Après Kongoussi dans la province du Bam, les populations du Loroum ont sonné la mobilisation populaire pour une résistance au terrorisme. Le 23 décembre 2019, la place de la nation de Titao chef-lieu de province, avait les allures d’un conseil de guerre. Il faut arrêter de fuir, a-t-on clamé.

De Yorsala à Ouindigui en passant par Banh, Toulfè, Sollé ou Rounga, la vie n’est plus ce qu’elle était. Elle est terne. Ces bourgades de la province du Loroum se sont vidées de leurs habitants, suite aux injonctions et exactions répétées des groupes armés. Mais le retour au village pour des milliers de déplacés internes qui majoritairement sont établis à Titao, chef-lieu de la province, est un ardent vœu nourri quotidiennement.

Zallé Halidou, 46 ans, trois femmes et 21 enfants. Cet habitant de Yorsala a dû fuir avec toute sa famille pour trouver refuge à Titao. Le regard lointain et hagard il reparle des jours qui ont précédé l’exode. « C’est dans la période de juillet-août qu’ils ont débarqué dans le village avec des armes. Ils ont voulu rassembler les gens pour faire le wazou (sermon en islam, Ndlr.), mais on a compris que c’était pour autre chose. Le wazou d’une personne armée n’est pas un vrai wazou, ce n’est pas sincère. On a donc refusé et là, ils ont donné un ultimatum de 72 heures à tout le village pour déguerpir ».


Egalement ressortissant de Yorsala, Oumarou Belem fait office de répondant des déplacés internes établis dans le chef-lieu. Il connait l’histoire de chaque famille du village forcée de partir. Les dents rougies par le tabac et la cola qu’il mâche vigoureusement, le déplacé conte le plan séquentiel mis en place par les hommes armés. « Aux premières heures, ils (les groupes armés, Ndrl.) disaient faire la guerre avec les gens qui travaillent avec le Blanc, c’est-à-dire les enseignants, et autres fonctionnaires. Par la suite, ils ont commencé des prêches, les enseignants ont fui. Ensuite, ils sont dit que ce qu’ils ne veulent pas, ce sont les conseillers municipaux, les koglwéogo ». Quand l’étau s’est resserré sur les habitants et qu’ils ont voulu partir, suite aux injonctions, ils se rendront compte qu’ils ne sont pas au bout de leurs peines.

« Ils ont barré la route de Titao, on est passé à Bougué, à mi-chemin, ils ont barré là-bas aussi. Ils ont retiré 17 dromadaires, 21 charrettes des femmes, 45 portables que l’OCADES avait donné aux femmes pour organiser leurs tontines et faciliter les activités génératrices de revenus », ajoute Oumarou Belem, non sans préciser que ceux qui les ont poussés vers ce chemin de croix sont généralement habillés en blouson, enturbannés, se déplaçant en groupe de 20 à 30 personnes et à deux par moto.


On n’est mieux que chez soi

Avec ses 15 enfants dont 8 scolarisés, Oumarou Belem n’est pas le père de famille le plus heureux. Depuis deux ans maintenant, les deux écoles primaires et le CEG de Yorsala n’étaient plus fonctionnels. A Titao aussi, seulement quatre de ses enfants ont pu continuer leurs cursus scolaires. « Je n’ai pas les moyens d’envoyer les autres », répond-il vaguement, l’air agacé.

Il faut dire que malgré les efforts du gouvernement, des organisations non gouvernementales, la vie des déplacés internes de la province du Loroum n’est pas des plus envieuses. Abdoul Karim Ganamé, 52 ans, ressortissant de Toulfè, parle avec amertume des efforts de toute une vie, perdus dans la fuite. Le bétail, les récoles dans les greniers. « C’est de nos champs que nous sommes venus ici le 7 septembre », se remémore-t-il douloureusement.


Dans une maison à pièce unique excentrée à Tensalga, un quartier de Titao, une fumée monte dans le ciel dégagé. Enveloppée dans un pagne pour se protéger de la fraîcheur matinale, une jeune dame active le feu et inspecte de temps en temps sa marmite au feu, soutenue par trois pierres en latérite. C’est Risnata Zongo, ressortissante de Ouindigui qui est à la cuisine. Au menu, du riz accompagné de haricot pour une dizaine de bouches à nourrir. « Il y a des jours ou je ne cuisine pas, et très souvent quand je le fais, c’est une seule fois dans la journée ».

La nouvelle vie de Risnata Zongo et de tous ses compagnons d’infortune est un apprentissage au quotidien. « Nous achetons le bois, l’eau, même les feuilles de baobab. Avant, il suffisait de nous rendre en brousse pour nous en procurer. Ici on achète tout. La maison est à louer alors qu’on n’a rien ».


Les populations de la ville d’accueil n’ont pas été insensibles aux difficultés des milliers de personnes qui ont afflué dans leur commune. Comme des bons samaritains, certains ont offert gite et couvert aux âmes en peine. « Vraiment, la population de Titao nous a beaucoup aidés. Certains ont même donné des maisons gratuitement à des déplacés qu’ils ne connaissent pas », reconnait Oumarou Belem.

Mais pour les chefs de famille, fiers, vivre sous assistance écorche la dignité. En plus, ils se rendront compte que l’environnement Secure qu’ils sont venus chercher à Titao n’est pas non plus à l’abri de ce qui les a mis dans la rue. En effet, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2019, la Direction provinciale de la Police nationale (DPPN) du Loroum a subi une attaque terroriste, pendant les heures du couvre-feu. C’est la riposte des policiers et gendarmes en patrouille qui a fait échec au projet funeste des individus armés. Depuis, à partir de 18h du soir, et ce jusqu’à 6h du matin, la ville est sous couvre-feu.


Conseil de guerre

Sur la place de la nation de Titao, l’harmattan souffle par à-coup, soulevant un léger nuage de poussière. Sous l’une des deux tentes dressées, un jeune homme d’une vingtaine d’années tient un mât en bois sur lequel est accroché le drapeau du Burkina Faso qui flotte au gré du vent. Derrière le drapeau, sous la tente, sont assisses plus de 60 personnes dont la particularité est de tenir des armes à feu. Sous l’autre tente, des autorités administratives, coutumières et religieuses.

Sous la coordination des Organisations de la société civile, les populations ont décidé d’engager un mouvement populaire pour se défendre contre les exactions des terroristes dans la province. Au pupitre, hommes et femmes se succèdent pour témoigner des souffrances vécues du fait des groupes armés, et surtout pour galvaniser, encourager les populations à s’organiser. Bori Bana (la course est finie, en dioula), dira-t-on sous d’autres cieux.

« Si nous nous levons comme un seul homme, la bataille sera facile. Si chacun apporte sa pierre, la victoire est déjà gagnée », entonne Daouda Niampa, responsable des groupes d’autodéfense Koglwéogo, sous les applaudissements nourris de la foule qui grossit. Tour à tour, les intervenants encouragent à la résilience face à la nouvelle donne. Des messages qui tendent à galvaniser, à redonner de l’espoir. Il y en a de quoi. Sur le tronçon non bitumé de 45 Km pour rallier Ouahigouya à Titao, il n’est pas rare de voir des familles entières fuir la commune.

« Si au niveau du chef-lieu de la province, les gens fuient et ne reviennent pas, je ne sais pas quel message on laisse en fin de compte. Finalement, ça risque de nous rejoindre là où on va aller et de là-bas, ainsi de suite. A moins qu’on négocie avec un autre pays pour y trouver refuge et cela n’est pas envisageable. Donc on s’encourage et on dit à chacun de s’y mettre(…) La solution n’est pas de fuir après chaque attaque », nous expliquera plus tard Ilassa Ouédraogo, président du conseil provincial des OSC du Loroum.


Replier, c’est le mot que préfèrent les organisateurs pour parler de l’action de quitter collectivement les localités initiale d’habitation. Le mot fuite sonne comme un aveu d’impuissance vis-à-vis des terroristes. Le choix du lexique est donc très important dans ce conseil de guerre ouvert à l’air libre. « Même s’il arrivait qu’on parte parce qu’on n’est pas bien préparés ou organisés, qu’on s’organise alors pour repartir, se défendre, être résilient dans nos différentes localités. Ce sont des gens (terroristes) qui opèrent par surprise, si on vous surprend, ce n’est pas évident, mais on peut parler de repli tactique pour pouvoir revenir chez soi et continuer à vivre en essayant de s’adapter à la situation », ajoute Ilassa Ouédraogo.

La première autorité de la province, la haut-commissaire du Loroum, elle, s’est réjouie de la prise de conscience des populations du rôle qu’elles ont à jouer pour contribuer à endiguer l’insécurité. « La population du Lorum est à féliciter, nous avons pris connaissance de ce qu’elle faisait déjà sur le terrain. La population a conscience de son rôle dans cette lutte pour une plus grande sécurité dans nos villages. Les populations ont dit qu’elles sont engagées et elles vont encore s’engager pour la fin très prochaine de ce phénomène », a signifié Angeline Aïssata Traoré.

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Cheik Tiga Sawadogo

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Source: LeFaso.net