Il dit être le seul haut-gradé et le seul camarade d’école du capitaine Thomas Sankara, qui a osé dire « non à l’élan révolutionnaire » d’août 1983. La rupture étant consommée, il part pour 15 ans d’exil et est condamné par contumace, pour « implication dans la déstabilisation du pays ». À 70 ans, Lona Charles Ouattara, puisque c’est de lui qu’il s’agit, déborde toujours d’énergie. Sa carrière a été marquée par un passage dans l’armée de l’air, puis aux Nations unies. Aujourd’hui député à l’Assemblée nationale, il s’est aussi mis à l’écriture. Focus sur cet homme qui a osé dire non à Thomas Sankara.

Le 12 décembre 1949, dans le village de Kobada, commune de Léraba, naissait Lona Charles Ouattara. Fils unique de ses parents, il s’initie au balafon et exerce son talent lors des festivités. Mais très vite, il quitte les siens et s’installe à Bobo-Dioulasso. Là, il fréquente le lycée Ouezzin-Coulibaly jusqu’en classe de 3e. Et c’est dans cet établissement qu’il fait chemin avec Thomas Isidore Sankara, qu’il surnomme « Bouillie ». Lona Charles Ouattara, lui, portait le sobriquet de « Bouillon ».

À ce propos, il déclare : « Thomas est un ami à moi, je le connais très bien. Nous étions comme des frères. On dit souvent que c’est Blaise Compaoré qui est son ami, et moi je vous dis que c’est en 1978 que Blaise a connu Sankara. » Les deux amis resteront attachés jusqu’au Prytanée militaire de Kadiogo (à l’époque École militaire préparatoire africaine) en 1968, et plus tard dans la vie professionnelle.

Mais le cours de l’histoire va conduire Lona Charles Ouattara à l’École de formation des officiers de Saint-Cyr en France, loin de Thomas Sankara envoyé à Madagascar. À Saint-Cyr, assidu aux études en sciences, il affiche des potentialités pour l’aviation, mais aussi des aptitudes en anglais. Bon étudiant, il sort de Saint-Cyr nanti du diplôme « d’officier de train », c’est-à-dire officier spécialisé dans le transport.

Porté au grade de capitaine, il rentre au Burkina Faso et part pour la guerre contre le Mali, en 1977. Mais ce chapitre de sa vie sera de courte durée. En effet, ayant réussi au concours d’entrée à l’École de télécommunications de l’armée de terre en Grande-Bretagne, il se rendra à Stanford. C’était une première pour un officier voltaïque. Dans cette école, il obtient le diplôme d’ingénieur en transport en 1979, puis celui d’ingénieur aéronautique en 1980. C’est avec ces nouvelles qualifications qu’il rejoindra le gouvernement de Saye Zerbo, en compagnie de Thomas Sankara.

« L’armée doit être apolitique et non endoctrinée »

En 1982, il quitte le gouvernement et entre à l’École d’aviation civile de Toulouse pour suivre une formation d’ingénierie aéronautique. Le 23 octobre 1983, il est de retour à Ouagadougou. La révolution, dirigée par Thomas Sankara, bat son plein depuis deux mois. Le leader de la révolution lui demande de prendre la tête du secrétariat général du Comité de défense de la révolution (CDR), en lieu et place du capitaine Abdul Salem Kaboré. Mais il décline l’offre. « L’armée doit être apolitique et non endoctrinée. Pas de slogan pour l’armée. Les CDR étaient des politiques. L’officier doit savoir dire non et assumer ses responsabilités, parce que l’armée ne doit pas être politisée », explique-t-il.

L’homme aux cinq barrettes se souvient de tout, comme si c’était hier : « Une semaine après mon arrivée, je reçois un coup de fil de Sankara qui a envoyé un chauffeur pour me chercher. À mon arrivée, Thomas m’explique comment ils ont fait pour prendre le pouvoir. Il disait qu’il voulait que je les rejoigne. Mais j’ai refusé. À cause de ma position, il m’a dit que ses amis de la révolution ont refusé que je devienne commandant de l’armée de l’air, ni directeur de l’Agence pour la sécurité aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA). Mais en fin de compte, Thomas Sankara m’a dit : ‘‘Je leur ai imposé ta nomination comme 3e personnage de l’État-major” ».

« La révolution souffrait de dictature »

Aujourd’hui député à l’Assemblée nationale, le fils de la Léraba se rappelle encore ses discussions avec le leader de la révolution d’août 1983 : « J’étais seul avec lui à la présidence et on discutait. Quand Sankara m’a raconté tout ce qu’il a fait et ce qu’il avait l’intention de faire à notre pays, j’avais envie de le buter. Mais je ne pouvais pas le tuer, c’était mon ami… »

Comme Thomas Sankara le lui avait annoncé, Lona Charles Ouattara prend fonction à l’État-major des armées jusqu’en 1984. « Thomas Sankara m’a rendu visite quand j’étais malade et m’a encore invité à rejoindre les révolutionnaires. Mais j’ai refusé encore une fois de crier les slogans. Toutefois, je lui ai dit que j’allais lui rendre service au besoin, sans toutefois crier les slogans », se souvient-il. Lona Charles Ouattara pense que les gens ont fait de Thomas Sankara une icône, alors que la révolution souffrait de dictature.

Pour preuve, l’ancien cadre des Nations unies raconte que trois semaines après son dernier refus de rejoindre la révolution, il a été appelé, avec le capitaine Hassan Sawadogo, par Thomas Sankara. À cette rencontre à trois, « Thomas disait que ce sont les soldats qui vont désormais promouvoir les officiers. Avant de me menacer en disant : ‘‘Tu as vu cette table ? C’est comme le fossé entre toi et moi. Je te souhaite d’être heureux à l’extérieur, ne m’emmerde pas au Burkina Faso. C’était au mois d’avril 1984 ».

« Sankara a été naïf, il s’est laissé divertir… »

Ce même jour, au journal de 20h, Lona Charles Ouattara a appris son affectation à Boulsa au Programme populaire de développement (PPD), « pour construire des maisons ». Il s’en souvient encore : « J’y suis allé et j’ai construit des villas avec le roi de Boulsa, sous une cohorte de renseignements. Ensuite, j’ai été révoqué de mes fonctions injustement ». Durant trois mois, il se convertit en réparateur de postes téléviseurs pour ne pas rester au chômage. « J’ai rencontré Gilbert Diendéré qui m’a dit que si je voulais reprendre mon travail, il allait me faire rencontrer Blaise Compaoré. C’est là que je rencontre Blaise Compaoré pour la première fois, au bureau de Lengani. Après avoir discuté avec lui, je sentais qu’ils se rentreraient dedans, parce que Blaise Compaoré n’était pas d’accord avec Thomas sur la façon de faire les choses », relate Lona Charles Ouattara.

Aujourd’hui, l’homme a sa propre analyse des événements de la révolution. « Sankara a été naïf, il s’est laissé divertir par les Blaise Compaoré et s’est esseulé. Blaise l’avait isolé pour l’assassiner ensuite », se convainc-t-il.

15 ans d’exil

Finalement, Blaise Compaoré réussit à faire réintégrer Lona Charles Ouattara, avant de l’affecter à Ziniaré. Il refuse d’y aller. « J’ai pris une permission auprès du ministre du Plan pour aller faire la cérémonie de mon père. C’était des mensonges en fait. Et le 31 décembre 1984, j’ai traversé les frontières aux environs de minuit trente par le Mali, puis la Côte d’Ivoire, pour rejoindre ma femme au Kenya », relate-t-il.

C’est une nouvelle page de sa vie qui s’ouvre. Coupé du pays de ses ancêtres et des siens, il va tracer son chemin loin des révolutionnaires et de la politique. Il entame une carrière au Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE) comme consultant sur les nuisances acoustiques au Kenya, avant de rejoindre la France pour un doctorat en aéronautique. De 1989 à 1991, il est dans la construction aéronautique à Airbus. Puis, Lona Charles Ouattara se forme comme chef d’entreprise aéroportuaire.

Talentueux et doté de relations, il va se retrouver successivement, pour le compte des Nations unies, en République démocratique du Congo (RDC), en République centrafricaine et en Angola comme chef des opérations. Il s’installe plus tard aux Pays-Bas comme directeur exécutif de l’Organisation de l’interdiction des armes chimiques. Quelques années après, il revient en RDC comme conseiller aéronautique du ministre des Transports pour le compte de la communauté internationale. Quelques années après, au cours d’une mission en Centrafrique pour le compte de l’ONU, il rencontre des contingents militaires burkinabè, après 15 ans d’exil. Épris de nostalgie pour son pays, il discute avec ses compatriotes et retrouve la chaleur des siens.

« Je suis un vrai patriote »

Lorsqu’il prend sa retraite, il rentre au Burkina Faso. Ses amis lui conseillent de s’engager en politique. « À cette époque, en 2010, l’UPC était le nouveau parti [qui avait le vent] en poupe », dit-il. Il s’engage à l’Union pour le progrès et le changement (UPC) donc et se fait élire aux législatives de 2012 et 2015. À l’Assemblée nationale, il occupe deux fois le poste de 2e vice-président et une fois le poste de 5e vice-président.

À 70 ans, il se prépare déjà pour les prochaines élections législatives. Jadis condamné par contumace pour une supposée implication dans la guerre entre le Mali et le Burkina, il est rentré de son exil et s’est frayé une place en politique. Sa force : « Je ne fais pas de promesses vaseuses, je suis pragmatique ». Attaché à sa culture, Lona Charles Ouattara fait du balafon son instrument de musique quotidien. D’ailleurs, il a abandonné la religion chrétienne pour ce qu’il appelle « le culte des ancêtres ». Le septuagénaire s’adonne à l’écriture pour exposer sa vision et « rétablir la vérité historique ». Il déteste les icônes et le culte de la personnalité.

Et l’une de ses vérités historiques, c’est que la révolution n’était pas la solution aux problèmes du Burkina de l’époque, tout comme Thomas Sankara avec ses slogans révolutionnaires. « Une nation, on peut la construire autrement. Pas besoin de slogans », se convainc-t-il. Pour lui, Thomas Sankara s’était lancé dans une aventure sans issue. « Quand vous vous lancez dans ça, vous croyez que des gens vous suivent. Ce ne sont que des profiteurs. Quand on a tué le capitaine Sankara, pourquoi la population ne s’est pas révoltée ? », lance-t-il.

Lorsqu’il publiait son ouvrage intitulé « Les dessous de la révolution voltaïque : la mélancolie de la victoire », le colonel Lona Charles Ouattara avait pour objectif « la reconstitution de la vérité historique ». Une vérité qu’il voit comme une lanterne pour la jeunesse.

Considéré comme un pur produit de la France par des camarades politiques, il s’en défend : « Ce n’est pas parce qu’on a été formé dans une école militaire française qu’on est pro-intérêts français. Je suis un vrai patriote. J’ai construit des ponts chez moi ».

Lorsqu’on parle de Lona Charles Ouattara, les avis sont divergents à l’hémicycle. Certains de ses camarades du groupe parlementaire Renouveau démocratique voient en lui « un libre-penseur qui a goûté à la démocratie occidentale ». En revanche, d’autres le considèrent comme un ambitieux politique imprévisible. « Il aurait même tenté de prendre la tête du groupe parlementaire, au grand dam de Daouda Simboro », confie un député. Un autre de la majorité présidentielle dit en Lona Charles Ouattara « un élément de Salif Diallo ».

Pour l’heure, le colonel Lona Charles Ouattara entend jouer s’investir lors des prochaines élections législatives pour le compte de son parti. Devenu père et grand-père, il appelle les jeunes à la formation et à la lecture de l’histoire, pour éviter les erreurs des anciens. Il compte d’ailleurs peser de tout son poids pour qu’il y ait beaucoup plus de femmes en politique car, soutient-il, « elles sont nos mères ».

E.K.S.

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Lefaso.net

Source: LeFaso.net