Ma fille aimée, Denise, merci de grignoter de ton temps pour me lire, moi ta mère Laapoko au village. Par ton cousin rentré de Ouagadougou avant-hier, j’ai appris que tu ne pourras pas venir assister aux funérailles de ta tante Noaga parce que prise pour les préparatifs de la célébration du 08 mars, journée dédiée à la femme.

Je te comprends, et je ne t’en tiens pas rigueur car c’est avant tout ton travail. « La où est son trésor, se trouve son cœur » dit-t-on. En effet, tu n’as aucune excuse pour faillir à tes responsabilités, ce par quoi tu gagnes ton pain. Donc, à « César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu ». Je te souhaite du courage pour réussir ta mission. Je suis heureuse que tu sois du cercle restreint des femmes qui participent aux décisions sur l’avenir de la femme au Burkina Faso. Vu les campagnes médiatiques sur l’événement du 08-mars, je comprends que l’organisation de cette fête te coûtera énormément du temps, des efforts physiques et de l’énergie intellectuelle.

Depuis la semaine dernière, les radios locales nous harcèlent les tympans pour l’évènement du 08-mars qui se célèbre à Dori. Le rendez-vous national y regroupera décideurs et partenaires pour la cause de la femme. Le thème choisi est digne d’intérêt : « La valeur morale de la personne humaine, la contribution des communautés dans la lutte contre l’exclusion sociale de la femme ». Comme pour faire résonner en nous que nos connaissances doivent servir à mieux organiser la vie pour chaque être dont la femme. Nos valeurs morales doivent présider à nos choix d’actions qui puissent reconnaitre aux femmes, les mêmes droits que les hommes. Faire de telle sorte que les droits des femmes ne soient plus débattus comme des droits humains séparés. Courage pour cette mission, ma fille !

Ici au village, nous sommes invitées à participer à une cérémonie à la mairie. Mais franchement, j’ai opté de ne pas y aller. Ce que j’ai déjà vu et entendu les années précédentes ne motivent pas mon déplacement. Je ne suis pas prête à aller écouter des discours littéraires des recommandations formulées dans les rencontres internationales sur la femme. Tu te rappelles des résolutions de l’ONU en la matière ? Te souviens-tu des décisions de la 4eme Conférence mondiale sur les femmes en septembre 1995 ? On avait rappelé à cette occasion que les familles et nos sociétés n’auraient de visage authentiquement humain que quand les gouvernements accepteront leurs responsabilités de protéger et de promouvoir internationalement les droits humains. Mais qu’en est-il du faussé entre l’adoption de ces recommandations et les réalités sur le terrain au Burkina Faso ? Je souhaite que l’occasion de ce 08 Mars vous interpelle et vous ravive la conscience que la femme burkinabè se sent toujours moins concernée par ce qui se décide sur elle. Elle semble être plutôt servie seulement en discours.

A Dori, dans vos chambres climatisées, totalement pris en charge par le contribuable, pensez à ces femmes qui manquent de logement pour s’abriter. Quand vous serez invitées à la table des privilégiées pour trinquer les verres, après les cérémonies, pensez à ces mères qui triment jours et nuits pour nourrir leurs enfants. En proie à une pauvreté extrême, elles parcourent les forets à la recherche du minimum nécessaire pour libérer les enfants des emprises de la faim. Quand vous serez dans les bars et maquis, buvant la bière qui coule à flot, sirotant le vin débordant et les liqueurs fortifiants, rappeler qu’à Diébougou, les femmes font la corvée d’eau. Un bidon d’eau de 20 litre y coute 150 f cfa et le baril à 1 500 de nos francs. Même la, pour en disposer, c’est la croix et la bannière. Quand vous serez dans les V8 sur le chemin du retour à Ouaga, pensez à celles qui, poussées de force par le vent glacial de la misère, gravitent les sommets des collines à la recherche du bois, leur gaz naturel. Quand vous allez chez les comptables pour réclamez les frais de missions, pensez à ces filles qui manquent du nécessaire pour aller à l’école etc. Quand aurez l’idée de vous plaindre, parce que épuisées par les travaux de la journée, pensez aux femmes et aux filles du Nord du Burkina qui vivent sous la hantise des terroristes.

Ma fille, quand on évoque les femmes socialement exclues, ne braquez pas vos regards seulement sur les femmes chassée de sorcellerie et qui sont pensionnaires des centres d’accueil de Tanghin (Ouagadougou) ou dans d’autres localités. Vous limiter à cela, c’est évoqué le procès traditionnel de certains milieux qui ont fait de la chasse aux sorcières, un sport favori. Non, levez les yeux et regardez plus loin. Les formes d’exclusion sont variées et multiples. Vous les femmes modernes, vous y contribuez souvent sans en être conscientes. Ne pas permettre à la femme de pouvoir transmettre la vie sans danger est une manière de l’exclure. La femme enceinte qui côtoie la probabilité de décéder en couche (peut-être en tombant même des tables d’accouchement), est une femme exclue.

La femme, tenant son bébé malade dans ses bras et assistant impuissamment à sa descente vers la mort, par manque de traitement, est une femme exclue. La femme qui souffre du palu sans une prise en charge conséquente, est une femme exclue. La brillante étudiante en fin de cycle, mais victime de chantage sexuel de la part des employeurs potentiels est une femme exclue. Les filles de joie que vous condamnées sans pitié mais qui reçoivent les visites très discrètes de plusieurs de vos époux, sont des femmes exclues.

La femme retenue par les populations à la base pour être leur candidate aux élections législatives, mais déclassée par les responsables-hommes de leur parti politique, est une femme exclue. Les femmes boutées hors des instances de décisions au sein de leur service, cependant nantie intellectuellement et jouissant de compétences exceptionnelles, sont des femmes exclues. La liste peut être rallongée. Merci d’y réfléchir car les pièges sont très subtiles et invisibles au commun. Surtout, faites très attention pour ne pas transformer la célébration du 08 Mars au Burkina en une occasion d’exclusion sociale des femmes, par la négligence de leurs réels soucis. Ne célébrez pas le superflu pour jeter aux oubliettes l’essentiel.

Chère fille, je ne serais pas très longue. Excuse-moi d’avoir eu des mots assez durs. L’intention n’est pas mauvaise mais je n’ai pas pu dompter la douleur distillée en moi par le vécu quotidien des femmes autour de moi. J’ai crié fort pour faire taire ce qui hurle en moi. Je te comprends car bien que tu aies été nourrie à ton enfance par mon lait, secrété grâce aux bienfaits naturels des fruits sauvages (karite, raisains et neere), tu vis maintenant dans un autre milieu avec des nouvelles habitudes. Il n’est pas facile de te souvenir des souffrances du passé pour penser à celles qui en sont toujours victimes.

Je suis de ses anciennes générations qui oublient difficilement nos bienfaits d’hier. Je me ferai le devoir maternel de t’en rappeler. Merci de rendre le 08 Mars inclusif pour un développement réel des femmes, sources des premières richesses naturelles d’un pays que sont les enfants. On peut y arriver sans festivités pompeuses. Les pays développés qui en ont donné le concept ne le célèbrent pas à notre manière, mais ils ont accordé à la femme le minimum nécessaire pour lui permettre d’être authentiquement femme : un être pleinement intégré dans sa société et dont les conditions de vie rendent hommage à sa dignité humaine. N’est-pas là, les bonnes politiques d’intégration de la femme dont le Burkina devrait s’inspirer ?

Avec un peu de volonté politique et un engagement éclairé des leaders féminins, nous pouvons bâtir un Burkina où chaque femme sera traitée avec respect et dignité. Que maman Sita KABORE, la nouvelle première des femmes burkinabè, soit l’ambassadrice de cette cause noble. Bonne fête de 08 Mars et que Dieu bénisse la femme Burkina Faso.

Par Sibiri Nestor SAMNE

Email : sasimastor@hotmail.com

Source: LeFaso.net