La visite annoncée de la chancelière allemande, Angela Merkel, à l’université Joseph Ki-Zerbo, rappelle à ce citoyen, l’amer souvenir du passage d’Emmanuel Macron. Il s’en explique dans le point de vue ci-dessous.

Il y a quelques jours, à travers lefaso.net, j’ai appris qu’ Angela Merkel arrive le 1er mai à Ouagadougou et que le 2 mai elle partagera « sur le campus de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, avec la jeunesse étudiante, sa vision sur l’avenir du continent » africain.

À la lecture de cette phrase, d’amers souvenirs refont surface et je n’ai pas pu réprimer ces deux questions qui s’engouffrèrent dans mon esprit à la manière d’une vague qui submerge une digue : quel est ce pays où les dirigeants livrent la jeunesse à chaque aigle qui se pose ?

Quel est ce pays où chaque aigle qui passe avec arrogance peut édicter sa vision déformante pour tout un continent ?

Chaque aigle venu d’outre-mer à qui nous accordons le privilège de s’exprimer du haut des pupitres de nos universités ne s’adresse nullement aux étudiants burkinabè. Ces derniers, malheureusement, ne sont que des figurants (parfois soigneusement choisis par les autorités locales selon des critères bien mystérieux). En effet, à travers les microphones et caméras des médias occidentaux venus pour l’occasion, l’aigle s’adresse aux habitants de son pays.

L’image qui est alors diffusée doit traduire le message suivant : « Regardez le discours de vérité que j’ai tenu à la jeunesse de ce pays, à la future élite de tout ce continent ».

Pour atteindre cet objectif, la mise en scène bien huilée se déroule de la façon suivante. L’aigle (qu’il soit jupitérien, impérial ou autres) occupe le rôle principal, il a une posture active dans la mesure où il est maître du temps et professe à sa guise « sa vision » « pour » l’Afrique.

Inversement, dans cette représentation, la jeunesse est assignée à un rôle passif, c’est-à-dire l’écoute attentive de la leçon qui lui est faite.

Ainsi, à ceux qui prétendraient qu’en venant en ce lieu symbolique (temple du savoir), l’hôte du jour accorderait une considération à la « jeunesse » burkinabè (et par extension à la « jeunesse africaine » comme certains aiment à généraliser), je rétorque qu’il s’agit d’une simple mise en scène, d’une stratégie de communication, qui tend à valoriser celui qui a le monopole de la parole plutôt que celui qui écoute.

Respecter les jeunes (les étudiants) et s’intéresser à leur futur impliquerait à minima de les écouter en leur laissant la liberté de ton et de discours afin qu’ils expriment leurs vécus, racontent leurs prises d’initiatives, leurs difficultés, leurs idéaux et leurs aspirations.

À ce jour, tel n’est pas encore le cas. Or, vous conviendrez avec moi qu’il n’est chose plus incongrue qu’un invité qui se permet d’indiquer la manière dont vous auriez dû disposer le mobilier de votre demeure, ou la façon dont vous devriez éduquer vos enfants.

Le lecteur sceptique pourrait être tenté de dire que mon propos ne s’attache qu’à des dimensions purement symboliques : il aurait alors en partie raison. Toutefois, il n’est pas absurde de considérer qu’en matière de politique et de diplomatie tout comme dans les rapports sociaux, les codes revêtent une importance capitale dans la mesure où, de façon subtile (voire subliminale), ils permettent des véhiculer des messages pour susciter l’influence, l’adhésion et parfois la domination (soumission).

Lorsqu’ en novembre 2017 « Jupiter » a foulé le sol burkinabè, nos plus hautes autorités ont été confrontées à une forme de violence symbolique. Cette main rejetée, cette joue tapotée, ce président interpellé pour la climatisation, voilà quelques exemples qui traduisent le processus par lequel les représentants de ces « grandes puissances », ces aigles convaincus de leur supériorité (de façon consciente ou inconsciente) tendent à légitimer leur domination vis-à-vis de ceux qu’ils perçoivent comme inférieurs.

Le drame de cette violence symbolique s’opère lorsque le « dominé » intègre les codes du dominant de sorte à considérer que cette relation hiérarchique n’est point artificielle, mais plutôt « naturelle », « normale ». À ce sujet, nous pouvons retenir que nos autorités ont soutenu l’idée selon laquelle cette façon de tutoyer publiquement et d’interpeller un président comme nul n’oserait apostropher un garçon de café correspond à de l’humour.

En prélude au rendez-vous annoncé, force et courage aux étudiants.

À l’amertume du 28 novembre conjurée, aux étudiants qui malgré eux risquent d’être une nouvelle fois les dindons d’une farce avariée, à cette jeunesse à qui le rôle de figurant est assigné, à ces étalons du pays du Ditanyè, ces quelques vers d’un poète anonyme :

« Ne dis pas que c’est mon cheval, dis que c’est mon fils,

Il est pur comme de l’or […]

Il dit à l’aigle : descends ou je monte vers toi »

Hamza Kouanda

Citoyen burkinabè

Source: LeFaso.net