À Roumtenga, à quelques kilomètres de Ouagadougou, la ferme agroécologique de l’association Béog Neeré tranche avec l’image souvent associée à l’agriculture sahélienne avec des sols épuisés, des rendements faibles et une dépendance aux intrants chimiques. Ici, produire en quantité, en qualité et sans pesticides de synthèse n’est ni un slogan ni une expérimentation marginale, mais une réalité quotidienne, visible à travers des planches verdoyantes de laitues, de tomates, de poivrons verts, de betteraves, de carottes ou encore de choux-fleurs. À travers une visite, des journalistes ont fait le constat.

Sur près de cinq hectares, la ferme agroécologique Béog Neeré donne vie à une diversité de spéculations maraîchères issues essentiellement de semences locales, cultivées dans le respect des cycles naturels et des équilibres écologiques. Les cultures sont entretenues par des femmes et des hommes qui privilégient les bio-intrants, loin des pesticides chimiques de synthèse largement utilisés ailleurs. Une agriculture patiente, méthodique, fondée sur l’observation de la nature et l’adaptation aux réalités climatiques du Burkina Faso.

C’est dans ce cadre que s’est tenue, le 27 décembre 2025, une visite et un déjeuner de presse organisés par l’association Béog Neeré Agroécologie, dans le cadre de la mise en œuvre du programme Yooab Laada, qui signifie « communauté épanouie » en langue mooré. Les journalistes invités ont parcouru les allées du site, s’immergeant dans les planches de cultures, observant les associations végétales, les rotations culturales et les techniques de fertilisation naturelle mises en œuvre. Au fil de la visite, les pratiques agroécologiques se donnent à voir concrètement : planches surélevées, cultures sous serre et à ciel ouvert, associations de légumes et d’arbres, composts produits sur place, biofertilisants et biopesticides issus de ressources locales. Ici, « rien ne se perd et tout se transforme », selon une logique circulaire où l’élevage, la production végétale et la fertilisation des sols sont étroitement liés.

L’agroécologie comme réponse à une crise environnementale

Pour Razack Bélemgnègré, coordonnateur général de l’association Béog Neeré, le choix de l’agroécologie est avant tout une réponse à un constat alarmant. « La dégradation de l’environnement, la perte de la biodiversité, la situation critique de nos terres qui sont très dégradées, sont des réalités auxquelles nous faisons face. Les pratiques agroécologiques durables sont aujourd’hui des questions d’actualité qu’il faut mettre en évidence pour réparer le tort causé par l’homme sur l’environnement », explique-t-il.

« L’objectif est de montrer vraiment aux producteurs, aux décideurs que nous pouvons aujourd’hui produire sans utiliser à outrance ou même ne pas utiliser les intrants de synthèse », a fait savoir Razack Bélemgnègré aux journalistes.

Selon lui, l’agroécologie constitue un levier essentiel pour restaurer les sols, préserver la biodiversité végétale et animale, tout en assurant une production suffisante pour les générations actuelles et futures. À la ferme Béog Neeré, cette vision se traduit par une diversité de pratiques inspirées à la fois des savoirs locaux et des connaissances scientifiques. « Chaque pays, chaque nation a sa genèse. Ici, nos pratiques agricoles sont inspirées des lois de la nature. Nous combinons savoir-faire local et savoir scientifique pour construire un modèle agricole qui nous ressemble », souligne-t-il.

Un des piliers de l’expérience de Béog Neeré reste la production de semences paysannes, considérée comme une voie d’autonomisation agricole et paysanne. Certaines semences sont produites sous serre, d’autres à ciel ouvert, en fonction des exigences des plantes et des conditions climatiques. La ferme produit aussi bien des semences potagères que des semences bisannuelles, comme l’oignon, dont la production nécessite un cycle de deux ans.

« Produire sa propre semence, c’est réduire la dépendance, maîtriser la production et garantir une adaptation aux conditions locales », explique Razack Bélemgnègré. Cette autonomie semencière permet également de reconduire les cultures sur plusieurs saisons et d’assurer une continuité de production.

Gestion de l’eau et adaptation climatique

Dans un contexte sahélien marqué par la rareté de l’eau, la gestion rationnelle de la ressource hydrique est un enjeu central. Sur le site, l’irrigation a été pensée pour réduire le temps d’arrosage et limiter les pertes. « Pour réussir en agroécologie, il faut maîtriser quatre éléments essentiels : la semence, l’énergie, l’eau et le foncier. Sans cela, l’investissement devient pénible et peu rentable », insiste le coordonnateur. Les cultures sont adaptées aux saisons chaude, froide, pluvieuse ou intermédiaire et aux spécificités du climat local.

Les rotations et associations culturales permettent de réduire la pression des insectes ravageurs et de renforcer la résilience des plantes face aux aléas climatiques. Au-delà de la production, la ferme joue un rôle de centre de formation et de démonstration. Des stagiaires et apprenants y sont accueillis et invités à développer des projets concrets, au-delà des rapports académiques. Les productions issues de ces travaux peuvent être vendues, tandis qu’une partie est conservée pour la semence. « Quand un agriculteur arrive ici, c’est comme un miroir. Il voit ce qu’il peut devenir et cela le motive », affirme Razack Bélemgnègré. Le site se veut ainsi un espace de preuve, destiné à convaincre producteurs, décideurs et partenaires que l’agroécologie est une voie viable.

David Zoundi, chargé du programme Système alimentaire à Inades Formation Burkina, a présenté une étude sur l’utilisation intensive des pesticides chimiques

Contrairement aux idées reçues, l’agroécologie n’exclut pas la rentabilité économique. À Béog Neeré, des stratégies ont été mises en place pour assurer des revenus décents aux producteurs. Le modèle de partage des récoltes remplace parfois le salariat classique, avec une répartition en parts qui encourage l’investissement personnel. « Si le travail ne porte pas de fruits, on ne peut pas parler d’agroécologie durable », reconnaît le coordonnateur. Une planche de laitue peut générer jusqu’à 22 500 francs CFA en moins d’un mois, sans compter les cultures associées qui augmentent la valeur globale de la production.

Un plaidoyer pour éliminer l’utilisation des pesticides chimiques

Après la visite du site, les journalistes ont assisté à la présentation d’une étude de cas menée par Inades Formation Burkina, portant sur l’utilisation intensive des pesticides chimiques de synthèse dans quatre régions du Burkina Faso. Selon David Zoundi, chargé du programme Système alimentaire à Inades Formation Burkina, l’étude a concerné 210 producteurs, 14 fournisseurs de pesticides et 70 consommateurs. « Les résultats montrent une utilisation abusive et non raisonnée des pesticides chimiques de synthèse. Des cas de contamination des eaux de pluie et des cas d’intoxication alimentaire ont été révélés », explique-t-il. Ces constats renforcent la pertinence des initiatives agroécologiques comme celle de Béog Neeré.

Le programme Yooab Laada s’inscrit dans une dynamique plus large de plaidoyer pour des systèmes alimentaires durables, une meilleure gouvernance et une transition énergétique adaptée. Pour Alidou Bélem, président du comité de plaidoyer du programme, cette visite répond à un besoin de preuves concrètes. « Pour le plaidoyer, il nous faut des évidences. Ce site est une ferme de référence. Il montre qu’avec l’agroécologie, nous pouvons atteindre la souveraineté alimentaire », affirme-t-il. L’immersion s’est achevée autour d’un déjeuner préparé à partir des produits du site. Une manière simple et directe de démontrer que l’agroécologie ne se limite pas aux discours, mais se traduit aussi dans l’assiette, par une alimentation saine, locale et respectueuse de l’environnement.

Alidou Bélem, président du comité de plaidoyer du programme Yoaab Laada

À Roumtenga, l’expérience de Béog Neeré, portée par le programme Yooab Laada, dessine ainsi les contours d’un modèle agricole enraciné dans les réalités locales, capable de concilier production, préservation des ressources naturelles et dignité des producteurs. Une expérience qui, au-delà du site, interroge les choix agricoles du Burkina Faso et ouvre des perspectives concrètes pour une souveraineté alimentaire durable.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net