« Le train du retour » de Oumar Sininta a ouvert le bal des films maliens hors compétition à la 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. D’une durée de 85 minutes, ce documentaire qui retrace l’histoire de la Fédération du Mali a été projeté, ce lundi 27 février 2023, à la grande salle de la mairie de Ouagadougou.

« Le train du retour » revient sur les véritables raisons de l’éclatement de la fédération du Mali et du Sénégal, qui comptait également à sa naissance, en janvier 1959, le Dahomey (Bénin), la Haute-Volta (Burkina Faso). Réalisé à partir d’archives visuelles et sonores, mais surtout à partir de témoignages d’historiens, notamment Diadié Yacouba Dagnoko, ce documentaire de 85 minutes est aussi un devoir de mémoire pour les jeunes générations sur le combat de Modibo Keita, qui a tenté de jeter les bases d’une Afrique unie à travers la fédération du Mali.

« Le train du retour » tente de rétablir « une vérité historique » sur la fédération qui a duré moins de deux ans, et dont la paternité de l’échec a longtemps été attribuée à tort ou à raison à Modibo Keita, premier président du Mali indépendant. Comment est née la fédération, quelles sont les causes de son échec ? La France a-t-elle joué un rôle trouble dans la sécession du Sénégal ? Voici l’histoire telle que racontée par les archives et historiens face à l’équipe du réalisateur Oumar Sininta.

L’affiche du film

Naissance de la fédération

« Le 17 janvier 1959, la constitution de la fédération est adoptée par acclamation. Malgré la défection du Dahomey et de la Haute Volta, l’un convaincu par la promesse d’un port en eaux profondes à Cotonou, et l’autre par la menace par Houphouët Boigny du renvoi de plus de deux millions de ressortissants en Haute Volta, la Fédération du Mali voit le jour, le 4 avril 1959 avec la mise en place de ses organes de gouvernance. Léopold Sédar Senghor à la présidence de l’Assemblée fédérale et Modibo Keita comme président du gouvernement fédéral ». Le décor est planté. Le 4 avril 1960 avec la signature à Paris des différents textes de transfert de compétence à la Fédération, l’indépendance est actée à Dakar, ville désignée capitale de la Fédération.

Une prémonition ?!

“La communauté soudanaise avait organisé une grande fête. Elle avait commencé à 15 heures. On s’est arrêté à 18h pour aller prier. Et après le dîner, on est revenu sur la place publique. Jusqu’à minuit, on a dansé. Tenez-vous bien ! A minuit pile, un chat noir s’est invité dans le cercle de danse. Tout le monde était surpris. Et je me souviens encore avoir entendu les paroles prophétiques d’un vieux”, se souvient l’historien Diadié Yacouba Dagnoko.

Le film a été projeté à la mairie centrale de Ouagadougou

Différences du paysage politique

Très vite, après les moments de liesse, c’est la désillusion. Les clivages étaient réels. Au Soudan et au Sénégal, le paysage politique ne présentait pas le même visage au Dahomey et en Haute-Volta. Au Soudan, l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (US-RDA) était un puissant parti, alors qu’au Sénégal, le trio Léopold Sédar Senghor, Lamine Gueye et Mamadou Dia dominaient la scène politique. « Au Dahomey, le RDA n’était pas suffisamment fort pour dominer l’Assemblée en cas de vote, encore moins la Haute Volta où le RDA avait aussi en face de lui la chefferie traditionnelle, le Mogho Naaba, qui a vacillé. Les jours pairs, il était pour et les jours impairs, contre la fédération. Il était sous la pression de la France, par le truchement des 17 000 anciens combattants voltaïques », raconte historien de l’époque.

L’historien Diadié Yacouba Dagnoko intervient dans le documentaire

Bataille pour le contrôle du poste de chef d’État-major…

Le poste stratégique de chef d’État-major de la fédération, devait revenir, comme le veut l’usage, à l’officier le plus ancien dans le grade le plus élevé. Modibo Keita a donc porté son choix sur l’Officier soudanais, le colonel Abdoulaye Soumaré. Bien que ce dernier soit d’origine sénégalaise, les Sénégalais le récusent. Dans le même temps, au Sénégal, le vice-président du gouvernement fédéral, Mamadou Dia, nomme le colonel Amadou Fall au même poste de chef d’Etat-major de la fédération. La tension monte.

… et celui de président de la fédération

Dans le documentaire, il ressort que le deuxième point de discorde est surtout politique et concerne la création du poste de président de la fédération du Mali. Selon l’historien Diadié Yacouba Dagnoko, la question de la présidence n’avait pas été débattue avant la création de la fédération. Pour les Soudanais, il n’y avait aucune nécessité d’alourdir l’attelage institutionnel avec la création d’un poste de président de la fédération, puisque le président du gouvernement fédéral disposait de toutes les prérogatives pour faire fonctionner la fédération.

« Les Sénégalais n’étaient pas d’accord, mais à force de palabres, les Soudanais ont accepté. Mais, à la question de savoir qui allait occuper le poste de président de la fédération, les Sénégalais ont proposé Léopold Sédar Senghor, qui était le président de l’Assemblée fédérale. Les Soudanais ont voulu négocier pour éviter le clash. Ils ont demandé que ce soit un autre Sénégalais, Lamine Gueye, avocat et homme politique qui a présidé les premiers pas de Senghor en politique et qui jouissait d’un grand prestige au Sénégal et au Soudan. Les Sénégalais ont refusé. Mamadou Dia a dit que c’était Senghor où la fédération prendrait fin ».

Le divorce

« Ça s’est passé dans la nuit du 19 au 20 août 1960. On s’est réveillé le matin et patatras, le ciel nous est tombé sur la tête. C’est fini la fédération. Les gens ne comprenaient rien. J’ai vu des femmes se rouler dans la poussière en poussant des cris », se souvient l’historien.

Il ressort du documentaire que Modibo Keita a pris une série de décisions dans un contexte de forte tension. Parmi ces décisions perçues par Dakar comme étant un coup de force, il y a la destitution de Mamadou Dia de son poste de ministre de la défense de la fédération.

Pour Léopold Sédar Senghor, cette destitution ne peut se faire sans l’approbation de la délégation du Sénégal à travers l’Assemblée fédérale. « Modibo Keïta a mobilisé des troupes contre des Sénégalais dont la plupart sont des Sénégalais […] Sénégalais, Sénégalaise, l’heure est grave. Jamais le Sénégal n’avait été dans une telle situation […] Il s’agit pour nous de défendre notre indépendance. Je suis prêt à mourir comme tous les leaders de l’UPS, et vous aussi, n’est-ce pas, pour que vive le Sénégal », a lancé Senghor aux Sénégalais.

Le train du retour est une idée originale de Fousseyni Maiga, l’un des réalisateurs les plus prolixes du Mali

Modibo Keita accuse

De son côté, Modibo Keïta donne une tout autre lecture du divorce avec le Sénégal. « Notre position sur le problème algérien, notre volonté détermination à construire un véritable socialisme, notre volonté de réaliser avant toute autre association, une véritable communauté africaine ont déterminé certains responsables français à conduire les dirigeants sénégalais à la sécession ».

Modibo Keita accuse nommément la France et en veut pour preuve certains faits. Il s’agit entre autres de « l’attentisme du gouvernement français dans l’application des accords franco maliens en particulier dans le domaine économique, du message de félicitation du général De Gaulle à Senghor, nommé président de la république du Sénégal, de l’aveu du Premier ministre de la république française de son action, en décembre dernier, auprès de Monsieur Senghor et Monsieur Dia, pour qu’ils transforment la fédération du Mali en confédération, de la reconnaissance par le gouvernement français de l’indépendance du Sénégal puisque ce sont les dirigeants français qui l’ont inspiré, préparé, déclenché et soutenu la sécession de la république du Sénégal »

Selon un autre intervenant dans le documentaire, le général De Gaulle a nié s’être immiscé personnellement dans la sécession du Sénégal. « Un fait vient pourtant contredire ou nuancer, mettre à nue la participation de la France. A la veille de l’élection du président de la fédération, le général De Gaulle a convoqué l’un de ses fidèles, Claude Hettier de Boislambert. Dans son livre « Les Fers de l’espoir », cet officier raconte avoir été convoqué à l’Elysée où De Gaulle lui a annoncé qu’il irait en mission à Dakar […] En tant que Haut-représentant, il a participé à la mise en échec du coup d’Etat des Soudanais, c’est-à-dire mettre en résidence surveillée les Soudanais, les renvoyer à Bamako sans toute autre forme de procès. Cela contredit ou nuance les propos du général De Gaulle ».

Le retour

« Le 21 août 1960, à l’heure du départ du train express Dakar-Bamako, un train avec à son bord Modibo Keita et sa délégation, 130 personnes au total. A son retour de Dakar, Modibo Keita décide de la fermeture de la frontière avec le Sénégal entraînant ainsi l’arrêt des rotations ferroviaires entre Bamako et Dakar. En réaction à cette mesure, les Sénégalais décident de l’expulsion de 20 000 cheminots soudanais travaillant pour la société gestionnaire du chemin de fer du Sénégal ».

Un retour difficile pour des milliers de familles qui devaient repartir à zéro, parfois loin de ce qu’elles avaient bâties à Dakar. Un souvenir dont se souvient toujours l’historien Diadié Yacouba Dagnoko, adolescent à l’époque.

HFB

Lefaso.net

Source: LeFaso.net