Les institutions chargées du contrôle de la gestion publique au Burkina Faso sont fidèles dans la fourniture régulière de rapports. Après le rapport de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) publié le 19 octobre de l’année 2016, c’est celui de la Cour des comptes qui a été rendu public le 25 janvier 2018 dernier. Dans le premier comme dans le dernier, des irrégularités gestionnaires sustentées par des faits de malversation, de surfacturation et de corruption, lesquelles somme toute ne manquent de nourrir le forum politique où s’entremêlent critiques objectives et subjectives, ragots de bureau et de rue… Mais au-delà, après, « Nihil novi sub sole » en termes d’actions politico-judiciaires fortes dans le sens de prévenir les actes de concussion dans les institutions étatiques.

Que les Burkinabè en sachent de la gestion des structures publiques est une bonne chose. Au nom de la redevabilité de l’Etat aux citoyens, cela ne procède nullement de l’exceptionnel. En tout état de cause, c’est tout naturel que les institutions chargées de contrôler la gestion des différentes institutions étatiques livrent les fruits de leurs expertises. Après coup, ne bénéficient-elles pas de budgets de fonctionnement pour cela ? Leurs personnels ne sont-ils bien rémunérés pour faire ce travail ?

La livraison de ces rapports sur des gestions calamiteuses des établissements et des biens publics devraient impérativement aider à refonder la gouvernance étatique dans sa globalité sur des schèmes de responsabilité, de transparence et d’essence républicaine. Or, actuellement, au-delà du foisonnement d’indignation et de critiques acerbes que les différentes révélations de prévarication et de corruption créent dans l’opinion publique, il n’y a jamais eu de suite tangible de sorte à marquer les esprits des citoyens qu’il y a une volonté de rupture nette. Ce faisant, chaque année, les rapports tombent, mais rien ne change fondamentalement… De la monotonie…

Des révélations sans échos judiciaires…

Le fait que jusque-là, les scandales de gestion calamiteuse soient révélés sans qu’il y ait une volonté manifeste sur le plan judiciaire de poursuivre les gestionnaires indélicats est une tradition au pays des Hommes intègres. Une tradition qui passe pourtant mal aux yeux des citoyens assoiffés de transparence et de justice sociale. Dans la logique de la République, quoi de plus normal que les personnes indélicates qui ont bradé les intérêts du peuple répondent de leurs forfaits devant les institutions judiciaires. Normalement, des procédures judiciaires pénales devraient être initiées contre les acteurs de mauvaise gestion et leurs complices au nom de la vertu républicaine.

Ce sont-là des procédures qui ont toutes leurs significations et leurs importances dans le principe de l’Etat de droit auquel s’est souscrit le Burkina Faso de par sa Constitution. Il est donc de bon aloi que ceux qui transgressent les canons de la République soient punis conformément aux dispositions que la loi fondamentale met en vigueur. Malheureusement, comme déjà souligné, des actions fortes de rupture se glanent vraiment en la matière.

Lors de la remise du dernier rapport de la Cour des comptes au président du Faso, le 25 janvier dernier, le 1er président de ladite juridiction s’est contenté d’expliquer seulement que des « observations et recommandations ont fait l’objet de référés et de lettre du Président, adressés respectivement aux autorités de tutelle et aux ordonnateurs » et qu’ « il leur appartient de prendre les mesures qui s’imposent pour faire cesser les errements constatés afin d’améliorer la gouvernance ».

Au-delà de ces observations et de ces recommandations, aucune mesure punitive de dissuasion. La sanction contre les contrevenants semble se limiter au seul fait de publication de leur indélicatesse dans la gestion des affaires publiques dans un rapport. Si c’est juste cela, l’on en conviendrait qu’elle l’est dans ce cas juste symbolique… Au-demeurant, sous les tropiques burkinabè, les sanctions symboliques sont-elles vraiment efficaces ? L’opinion burkinabè est généralement amnésique pour ce genre d’action « immatérielle »… Sous peu l’on oublierait les forfaits et leurs responsables ; et ceux-ci pourraient peut-être récidiver encore…

Pourtant la Cour des comptes est une haute juridiction qui possède la plénitude des compétences pour entreprendre des poursuites contre les prévaricateurs. Mais pourquoi se contente-t-elle jusque-là d’observer et de recommander. Pourquoi au lieu d’actions molles ou symboliques, elle n’use pas de ses compétences de façon marquante pour le respect du droit et des bonnes mœurs républicaines qui est sa raison d’être ?

La réponse à telle interrogation se trouverait-elle peut-être dans les subtilités politiques ? D’aucuns pourraient y croire, quand on sait que, quand même, les premiers responsables de cette juridiction sont nommés en conseil de ministres. Conséquence, le fait que ceux-ci ne veuillent exprimer leur audace républicaine qu’à l’aune de la volonté globale de ceux qui tiennent les rênes de l’Etat est une hypothèse qui peut paraitre pertinente. Il y a lieu effectivement de reconnaître que sur le plan budgétaire, l’on peut toujours trouver des subterfuges pour exercer des formes de nuisance à leur endroit et contrecarrer par le fait leurs actions judiciaires. L’argent n’est-il le nerf de la guerre ?

L’ASCE-LC doit rendre davantage prégnante son action anti-corruptrice…

La constitutionnalisation de l’ASCE-LC faite par le Conseil national de la transition(CNT) est une très bonne dans la logique de la lutte contre la corruption au Burkina Faso. Depuis l’adoption de la « Loi organique n°082-2015/CNT portant attributions, composition, organisation et fonctionnement de l’autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption(ASCE-LC) », cette structure est dorénavant compétente pour « saisir la justice de toute violation commise par les services du secteur public ainsi que par leurs agents, des textes législatifs et règlementaires qui en régissent le fonctionnement administratif, financier et comptable ; saisir la justice de tous faits de corruption et d’infractions assimilées commis dans les secteurs public, privé et de la société civile »(article 9).

Depuis cette réforme, l’on s’attend à voir des actes forts de l’institution de Luc Marius Ibriga dans le sens judiciaire contre ceux sont épinglés pour corruption ou malversations dans la gestion des deniers publics. L’on peut déjà saluer le fait que cette institution ait fait des révélations sur les actes gestionnaires au niveau de la présidence.

Certes, cette structure a instruit par ailleurs une action judiciaire contre Nathalie Somé concernant sa gestion non moins catholique des comptes du Conseil supérieur de la communication(CSC). L’on pourrait peut-être trouver d’autres actions judiciaires contre quelques personnes parce que ces dernières n’auraient pas bien géré le bien commun… Mais ce n’est pas suffisant, de sorte à amener les gens à cesser de faire de la concussion dans la gestion des biens étatiques. La preuve est que des Burkinabè continuent de voler l’argent du contribuable en toute impunité. C’est pourquoi il est plus que nécessaire que l’ASCE-LC donne davantage des dents acérées à son action de lutte contre la corruption.

Sans quoi, l’on va rester dans les redites via des rapports de révélations, sans pour autant arriver à expurger la gestion publique des pratiques illicites. Il faut que l’ASCE-LC transmette régulièrement les cas de corruption et de malversation à la justice pour des éventuelles poursuites…

Les juridictions et les magistrats doivent prendre leurs responsabilités au nom de la loi

Il ne suffit pas que les dossiers de malversation soient juste transmis à la justice pour la forme. Encore faut-il qu’il y ait des suites judiciaires conséquentes.

Le fonctionnement de la justice ne manque pas parfois de complexité, surtout pour les citoyens incultes en matière de judicature. L’on a souvent entendu dire que les juges du TGI ne pouvant s’autosaisir, ils sont ab hinc incapables d’engager des procédures contre les personnes qui sont impliquées dans des scandales financiers tels que révélés dans les rapports de l’ASCE-LC et la Cour des comptes tant qu’ils n’ont pas de dépôt de plainte. Et comme au Burkina Faso, la coutume pour le gouvernement est de ne pas poursuivre systématiquement les auteurs de malversations, de nombreuses personnes continuent de vivre tranquillement en toute impunité alors qu’elles sont présumées coupables de spoliation des biens de l’Etat.

C’est pourquoi en plus de l’ASCE, il y a cette nécessité urgente que les autres maillons de l’appareil judiciaire burkinabè jouent dûment leurs rôles. L’on a déjà déploré le fait que la Cour des comptes n’aille pas assez souvent au-delà des révélations in libro. Mais elle n’est pas seule. Il y a par exemple le Conseil constitutionnel qui est une juridiction compétente pour réclamer des poursuites sur les mauvais gestionnaires. Mais à ce niveau encore, il manque d’actions fortes de façon constante.

Au-delà des juridictions, il y a même les magistrats qui même lorsqu’il n’y a pas de plainte peuvent s’autosaisir. Assurément, les magistrats du siège ne peuvent toujours pas, à défaut de plainte, s’autosaisir. Mais, ce n’est nullement le cas des juges du parquet qui selon les dispositions légales sont exonérés de la restriction qui s’applique aux premiers. Les juges du parquet sont chargés de défendre le peuple lorsqu’il est lésé par qui que ce soit. Donc, chaque fois que des malversations ou des détournements sont commis, le procureur du Faso et ses substituts peuvent poursuivre les personnes suspectées. C’est leur rôle ! Malheureusement, en la matière, dire que de manière générale les juges burkinabè sont mus par un certain attentisme est une vérité de La Palice.

Le recours à la justice : rempart pour préserver la République et l’Etat de droit au Burkina Faso

Il n’est vraiment pas normal que l’exercice des institutions de contrôle de la gestion étatique consiste seulement en la production de rapports. Elles ne doivent pas se débiner par rapport à l’exercice de leur droit et devoir de poursuite judiciaire contre les gestionnaires indélicats de l’Etat. Mais au-delà de toutes ces instances, au-delà des juges, tout le monde est interpelé. En effet, la loi permet tout le monde en tant que citoyen de saisir la justice pour demander des comptes à ceux qui ont fait de la mauvaise gestion leur sport favori lorsqu’ils étaient à la tête des institutions étatiques. Tout le monde a l’obligation morale, citoyenne et patriotique de poursuivre tous les individus trempés dans ces affaires de corruption et de malversation que l’ASCE-LC et la Cour des comptes ont révélées dans leurs rapports.

Les faits de spoliation de la société rapportés par les différents rapports sont tellement flagrants et gravissimes pour que leurs auteurs ne répondent de leurs responsabilités devant la justice. « Sol lucet omnibus ! », c’est-à-dire : le soleil luit pour tout le monde. Autrement dit, tout le monde, tous les Burkinabè doivent jouir des biens de leur pays. Il est donc tout aussi ignominieux qu’inconcevable que des individus se croient sortis de la cuisse de Jupiter et prennent à leurs comptes personnels les biens généraux de la société burkinabè.

Il va falloir que tous les citoyens épris de justice et d’équité prennent en main la défense des intérêts nationaux en faisant pression sur les institutions de contrôle et les juridictions afin que les droits de tous soient incessamment respectés. Le droit à la justice, le droit à la vérité… C’est pourquoi, au-delà des opportunités de poursuites qu’offre la loi, la vigilance et les interpellations doivent rester de mise surtout quand on est averti des accointances que des juges pourraient avoir avec le politique d’où sont souvent issues les prévaricateurs… Ne faut-il pas vraiment craindre les Grecs même lorsqu’ils vous font des cadeaux ?…

Anselme Marcel Kammanl

Lefaso.net

Source: LeFaso.net