A l’occasion du centenaire de Sembène Ousmane, la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC) a organisé une table ronde ce mardi 28 janvier 2023, à Ouagadougou au siège du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Cette rencontre a été animée par les critiques sénégalais Baba Diop et Maguèye Kassé et le Français Olivier Barlet.

Né en 1923 à Ziguinchor, en Casamance, au sud du Sénégal, au sein d’une famille de pêcheurs, Sembène Ousmane quitte l’école du blanc à l’âge de 13 ans après un passage à l’école coranique. Mais cela ne l’a pas empêché, en autodidacte, d’apprendre l’écriture littéraire et cinématographique.

Le Docker noir, Les Bouts de bois de Dieu, Le Mandat, Xala, Camp de Tiaroye, Moolaade, pour ne citer que ceux-là, font partie du riche patrimoine littéraire et cinématographique légué par Sembène Ousmane, l’un des pères fondateurs du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Décédé le 9 juin 2007 à l’âge de 84 ans, celui qu’on appelait affectueusement l’aîné des anciens aurait eu 100 ans, cette année.

Pour célébrer ce centenaire, la Fédération africaine de la critique cinématographique, présidée par Fatou Kiné Sène, a organisé, à l’occasion de la 28e édition du Fespaco, une table ronde sur le thème « Pour une approche critique de l’œuvre de Sembène Ousmane).

Une vue des journalistes présents

Un humaniste

Selon le critique français Olivier Barlet, certaines œuvres sur Sembène le présentent comme révolutionnaire. « Pour moi, il a plus un idéal humanitaire, social et spirituel. C’était fondamentalement un humaniste, c’est-à-dire qu’il croyait en la capacité des gens à s’éveiller à la conscience du monde. Son ambition était d’être un artiste, c’est-à-dire faire penser », a indiqué le critique qui ne prétend pas être un spécialiste de Sembène Ousmane.

Olivier Barlet, critique français

« Ces personnages sont des êtres en devenir »

Pour Olivier Barlet, ce qui différencie Sembène Ousmane des autres qui l’ont précédé sur le plan littéraire, c’est qu’il ne faisait pas de la littérature en posture victimaire. « Ceux qu’il filme ne sont pas des héros, mais des héros au quotidien. Ce qui l’intéresse, c’est de faire partie de ceux qu’il filme. Ces personnages sont des êtres en devenir. Ils ne sont pas enfermés.

Il y a une fin de film qui me marque, c’est la fin de Moolaade : Une antenne de télé posée sur la mosquée. A mon avis ce qui est important c’est la communication, la communication avec l’extérieur. C’est un moyen de désenclavement, d’éclosion. Il a une pensée « Monde ». Son programme n’est pas de se mettre à part. Sembène Ousmane n’est pas solidaire des noirs, mais plutôt des travailleurs. En témoigne son livre « Le Docker noir. »

Selon le critique Baba Diop Sembène Ousmane incarnait l’enracinement et l’ouverture

Un défenseur de la femme

Dans son intervention, le critique sénégalais Baba Diop a fait savoir que le cinéma était pour Sembène Ousmane « l’école du soir, l’école populaire, où l’on ne vient pas seulement pour se divertir, mais pour apporter quelque chose ». Selon le critique, le réalisateur qu’il était pensait qu’il fallait délocaliser le cinéma et effacer les frontières.

« Pour lui, le cinéma était un moyen d’expression. Sembène Ousmane, c’était l’enracinement et l’ouverture. Il était de son temps. Il faut regarder plusieurs fois ses films pour le connaître », a déclaré Baba Diop avant de reconnaître que Sembène Ousmane était un fervent défenseur de la femme et son dernier film, Moolaade, est le couronnement de ce combat.

Pr Maguèye Kassé, critique de cinéma et écrivain

« L’art pour l’art n’existe pas pour lui »

Pour le critique Pr Maguèye Kassé, l’on ne met pas suffisamment l’accent sur ce qui a provoqué chez Sembène Ousmane le besoin de servir du cinéma, en dehors de la littérature pour porter un message sur la situation que vivent les pays africains.

« Dans les bouts de bois de Dieu, vous avez la quintessence de ce qu’il va développer plus tard dans ses films : la classe ouvrière, les femmes, la nécessité d’une édification d’une Afrique, l’intégration économique et culturelle africaine… », analyse Pr Maguèye Kassé.

« Il disait toujours : « Je filme pour le peuple, j’écris pour le peuple ». Pour lui, c’est le peuple des travailleurs. L’art pour l’art n’existe pas pour lui. Pour lui, l’homme est art. Il croyait en la nécessité d’une unité de l’Afrique. Il était un homme de son temps ».

Pour le critique cinématographique, l’engagement de Sembène Ousmane n’était pas factice. « Il nous montre qu’il y a une nécessité de libérer l’Afrique. Bien qu’il soit Sénégalais il ne parlait pas du Sénégal mais de l’Afrique », a conclu le Pr Maguèye Kassé.

Fredo Bassolé

LeFaso.net

Source: LeFaso.net