Ingénieur en systèmes d’informations, Georges Damien est un informaticien burkinabè qui a roulé sa bosse dans les institutions internationales avant de créer sa propre entreprise au Burkina, en 2016. Dans une interview accordée à LeFaso.net, le fondateur de « Faso Compute » parle de sa passion pour le domaine, son expérience et fait également des propositions pour garantir la souveraineté numérique du Burkina.

Lefaso.net : Vous êtes un ingénieur en système d’informations. Qu’est-ce qu’on peut entendre par système informatique ?

Georges Damien : En réalité, quand on dit informatique, les gens pensent que c’est juste des ordinateurs ou encore ceux qui réparent des imprimantes, qui installent des câbles réseaux dans une société. On ne peut pas définir l’informatique à partir de ces éléments. Quand on parle de système informatique, c’est tout ce qui permet d’automatiser les informations et qui permet un gain de temps énorme, une facilitation de travail dans tous les domaines. Je vous prends l’exemple de la restauration où le serveur doit avoir un cahier pour écrire les commandes. Il peut substituer ce service à l’informatique. A l’aide d’une tablette, il sélectionne juste le menu commandé et cela signale à la cuisine que tel numéro de table a commandé tel plat. Voici ce que sont les systèmes informatiques, on automatise tout. C’est comme le feu rouge qui passe au vert au bout d’un certain temps, c’est possible grâce à l’informatique. Les exemples sont légion…

Quel a été le déclic de votre attachement à l’informatique ?

Depuis que je suis petit, j’ai toujours été passionné par tout ce qui est mécanique, électronique et informatique. Je voulais vraiment savoir comment fonctionnent les ordinateurs, l’électronique. Petit-à-petit, j’ai commencé à réparer des ordinateurs, des imprimantes, des appareils à musique et autres. Cela m’a naturellement poussé à chercher à comprendre le fonctionnement du système d’information. Pour tout vous dire, l’informatique était une passion pour moi et je me suis donc investi pour réaliser mon rêve qui était de devenir un ingénieur en système d’information.

Après mon baccalauréat série D au lycée de la Jeunesse de Ouagadougou, je suis allé en France pour poursuivre mes études en informatique, notamment dans une école d’ingénierie spécialisée à Montpellier.

Après votre formation, vous êtes resté en France pendant 16 ans. Pourquoi vous avez préféré rester au lieu de venir mettre vos compétences au service de la nation, surtout dans un domaine où le besoin se fait sentir ?

(Sourire…) En fait, je suis resté parce que je voulais acquérir une expérience mais aussi parce que j’avais déjà eu des opportunités là-bas. Après les études, j’ai eu la chance d’intégrer des structures là-bas. J’ai travaillé beaucoup en collaboration avec Microsoft en tant que consultant durant plusieurs années, j’ai aussi travaillé pour d’autres pays comme l’Angleterre, les Etats-Unis, Madagascar, la Roumanie … J’ai eu le temps de toucher un peu à tout avant de décider de rentrer pour créer ma boite en 2016 au Burkina Faso, « Faso Compute ». Je peux vous dire que J’avais d’autres opportunités dans les pays voisins comme la Côte d’Ivoire et d’autres, mais j’ai pensé que le pays avait besoin de personnes comme nous, qui avons eu cette expérience à l’étranger avec une certaine compétence pour venir renforcer ce domaine. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de la compétence ici, mais c’est très peu. Sinon, j’ai des anciens camarades de classe que je connais même qui sont très bons dans ce domaine, mais c’est l’effectif qui pose problème.

Justement, concernant la création de votre entreprise Faso Compute, comment a été le début dans un pays où l’informatique semble ne pas être une priorité ?

D’abord, je dois vous dire qu’il est difficile d’entreprendre au Burkina Faso. En France par exemple où j’étais, si vous créez une entreprise, on vous allège beaucoup les charges sociales. Là-bas, vous êtes exonérés d’impôts pendant au minimum deux ans lorsque vous créez une société. On vous aide même avec du mobilier pour vous installer, vous n’êtes pas obligés d’immatriculer votre société. On aide les gens à entreprendre. Un entrepreneur a besoin d’un minimum pour pouvoir démarrer. Et quand on vient lui rajouter des charges comme ce qui se passe au Burkina, l’entreprise risque de disparaître.

Pour moi, lorsqu’un entrepreneur crée une société, il n’est pas normal qu’il paie ses impôts alors qu’il n’a pas encore démarré. Il devrait être exonéré au minimum un an pour lui permettre de décoller parce qu’il va payer des salariés, les déclarer à la caisse de sécurité sociale. Nous sommes dans un système où on pousse les gens à frauder et cela n’est pas normal. La responsabilité du gouvernement est de faire des efforts à ce niveau, même si je reconnais les efforts faits au niveau du projet startup Burkina. Il faut qu’il aide, en plus de ce qui est déjà fait, pour faciliter l’entrepreneuriat. Sinon, aujourd’hui au Burkina, à peine créé, on vous demande de payer une patente alors que vous n’avez même encore fait rentrer cinq francs CFA.

En plus, les gens ne font pas confiance aux nationaux. Ils se tournent plus vers l’étranger parce qu’il y a la réputation. Ils se disent que les autres pays sont forcément plus avancés que nous, notamment l’occident, et qu’ils peuvent garantir une qualité du travail alors que des structures comme les nôtres peuvent faire le même travail. Mais ils préfèrent l’expertise étrangère, alors que ce sont des gens avec qui nous avons eu la même formation. Certains marchés nous sont fermés. Ce sont des difficultés de ce genre que nous rencontrons.

Faso Compute travaille en collaboration avec dix personnes

Quelle est la vocation du Faso Compute, votre entreprise ?

J’ai axé ma structure sur quatre grands volets : le volet « Développement web, logiciel et mobile ». C’est vraiment 70% de notre travail. Nous développons des sites web, des plateformes en ligne, des logiciels et des applications mobiles. Comme je vous disais, nous avons développé une application mobile pour un assureur, qui permet aux assurés de suivre leurs contrats, de connaître les produits des agences et autres. Nous sommes en train de développer une application mobile dans le domaine de la finance qui va permettre aux gens de consulter leurs contrats, leurs comptes, leurs crédits auprès de cet organisme financier. Les sites web, nous en avons beaucoup fait. Nous faisons la transformation du marketing digital. Nous accompagnons certaines structures pour la vente de leurs produits et services, notamment, avec des publications sur les réseaux sociaux, des créations de contenus graphiques. Nous faisons aussi de l’audit, des conseils et supports informatiques. Nous aidons des clients à améliorer leur système informatique et le dernier volet est au niveau des formations techniques et méthodes agiles.

En tant que spécialiste de l’informatique, qu’est-ce que vous proposez au Burkina Faso afin de booster son développement dans ce secteur ?

Le Burkina Faso est en retard en matière d’informatique, ça il faut le reconnaître. D’abord, il faut qu’on insère l’enseignement de l’informatique dans les écoles même depuis le primaire. Vous prenez les pays comme l’Allemagne, et autres, vous allez voir que, depuis l’école primaire, ils ont intégré tous les aspects numériques dans l’éducation. Cela permet de comprendre plus tôt la logique qu’il y a derrière l’informatique. C’est-à-dire qu’on peut déjà leur apprendre à éditer des textes sur Word et autres. C’est pour vous dire qu’on ne doit pas laisser que l’enfant arrive en terminale pour découvrir cela. Malheureusement, c’est ce qu’on voit. Il y a des étudiants aujourd’hui qui ne savent même pas rédiger un rapport sur ordinateur à plus forte raison envoyer un mail à quelqu’un. Donc, il faut qu’on insère l’enseignement de l’informatique dans les programmes scolaires, même si d’autres écoles le font déjà.

C’est un peu comme les mathématiques, il faut les initier tôt et quand ils arrivent en terminale, qu’ils aient déjà ce bagage pour qu’ils puissent comprendre un peu le fonctionnement des systèmes informatiques. Il est très difficile aujourd’hui de travailler sans informatique, elle est devenue incontournable.

A vous entendre, on a l’impression que vous voulez dire qu’il n’y a pas encore de prise conscience ?

Je ne le dirai pas ainsi mais je pense qu’il y a beaucoup d’efforts à faire encore dans notre pays en matière de développement informatique. Je vous prends un exemple simple, nous sommes dans un pays où le taux de bancarisation est trop faible. Les gens sont toujours habitués aux billets alors que l’argent n’existe pas, il est virtuel. Il y a des pays où on ne sort quasiment plus les billets, mais des cartes informatisées, des puces tout simplement. Au Burkina, on peut prendre l’exemple de Orange money. Même dans les villages reculés, les gens font les transactions bancaires sans sortir un billet, c’est de l’informatique pure. Sans l’informatique, cela n’allait pas exister.

Vous prenez les réseaux sociaux, tout le monde a un smartphone. En fait, le smartphone est juste un matériel. Mais derrière, il y a que de l’informatique, sans l’informatique les réseaux n’allaient pas exister, tout est informatisé. Encore plus, sans l’informatique, le téléphone, la banque etc. n’existeraient pas. Elle est devenue un instrument de domination. Dans le domaine politique par exemple, elle est encore une arme redoutable qu’utilisent les différents pays. Vous avez vu les dernières élections aux Etats-Unis. On a accusé la Russie d’avoir falsifié les choses, notamment, via les réseaux sociaux.

Regardez la place des réseaux sociaux de nos jours. Facebook, notamment, n’est plus un site web de rencontre d’échanges entre amis. C’est devenu un outil à part entière qui manipule et contrôle des Etats. Vous vous imaginez en l’espace de moins de 20 ans ce qu’est devenu Facebook comme réseau social. Il vaut mieux ne pas avoir l’électricité mais avoir l’Internet de nos jours. Demandez aux populations si ils veulent qu’on leur coupe la SONABEL où leurs données mobiles, vous allez voir la réponse.

Vous êtes aussi avant tout un entrepreneur. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat mais hésitent toujours. Vous, à travers votre expérience, qu’est-ce que vous pouvez dire à ces jeunes pour les accompagner dans la réalisation de leurs rêves ?

Je ne conseille pas aux gens d’entreprendre de sitôt. Malheureusement, ici au Burkina et surtout sur les réseaux sociaux, on pousse les gens à entreprendre, ce qui est une très grosse erreur parce qu’on envoie les gens à l’abattoir. Il faut apprendre d’abord un métier, connaître ce métier avant de parler d’entrepreneuriat. J’ai reçu beaucoup de jeunes en entretien, tous me disent qu’ils veulent faire de la sécurité informatique, de la cyber-sécurité. Je peux vous dire que 70% de ces jeunes que j’ai reçu dans mon entreprise ne connaissent même l’informatique de base d’abord. On ne connaît pas les bases et on veut faire une spécialisation. C’est pourquoi, je dis, avant d’entreprendre, apprenez le métier, allez travailler chez ceux qui connaissent le métier. Cela va vous permettre de développer des compétences et de l’expérience avant de vous lancer dans l’entrepreneuriat.

C’est ce que je pense, il faut un minimum de bagages avant de se lancer dans l’entrepreneuriat dans certains domaines comme l’informatique. Quand vous allez sur les réseaux sociaux, vous avez des semblants de coachs qui poussent les gens à entreprendre, c’est une bêtise terrible pour notre pays. Ce n’est pas parce qu’un coach vous a dit d’entreprendre qu’il faut entreprendre. Regardez vous-même votre situation, d’où vous venez, quel est votre parcours, si vous êtes prêts à aller jusqu’au bout. Se lever pour entreprendre c’est facile, mais tenir plusieurs années, c’est pas facile.

On n’apprend pas l’entrepreneuriat à l’école, ce qui n’est pas normal. Il faudrait qu’on explique aux gens ce que c’est qu’entreprendre. Entreprendre c’est beaucoup plus complexe que ça. Il faut qu’on mentore les gens, qu’on leur explique les métiers en profondeur avant qu’il ne se lancent dans l’entrepreneuriat.

S.I.K (stagiaire)

Lefaso.net

Source: LeFaso.net