« Mesdames et Messieurs, en vos titres et grades, tout protocole respecté »

ou « Mesdames et Messieurs, en vos honneurs, dignités, titres et grades respectés »

ou « Mesdames et Messieurs, en vos qualités, titres et grades respectifs, tout protocole respecté », entend-on parfois dans les cérémonies. Ces expressions sont des “africaneries” selon l’ambassadeur Mélégué Traoré, spécialiste des relations internationales et du protocole.

J’ai souvent relevé dans mes interventions publiques que la seule richesse véritablement durable et sûre du Burkina Faso, réside dans son élite, et de manière générale dans ses ressources humaines. Le projet colonial s’est basé sur le bloc de population dense que constituaient l’ensemble mossi et la masse des populations de la poussière d’ethnies de l’Ouest, pour créer la Haute Volta en 1919. Le but était d’organiser la main-d’œuvre pour les travaux d’infrastructures en Côte d’Ivoire et au Sénégal, ainsi que les exploitations forestières en Eburnie. Notre pays n’a pas été créé au départ pour être développé. Tel n’était pas l’objectif. Mais nos devanciers et les élites actuelles ont su admirablement retourner la situation en notre faveur, et construire un Etat solide qui tient malgré les secousses actuelles. De là la responsabilité des élites dans tous les secteurs.

Et sur ce plan, nous n’avons rien à envier aux nations voisines en matière culturelle et d’animation sociale par exemple. Mais cela suppose que nous soyons bons et même excellents dans ce secteur comme dans d’autres. Les présentateurs des cérémonies constituent un bon exemple à cet égard. Ceux que nous avons, aussi bien à Bobo Dioulasso qu’à Ouagadougou et dans les régions, et dont les principaux sont connus, excellent en général dans leur travail. Il n’y a pas qu’eux. Les agents de protocole et beaucoup de personnes sont amenés à être occasionnellement des présentateurs de cérémonie. Généralement, ils exécutent un travail remarquable, avec certes quelques imperfections.

Mais, comme pour le protocole auquel leur activité est intimement liée, il faut qu’ils maîtrisent les règles de l’animation et quelques principes clés. Malheureusement, les structures que nous avons au Burkina, offrent peu de possibilités de formation dans ce domaine. Le Centre Parlementaire Panafricain a inscrit ce thème sur la liste de ses séminaires de formation pour 2019. En attendant, il est important d’attirer l’attention sur quelques points.

Certaines formules que les présentateurs emploient, sont tout, sauf appropriées. Elles concernent pour la plupart l’emploi des titres de distinction honorifique comme ‘‘Excellence”, ‘‘Honorable”, ‘‘protocole” et le titre ‘‘ambassadeur” dont on abuse. La formule ‘‘en vos titres et grades, tout protocole respecté” compte parmi les moins appropriées et les plus bizarres.

A Ouagadougou ou à Bobo, Banfora, Koudougou… au début des cérémonies, après avoir cité les hautes personnalités sur une interminable liste qui finit par lasser le public, le présentateur qui visiblement aime s’écouter parler, finit par ceci :

« Mesdames et Messieurs, en vos titres et grades, tout protocole respecté »

ou « Mesdames et Messieurs, en vos honneurs, dignités, titres et grades respectés »

ou « Mesdames et Messieurs, en vos qualités, titres et grades respectifs, tout protocole respecté ». La créativité est sans limite en la matière, et certaines formules sont proprement surprenantes.

Ces formules bizarres et sans grande signification, déclinées sous des formes variables selon l’inspiration et les caprices des maîtres et présentateurs de cérémonie, font pourtant fortune dans deux ou trois pays africains, dont malheureusement le Burkina Faso ; ces pays ne sont pas nombreux heureusement. On n’entendra jamais certains types d’énoncé au début d’une cérémonie au Cameroun ou au Sénégal, des pays où le protocole est certainement le mieux maîtrisé en Afrique francophone, et où il est réellement professionnalisé. Ces envolées pleines d’emphase sont principalement le fait de quelques maîtres de cérémonie, et de certains agents de protocole. Les formules dont il s’agit sont inconnues en Asie, en Europe, en Amérique et en Amérique latine. Elles font partie des africaneries dont nous avons seuls le secret sur notre continent.

Des maîtres de cérémonie, ces formules ont curieusement été transférées aux personnalités qui prononcent des discours. Dans le cours de leurs interventions, il n’est pas rare d’entendre de la bouche de hautes personnalités, pourtant à la notoriété et à la culture reconnues, ce genre de citations déclamatoires qu’un diplomate européen a un jour qualifiées de ridicules : ‘‘Mesdames et Messieurs, en vos titres et grades, tout protocole respecté, je tiens à vous remercier pour votre présence à cette cérémonie”.

Cette formule est à bannir absolument de l’étiquette protocolaire, parce qu’elle n’a pas de sens et est inappropriée. En matière de protocole, à une cérémonie, on ne cite une personnalité en la distinguant sur le plan honorifique, que si on est en mesure de l’identifier et de lui donner le titre auquel elle a droit. Autrement, on s’en tient aux titres de la civilité courante : « Monsieur », « Madame », « Mademoiselle », « Mesdames », « Messieurs », « Mesdemoiselles ». Dans le protocole, ces titres remplacent valablement n’importe quel titre honorifique : « Monsieur le Président du Faso », « Monsieur le cardinal », « Monsieur l’imam », « Monsieur l’archevêque », « Monsieur le Patriarche », ne portent en rien atteinte à la dignité de ces personnalités. Ils ne diminuent pas la considération à laquelle elles ont droit. La formule d’appel de la Reine d’Angleterre et des princesses est ‘‘Madame” ; celui des grands nobles tels que les barons, les marquis et le comtes ou vice-comtes est ‘‘Monsieur”. Le titre du frère cadet du roi Louis XIV en France, était, ‘‘Monsieur” tout court.

« En vos titres et grades respectés » : la tournure était inconnue jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. C’est dans la décennie 2000 qu’elle s’est installée. Elle a d’abord été employée par quelques maîtres de cérémonie lors des mariages, des baptêmes et d’autres manifestations à caractère privé, avant de gagner les célébrations publiques. Quelques agents du Protocole d’Etat, qui n’ont pas de véritables connaissances en techniques de protocole, l’emploient de temps à autre.

« Tout protocole respecté » : cette expression ne veut rien dire. Le protocole ne se cite jamais lui-même dans une cérémonie ou une circonstance de haute tenue, surtout pour déclarer qu’il se respecte lui-même. Car précisément, c’est « tout le protocole » qui est respecté quand au début de la cérémonie, le présentateur se soumet au rite de la citation et de la reconnaissance honorifique des plus hautes autorités. Il est rappelé que celles-ci doivent être tout au plus une dizaine. On ne cite que les plus hautes autorités au début d’une cérémonie ou d’un discours à une cérémonie ; en principe entre cinq et dix suffisent largement.

De fait, l’une des explications de la dérive qui a abouti à la fameuse formule de « titres et grades, tout protocole respecté », vient de la tendance des maîtres de cérémonie à vouloir citer toutes les personnalités et les corps ayant quelque importance, présents à la cérémonie. Or la liste des corps et des personnalités est potentiellement si longue, qu’à la fin, le présentateur est obligé d’amalgamer dans un fourre-tout indéfini de personnalités, celles qu’il ne connaît pas et qu’il ne peut citer. D’ailleurs, beaucoup dans l’assistance, n’ont ni titre, ni grade. En matière de protocole, dans les Etats, comme à l’ONU et dans les organisations internationales, dès lors qu’on veut citer collectivement des personnalités, il n’y a qu’une formule qui vaille : ‘‘Mesdames et Messieurs” …

Il en est du protocole comme de la diplomatie : moins on est long, plus on est clair, plus on est concis et précis, mieux ça vaut. Abandonner cette curieuse africanerie, n’enlèverait rien au mérite de nos présentateurs, qui sont généralement bons, et qui doivent être félicités et soutenus.

Ambassadeur Mélégué Ngolo Traoré

Ministre plénipotentiaire

Source: LeFaso.net