C’est un procès qui fera tache d’huile. Six magistrats membres de la Commission d’enquête du Conseil supérieur de la magistrature sur la corruption ont intenté un procès contre le directeur de publication du journal Le Soir. Ils accusent Lookman Sawadogo de diffamation pour avoir publié sur la page Facebook du canard, un article faisant état de soupçons de corruption sur un membre de la commission d’enquête. A l’issue des débats qui ont duré toute la journée du 27 juillet 2017, le ministère public a requis une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis et une amende de 300 000 F CFA contre le journaliste.

Un article publié sur la page Facebook d’un journal, est-il un article de presse ? Oui, ont soutenu les avocats de l’accusé pour qui c’est un prolongement du journal. De ce fait, c’est dans l’exercice de sa profession que Lookman Sawadogo est attaqué. Et puisqu’il existe une loi qui encadre la presse en ligne, le code pénal ne devrait pas s’appliquer à leur client, ont clamé les conseils de l’accusé.

Pour les avocats de la partie plaignante amenés par Me Guy Hervé Kam, il faut d’abord que l’article soit publié sur le support principal ( radio, télé, site web) avant d’être repris sur la page Facebook ou d’autres réseaux sociaux pour être considéré comme un article de presse. Pour eux, puisque le site du journal n’est pas fonctionnel, l’article publié uniquement sur la page Facebook du journal ne pourrait être pris comme un travail de journaliste. Me Kam ira plus loin en doutant de la qualité de journaliste de l’accusé. ‘’Terroriste de la plume”, usant de “pratique koglweogo”, a-t-il employé.

« Si ce n’est pas en ligne, c’est quoi alors ? Qui a publié, c’est Le Soir. Le journal a un récépissé de journal en ligne », ont rempilé les avocats du journaliste.

« Le droit de la presse n’est pas applicable parce qu’une page Facebook ne saurait être une presse en ligne », ont répondu les avocats de la partie plaignante.

Et pourtant l’information n’est pas fausse

Après les questions de forme, le fond du dossier a occupé les débats. « Ce qui paraîtrait plus problématique, c’est cette indiscrétion qui fait état de ce que des soupçons de choses peu catholiques pèseraient sur un des membres du comité. Cela concerne une dame qui menacerait de porter plainte si ce n’est déjà fait pour de l’argent dit-on perçu contre service mais dont le coup de main dans un dossier n’aurait pas été effectué. La dame en question s’est attachée les services d’un avocat pour porter l’affaire en justice. Mais, tout, semble-t-il, est mis en œuvre pour étouffer l’affaire comme on noie un poisson dans l’eau. En tout état de cause, noyée ou non, cette affaire posera un véritable dilemme au comité », écrivait le journal sur sa page Facebook le 5 avril 2017.

Un membre de la commission d’enquête aurait donc perçu de l’argent des mains d’un justiciable pour ‘’faciliter son affaire” pendante. N’ayant pas eu gain de cause, elle aurait décidé de porter plainte.

« En tout cas, il vaudrait mieux qu’aucun membre du comité, lesquels doivent montrer patte blanche, ne soit mêlé à aucun deal louche sinon c’est toute la crédibilité de celui-ci qui va s’effondrer comme un château de cartes et partant, son travail jeté à l’eau. Il gagnerait donc à extirper de l’équipe le gros poisson blotti en son sein si cela se laisse dire et si c’était vrai. Ainsi le travail dont personne ne doute de la noblesse et la confiance entière en la moralité de ceux commis à la tâche ne souffriraient d’aucune remise en cause », conseillait encore le journal, dans l’article objet de la plainte pour diffamation.

Lookman est resté stoïque sur la crédibilité de son information. Il a joué son rôle de veille, de responsabilité sociale en tant que journaliste, et si c’était à refaire, il le referait. Alors que les six membres de la commission estiment qu’ils ont tous été jetés en pâture, les avocats du journaliste ont précisé que dans une autre publication en date du 3 mai, le journaliste précisait exactement de qui il était question. Le nom de ce ‘’gros poisson” que la commission tente de protéger en son sein a été révélé.

Les avocats du journaliste ont insisté pour que le président de la commission d’enquête, le juge Jean Kondé donne le nom du magistrat incriminé. Il ne l’a pas fait.

Une information réelle est-elle susceptible de porter atteinte à l’honneur de quelqu’un ? s’est interrogé Me Birba Christophe, un des conseils de Lookman Sawadogo.

En attendant le 10 aout

A l’issue des débats, dans leurs plaidoiries, les avocats des magistrats ont demandé au président du tribunal de condamner l’accusé. Il faut le faire selon eux, pour décourager les francs- tireurs embusqués derrière les écrans pour diffamer. Il faut dissuader les snipers de la plume, ont-ils plaidé. En revanche, ils ont estimé qu’aucune compensation financière ne pourrait réparer le tort subi par les magistrats.

Le ministère public, lui est allé loin en requérant une peine de 12 mois de prison assortis de sursis et la somme de 300 000 F CFA.

Pour Me Birba, ce procès est une grave erreur, dans le fond, comme dans la forme. Raison pour laquelle l’accusation s’est battue pour que s’applique le code pénal. « Il y a eu plainte ou pas ? Oui il y en a eu. Est-ce contre un membre de la commission ou pas ? Oui. Où est donc le mensonge ? Il n’y en a pas ».

Pour le conseil, il faut relaxer Lookman Sawadogo pour infraction non constituée. Les deux organes (justice et presse) sont complémentaires, a poursuivi l’avocat arguant que c’est sur la base des dénonciations par voie de presse que la commission a pu travailler.

La décision finale est attendue pour le 10 aout 2017.

Tiga Cheick Sawadogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net