ? Sur les dix dernières années, la Banque Mondiale a financé 17 projets dans 71 localités de notre pays pour un montant total de 1,17 milliard de dollars US (au moins 688 milliards de FCFA, soit une moyenne d’environ 69 milliards par an). Quant au FMI, entre mars 1991 et juillet 2016, il a apporté au pays des hommes intègres des appuis financiers d’un montant de 471 millions de dollar US soit 275 milliards de FCFA. Peut-être faudra-t-il rappeler au passage qu’aucun bailleur de fonds ne voudra donner son argent au Burkina Faso sans un minimum de conditionnalités souvent contraignantes. Faut-il alors, en suivant la logique du PAN, se débarrasser de l’Union Européenne dont l’apport en 2014 représentait 32% des appuis budgétaires pendant que les soutiens du FMI et de la BM représentaient respectivement 3,7% et 22% des appuis totaux ? Si nous tournons radicalement le dos aux institutions de Bretton Woods (brusquement ou de manière progressive), comment le gouvernement remplacera-t-il la contribution significative de ces deux institutions en termes de financement ?
A ce niveau, il est proposé comme solution l’endettement massif. Mais sans l’aval du FMI ou de la BM, comment notre cher pays lèvera-t-il des fonds sur le marché financier international ? Admettons que par miracle, notre pays arrive à s’endetter massivement auprès d’autres partenaires bilatéraux ou sur les marchés financiers. Une telle pluie de milliards nous sortira-t-elle de la mauvaise gouvernance et de la pauvreté endémique ? Autrement dit, l’argent conduit-il absolument au développement ? Si tel était le cas, notre pays devait être au moins à la pointe de la révolution agricole au regard des milliards que la BM et le FMI faisaient pleuvoir sur les projets et programmes du puissant ministère de l’agriculture entre 2000 et 2008. Au cours de cette période, ce ministère disposait de la dotation budgétaire la plus élevée avec un pic en 2006 de 122,5 milliards de CFA soit 13,7% du montant total des dotations budgétaires aux différents ministères et institutions, et pratiquement le double de la dotation du secteur de la santé. Si malgré de telles pluies de milliards la révolution agricole se fait toujours attendre au Burkina Faso, c’est peut-être la preuve que l’argent n’est pas nécessairement le premier ingrédient du développement. Ce qui conduit au développement, c’est d’abord l’esprit créatif et patriotique de tous les hommes et femmes qui animent la vie d’un pays. À ce propos, le Président Sangoulé Lamizana soulignait que son pays « souffre moins du manque de ressources naturelles que du manque d’imagination de ses fils et filles. » Sans hommes et femmes compétents, audacieux, imaginatifs et doués d’une certaine moralité dans la conduite des affaires de l’État, il n’y aura pas de gouvernement audacieux ou imaginatif prêt à défier la BM et le FMI. Sans cette qualité d’hommes et de femmes, on aura beau transformer le Mouhoun, le Nakambé et le Nazinon respectivement en or, en pétrole et en diamant, notre pays restera toujours à la traîne.
Le PAN a aussi cité l’exemple des pays asiatiques qui, ayant dit NON au FMI et à la BM, ont su mobiliser leurs peuples pour accomplir l’impensable : des taux de croissance à deux chiffres. C’est dire donc que la mobilisation populaire pourrait être une condition suffisante pour la réalisation du bonheur collectif. Si tel était le cas, le Burkina Faso sous la houlette du régime de Blaise Compaoré serait déjà très développé car son parti le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) était une ‘’excellente » machine à mobilisation. La dernière consultation électorale nous a aussi démontré à quel point le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) excelle dans la mobilisation. Toutefois, depuis la prestation de serment du Président Rock Marc Christian Kaboré, notre pays semble tourner en rond… La vraie vérité c’est que la mobilisation populaire est une condition nécessaire et non suffisante pour l’amélioration des conditions de vie d’un peuple. Aussi forte soit telle, la mobilisation populaire ne porte de fruits que lorsque ceux qui mobilisent ont du charisme et des idées novatrices pour concevoir et mettre en œuvre une vision cohérente de l’avenir du pays. De telles idées doivent transcender les difficultés quotidiennes pour mettre le peuple en mouvement vers un idéal pour lequel il est prêt à se battre et à consentir des sacrifices. Pour l’heure, nous semblons loin du compte avec le Programme National de Développement Économique et Social (PNDES)…
Face à cette situation actuelle de notre pays, que faudra-t-il faire alors pour réinjecter de l’audace et de l’imagination dans la gestion de notre pays, afin d’espérer un jour dire NON aux institutions de Bretton Woods ? Trois propositions/pistes de réflexion mériteraient une attention particulière. Premièrement, il conviendrait de souligner qu’avant de dire NON aux institutions de Bretton Woods, il nous faudra d’abord apprendre à dire un NON catégorique aux fossoyeurs de notre démocratie, de notre justice et de notre économie. En d’autres termes, nous devons mettre de l’ordre dans notre maison avant d’indexer les acteurs extérieurs. Un proverbe moaga nous enseigne que c’est le chien de l’intérieur qui fait sortir l’os de la maison pour donner l’occasion au chien de l’extérieur d’en profiter. Le FMI et la BM ne s’invitent pas dans un pays qui est très bien géré. Ce qui les attire dans certains pays de notre continent, ce sont la mal gouvernance, la corruption, le népotisme, l’injustice, la dictature, et surtout la mauvaise gestion des ressources publiques. Pour avoir confiance en l’avenir et défier la BM et le FMI, nous devons raffermir notre conscience sur les acquis et les manquements du passé. Par conséquent, il nous sera difficile d’avancer en tant que peuple fier et digne si nous passons par pertes et profits le bilan du régime Compaoré. Le MPP qui est le parti au pouvoir a donc une opportunité en or pour faire la lumière sur l’ensemble des crimes économiques et de sang qui ont marqué l’histoire politique de notre pays ces trois dernières décennies tout particulièrement. C’est à travers cet exercice qui doit être mené de manière non sélective, que nous assurerons une véritable réconciliation de tous les fils et filles du pays. Mieux, une telle démarche ne fera que renforcer la confiance que le peuple a placée en ceux qui ont la charge de conduire sa destinée.
Deuxièmement, le PAN a fait le pari qu’en cas d’échec, les futures générations vont poursuivre le combat résultant de la rupture avec le FMI et la BM. Si nous acceptons que demain se prépare maintenant, il devient évident que les générations futures ne pourront poursuivre efficacement le combat que si ‘’les vieux » d’aujourd’hui leur font de la place dans la gestion des affaires de l’État. Les vieux ont tous donné pour notre pays et au soir de leur vie, ils devraient plutôt consacrer leur temps aux conseils et à la rédaction de leurs mémoires. Une telle entreprise permettra enfin de restituer au peuple burkinabè, toute une partie de sa mémoire collective, toujours coincée dans la boîte noire des architectes du régime déchu. Il n’y a pas et il n’y aura pas de génération spontanée, ou créée in vitro pour prendre le relais. Les guerriers de demain doivent être formés aujourd’hui. Faites de la place pour les jeunes talents du MPP, de l’opposition et de la diaspora pour qu’ils apportent du dynamisme, de l’innovation, de l’énergie et donc, un souffle nouveau dans la gestion du pays. C’est à ce prix que les négociations ou combats futurs se gagneront. Du reste, gardons en mémoire que tous les animateurs de la classe politique actuelle toutes tendances confondues ont débuté très jeunes dans la gestion des affaires de l’État dans les années 1980 et 1990. Sans cette préparation, ils n’occuperaient pas la place qui est la leur actuellement.
Troisièmement, nous devons nous atteler à mettre en place des institutions politiques et économiques fortes et inclusives qui échappent totalement au contrôle d’un individu ou d’un groupe d’individus pour ne servir que les intérêts du peuple burkinabè. Si l’on veut continuer à utiliser notre administration pour récompenser les amis, les parents, et les griots à travers des nominations questionnables, l’opacité dans la passation des marchés publics, la promotion de la médiocrité, de la corruption, etc., eh bien la BM tout comme les autres bailleurs seront toujours là pour nous imposer des reformes comme conditionnalités pour des prêts et autres formes d’aides. Si l’on veut utiliser la justice pour protéger les criminels à col blanc du Faso, punir et museler les journalistes, les activistes et les opposants comme du temps du régime déchu, nous ne serons pas près de dire NON au FMI et à la BM. Seules des institutions fortes débarrassées de toute forme de personnalisation et d’individualisation nous protègeront efficacement contre les prédateurs internes et externes.
Somme toute, au moins deux générations ont déjà été sacrifiées pour que l’élan de rectification face place au pouvoir personnel, à la patrimonialisation, à la corruption et à la paupérisation du pays. Une nouvelle page de notre histoire s’est ouverte grâce au courage des Burkinabè, surtout de sa jeunesse. Le souhait le plus ardent de notre peuple serait que cela marque le point de départ d’une autocritique individuelle et collective des architectes de la rectification. Cela permettra aux générations futures de ne pas vivre dans l’oubli pour finalement emprunter le même chemin (l’histoire a tendance à se répéter quand on l’oublie).
L’histoire est aussi un juge implacable et aucune rhétorique ne pourra effacer la souffrance des Burkinabè que la rectification leur a imposée. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et adoucir le jugement de l’histoire i) en faisant la lumière sur les crimes économiques et de sang du régime Compaoré, ii) en créant une grande ouverture pour les jeunes talents du Burkina Faso, iii) et finalement, en bâtissant des institutions politiques et économiques fortes et inclusives. Quand nous aurons accompli cela, le FMI et la BM s’abstiendront eux-mêmes de vouloir nous proposer/imposer leurs services sans que ayons besoin de leur dire NON.
Disclaimer : Le contenu de cet article n’engage que ma personne et ne saurait représenter l’opinion totale ou partielle de l’organisation pour laquelle je travaille.
Bernard Zongo
barkbigazongo@gmail.com
Source: LeFaso.net
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