De l’insurrection au pouvoir actuel du MPP via la transition : quel bilan, quelles leçons à retenir ? Le Balai Citoyen et le réalisateur Christian Carmosino partagent leurs témoignages sur les derniers jours du président Blaise Compaoré.

De passage à Genève en Suisse dans le cadre d’une tournée de sensibilisation et de concert, Smockey et Sams’K Le Jah du Balai Citoyen ont animé une soirée film-débat-concert à l’Espace Grosselin. C’était le 26 novembre 2016 à travers un Hommage à Thomas Sankara initié par Abel Sankara de l’association Buud Yam. Cette soirée d’hommage a été également l’occasion de manifester une solidarité avec l’artiste Smockey suite à l’incendie qui a complètement détruit son studio Abazon en juillet 2016. Ce dernier dira d’entrée : « nous sommes là pour un appel à l’unité », car sans unité les luttes sont vaines et sont condamnées faiblir et à rester sans effets. Un appel au pays et à sa diaspora. Cette diaspora burkinabé d’Europe et de Suisse notamment qui semble peu visible et peu engagé, selon le Balai Citoyen, dans cette lutte comme en témoigne cette faible affluence à ce évènement. Un manque d’affluence ou d’intérêt probablement lié aux préoccupations de chacun et au manque de communication et de coordination entre burkinabé de Suisse autour de cette soirée film-débat-concert.

L’événement a vu également la présence du réalisateur italien du film « Pieds nus », Christian Carmosino, relatant les 3 jours de l’insurrection qui a balayé le pouvoir moribond de Blaise Compaoré. « Pieds nus » est un documentaire saisissant des dernières heures du régime Compaoré, capturées par cet italien qui était là pour réaliser un documentaire scientifique.

Caméra à la main, Christian Carmosino est plongé dans cette tumulte, ce grondement qui s’élève des masses citoyennes et jeunes qui, soudain, puis progressivement, se reconnaissent capables de dire enfin à Blaise Compaoré : NON ! DEGAGE ! Il sera presque adopté par la foule des manifestants de divers endroits chauds de Ouagadougou ces 3 derniers jours d’octobre 2014. Cette immersion montre les risques pris par les manifestants, leur détermination et le danger que la situation puisse dégénérée ou, au contraire que ce déséquilibre puisse profiter aux manifestants qui exigeaient le départ pur et simple de Compaoré. Cela rend encore plus poignant le témoignage du caméraman et des principales personnes et organisations citoyennes descendues sur la place publique pour réclamer haut et fort le départ sans condition du président Compaoré.

Parmi ces personnes se trouvent Sams’K LeJah et Smockey du Balai Citoyen. Leur présence à cette projection du film et aux débats qui ont suivis a donc été l’occasion de rappeler ce qui s’est passé, ce qui s’en est suivi avec la Transition dirigé par le Conseil national de la transition (CNT), et ce qui se passe aujourd’hui avec le pouvoir post-transition du MPP des trois gros « dissidents » du régime Compaoré dans ses dernières années : le Président du Faso Rock Marc Christian Kaboré, le président de l’Assemblée nationale Salif Diallo et le super-ministre de l’intérieur et de la sécurité, Simon Compaoré. Trois anciens grands notables et « faiseurs » du régime Compaoré qui, bien qu’ils aient su abandonner le navire Compaoré à temps, n’en demeurent pas moins comptables.

Que s’est-il vraiment passé ?

Qu’est-ce qui s’est réellement passé ces derniers jours ? Ce film nous donne à voir de nombreux instants et personnages mais ne peux objectivement livré les dessous et certaines coulisses de cette insurrection. Aussi les deux leaders du Balai Citoyen, lors du débat, ont éclairé le public sur certaines vérités de ces heures critiques de l’histoire récente du Burkina.

Dès lors que la foule grandissait dans la rue, malgré les risques d’intervention du RSP et des autres unités de sécurité, encouragée et galvanisée par des représentants de le société civile et de certains partis politique, les manifestants sont devenus plus téméraires en exigeant rien de moins que le départ de Compaoré. Mais cette éventualité qui n’avait apparemment pas été envisagée plus tôt par les manifestants et leurs dirigeants posait d’évidence la question de la transition, donc de la prise de pouvoir dès lors que Blaise se résignait à le quitter.

Des tractations ont conduit au cafouillage des premiers instants de cette sorte de vacation de pouvoir avec les déclarations du Général Nabéré Honoré Traoré contredites par celles du Lieutenant-Colonel Yacouba Isaac Zida assez peu connu à l’époque de l’opinion publique burkinabé. Le Balai Citoyen étant au premières loges, ses responsables ont dû négocier avec les militaires dès lors qu’il était acquis que Blaise avait cédé. Les militaires, parce qu’en ces temps d’incertitude l’armée constituait, semble-t-il, le seul corps social assez organisée, disciplinée et forte capable d’assumer le pouvoir en entendant d’y voir clair. Et c’est encore le Balai Citoyen qui indiquera la voix en proposant que l’armée prenne ses responsabilité en commençant par sécuriser l’espace et les biens publics et par assurer la continuité de l’Etat à travers le reprise normale des services de l’administration publique et des activités de chacun. Pendant ce temps des partis politiques (de l’opposition ancienne et nouvelle) voyaient déjà là de bonnes affaires à faire en commençant des manœuvres et des calculs politiciens pour se partager les places qu’allaient nécessairement libérées le CDP du régime finissant de Blaise.

Ce que le film ne montre pas, il est vrai, c’est la part de l’entourage de Blaise et de ses alliés (Burkina, CI, France) qui a sans doute aussi contribué à le décider à partir. Pour que l’histoire soit plus complète et objective, il serait intéressant de savoir ce qui s’est passé (ou ne s’est pas passé) dans le cercle proche des Compaoré rendant finalement possible son départ sans grande effusion de sang.

Cela dit, le Burkina a eu « beaucoup de chance » car les protagonistes ont su manœuvrer assez rapidement pour permettre le départ inconditionnel de Blaise et la mise en place d’une transition politique chargée de préparer les futures élections. Cela aurait pu tourner autrement pire si l’armée n’avait pas pris ses responsabilités en contrant dans un premier temps les militaires du RSP et en aidant à trouver les hommes qui allaient assurer la transition. Et c’est cette approche consensuelle qui a permis de mettre en place le CNT, de désigner son président Chérif Sy, le président de la Transition Michel Kafando et son premier ministre Yacouba Zida qui a assumé la fonction de Chef de l’Etat les 3 premières semaines de cette transition.

Et le Balai Citoyen, ne voulait-il pas lui aussi le pouvoir ?

Non, le Balai Citoyen clame à qui veut bien l’entendre qu’il ne voulait ni ne veut le pouvoir. La preuve, il a été à deux doigts de ce pouvoir et, respectant ses principes, a refusé toute compromission politicienne qui l’aurait amené à tirer parti et avantage de ce changement politique auquel il a largement contribué. Mais qu’est-ce qui anime donc ces jeunes citoyens balayeurs qui font éminemment de la politique et tout en refusant d’en assumer la gestion et la pratique exécutive du pouvoir ?

C’est l’esprit Sankara ! « C’est Thomas Sankara » dira Sams’K LeJah. C’est cette conscience que nous devons être, tout citoyen que nous sommes, en mesure d’exiger de nous-mêmes, de nos dirigeants et hommes politiques de la droiture, de la justice, de la dignité et de la vérité, en somme de l’honnêteté ! Smockey dira que s’il y a un seul qualificatif que l’on doit retenir si on veut être un véritable politique au service de ses concitoyens, c’est d’être honnête. Et c’est cette honnêteté qui les aident à se prémunir des compromissions de certains politiciens actuels. Malgré cela, il n’est pas rare de voir et d’entendre dans la presse sur certains réseaux sociaux que le Balai Citoyen, et surtout ses personnalités visibles, Sams’K, Smockey et Maître Kam, ont tiré profit de l’insurrection et de la transition. Ces derniers auraient eu des « deals » et bénéficié d’avantages matériels et financiers lors de la transition, ce que le Balai Citoyen réfute catégoriquement.

Malgré les manœuvres internes et externes des anciens tenants du pouvoir qui ont culminé avec le coup d’Etat manqué du Général Diendéré et compagnie en septembre 2015, le CNT a conduit la transition jusqu’aux élections du 29 novembre 2015 qui ont désigné Rock Marc Kaboré à la Présidence du Faso. Un an après qu’est-ce qui a fondamentalement changé ? Pas grand-chose ou peu de chose selon le Balai Citoyen qui fait remarquer au passage que la Transition et le désormais Général Zida, premier ministre de la Transition (et exilé indéterminé) semblent aujourd’hui être le bouc émissaire du pouvoir actuel qui s’échine à dénoncer des malversations commises sous la transition. Pendant ce temps certains dossiers initiés par cette même transition piétinent.

Toutefois, une chose acquise est bien la dissolution du RSP, le régiment de la sécurité présidentiel de Blaise Compaoré, dissolution sans laquelle il n’est pas sûr que les élections auraient pu se dérouler sereinement. Il n’est pas non plus certain que le président Rock Kaboré aurait pu être élu et encore moins régner tranquillement… avec le RSP. Avec les diverses attaques terroristes dont la plus importante est celle du 15 janvier 2016 à Ouagadougou, il y a eu comme une sorte d’avertissante « bienvenue » adressée aux nouvelles autorités burkinabé. Peut-être pour leur dire qu’avec le départ de Blaise (hôte bien connu et bienveillant de nombreux malfrats de la sous-région), les terroristes ne garantiraient plus la sécurité du pays en l’exemptant jusqu’alors d’attentats et d’enlèvements terroristes. Est-ce y voir la complicité de l’ancien régime Compaoré avec les terroristes islamistes, dans la déstabilisation comme le soutiennent certaines sources ? Avec ces attentats et les récentes attaques terroristes au Nord, la lutte contre le terrorisme devient une des grandes préoccupations du président Kaboré et des populations burkinabé qui, en plus de leurs divers besoins quotidiens dans un manque chronique de moyens, doivent désormais s’armer et se défendre de cette nébuleuse criminelle qui s’infiltre insidieusement dans le pays.

Mais si des terroristes peuvent entrer et sortir comme ils veulent au Burkina, y assassiner des soldats et des civils et s’évanouir au-delà et à l’intérieur de ses frontières sans être inquiétés, c’est qu’il y a, sans aucun doute, des complices burkinabé, s’ils ne le sont pas eux-mêmes. Qui sont ces burkinabé qui tirent profit ou participent à cet avancement du spectre du terrorisme au Faso ? Autant de questions intéressantes mais qui ne sont pas l’objet du présent article…

Des changements peu visibles

Pour revenir à la Transition et à l’après transition du président Kaboré, le Balai Citoyen estime qu’il est difficile, à l’heure actuelle, de voir des changements significatifs dans la conduite de la chose publique. De nombreux services et entreprises publiques et privées sont toujours entre les mains ou sous l’influence d’anciens dignitaires du régimes. Aussi les collusions et les copinages divers entre anciens, nouveaux et nouveaux-anciens amis du pouvoir rendent peu lisibles les changements que les citoyens sont en droit d’attendre du nouveau pouvoir… qui n’est pas si nouveau que ça !

Les opérateurs et/ou prédateurs économiques qui ont sévit sous le régime Compaoré sont les mêmes qui opèrent aujourd’hui, souvent avec toujours les mêmes méthodes : entrisme, passe-droit, corruption, vision à court terme, absence de vision, intérêts privés toujours privilégiés au détriment des intérêts du pays et de l’ensemble de ses citoyens, etc. Les diverses déclarations des biens des membres du gouvernement et du législatif posent plus de questions qu’elles n’en résolvent. La justice semble toujours complice du statu quo et les burkinabé pensent qu’on leur ment. Ils pensent que leurs politiciens ne sont pas « honnêtes » aussi bien de par leurs déclarations que par leurs comportements qui semblent donner à voir qu’ils sont vraiment loin des réalités et des préoccupations de la plupart des citoyens burkinabé. Ce décalage exacerbé qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré risque à nouveau de conduire les politiciens actuels dans une dangereuse impasse car ils semblent déconnectés du pays réel.

Ce Burkina réel demande enfin qu’on le respecte en menant à termes notamment les grands dossiers pendants de crimes politiques et économiques, qu’on le prenne au sérieux en mettant les personnes compétentes qu’il faut aux places qu’il faut, qu’on lui fasse confiance en construisant avec lui des projets de société dignes de ses attentes et de ses capacités. Car le Burkina réel et ses citoyens ont des besoins, ils ont des attentes et regorgent de capacités insoupçonnées qui ne demandent qu’à être reconnues et à être prises en compte pour un développement significatif et qualitatif de tous et de chacun. Et c’est ce qu’essaie de rappeler le Balai Citoyen, notamment à la diaspora burkinabé, à travers ses rencontres débats et concerts partagés en écho avec ceux qui, au pays, s’engagent concrètement pour un Burkina Faso digne de son nom.

Pour finir, nous dirons que la transition a été trop courte. Elle a été plutôt un pouvoir intérimaire qu’un véritable régime de transition comme l’avait fait remarqué… un certain Laurent Bado au début de celle-ci. La transition aurait pu et dû servir à aplanir et à purger toutes les aspérités et les incongruités du régime Compaoré incrustées dans le tissu socio-politique et économique du pays et qui l’ont sclérosé. Elle aurait dû avoir pour objectif premier, non pas préparer aux élections mais d’abord préparer à une nouvelle constitution forte, claire et adoptée par tous. C’est cette nouvelle constitution qui aurait dû servir de base pour des élections post-transition afin que la transition serve vraiment ce à quoi elle aurait dû servir : passer d’un régime récusé par le peuple à un régime politique et constitutionnel que le peuple se sera donné le temps et les moyens de choisir et de mettre en œuvre. Et pour cela la Transition aurait demandé 3 à 4 ans pour être efficace et utile. En avait-elle seulement le choix ? En avait-elle seulement la vision, les moyens et l’ambition ?

Certes, on ne réécrit pas l’histoire. Il reste toutefois à espérer que le pouvoir actuel serve de véritable transition ! Qu’il sera l’occasion de remettre certains compteurs à zéro et de travailler sérieusement à la mise en place d’une nouvelle constitution qui aide et conduise le peuple burkinabé et ses hommes politiques à prendre leurs responsabilités et à assumer pleinement et « honnêtement » leur destin… Et cela ne doit pas être incompatible avec un quelconque plan présidentiel de développement socio-économique national.

Je profite vous souhaiter à tous, lefaso.net, ses lecteurs, contributeurs, commentateurs et citoyens du Faso, tous mes vœux les meilleurs pour ce nouvel an.

Que l’année 2017 soit de bonne santé, de paix, d’abondance, de justice et de succès dans la construction d’une véritable démocratie au Faso.

(Pas celle imposée par l’occident à coût de coups tordus, de guerres, de commerce inéquitable, de dettes et de droits de l’homme. Mais bien celle que nous saurons inventer et imposer à nous-mêmes comme valables et intrinsèquement liée à nos valeurs d’unité, d’intégrité, de labeur, de solidarité et d’honnêteté.)

B. Parfait Bayala

Genève le 30 décembre 2016

Pour voir des photos et vidéo de ce débat hommage à Sankara suivez le lien ci-dessous :https://www.facebook.com/yalbi.yalbal

Source: LeFaso.net