31 mai 2019 – 31 mai 2021. Voilà deux ans que les corps de deux responsables de l’Organisation démocratique de la Jeunesse du Burkina Faso (ODJ) ont été retrouvés à l’entrée de la ville de Sebba, chef-lieu de la province du Yagha, dans la région du Sahel. Ce triste anniversaire a été marqué par des activités dont une conférence de presse co-animée, ce lundi 31 mai 2021 à Ouagadougou, par l’ODJ, le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) et le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés, (CISC) Burkina : Deux ans après leur “assassinat”, Fahadou Cissé et Hama Balima “patientent” toujours à la morgue.

Au cours de cette sortie par laquelle ils ont aussi analysé la vie nationale, les conférenciers ont déploré que pendant que tous ces crimes restent impunis (ils ont égrené une liste de crimes), des dirigeants sollicitent par exemple le MBDHP dans certaines localités pour se constituer points focaux de la réconciliation nationale. Pour eux, il y a un préalable qui est la lumière autour de ces dossiers. La réconciliation ne peut se faire pendant que certains continuent de piller l’or, les ressources publiques. D’ailleurs estiment-ils que l’élite politique qui a tué et pillé ne peut être la voix idéale pour parler de réconciliation nationale et de cohésion sociale.

Nous vous proposons la déclaration liminaire de la conférence de presse.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Nous tenons à vous souhaiter la bienvenue à cette conférence de presse et à traduire, au nom des trois organisations, toute notre reconnaissance aux travailleurs des organes de presse pour la présence constante, la rigueur et le professionnalisme dans le traitement et la diffusion de l’information sur nos activités.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Vendredi 31 mai 2019 – lundi 31 mai 2021, cela fait exactement deux années, jour pour jour, que CISSE Fahadou, Président de la section du Yagha, responsable adjoint à l’organisation du Bureau Exécutif National de l’Organisation Démocratique de la Jeunesse du Burkina Faso (ODJ), et BALIMA Hama, trésorier de la section ODJ du Yagha ont été froidement assassinés à l’entrée de Sebba alors qu’ils se rendaient à une audience avec les premières autorités de ladite province, le Haut-commissaire Adama Conseiga notamment, pour échanger sur les préoccupations pressantes des populations locales (accès aux ressources minières, accès à la santé et à l’éduction, corruption dans l’administration, etc.).

Malheureusement, ils ne parviendront jamais à destination. Ils seront abattus, criblés de balles à quatre (04) kilomètres environ de Sebba. Dès l’annonce de l’assassinat, le Bureau Exécutif National (BEN) de l’ODJ, en accord avec les familles des militants, a décidé de demander une autopsie des corps. Ce qui signe le début d’un long périple marqué par d’innombrables péripéties procédurales. De procédure en procédure, après avoir réalisé les examens scanographiques, le médecin légiste a déclaré qu’il ne pouvait pas réaliser l’autopsie. Actuellement, les corps des camarades sont toujours à la morgue du CHU de Bogodogo attendant l’autopsie.

Face à cette situation, l’ODJ, seule ou en unité d’action avec d’autres structures (organisations syndicales, organisations de droits humains, organisations de jeunes, etc.), a, à travers des meetings, sit-in, marches et bien d’autres activités, informé l’opinion sur les conditions dans lesquelles ces assassinats ont été perpétrés et les procédures judiciaires en cours, dénoncé les blocages inhérents et exigé la lumière sur ces ignobles assassinats. En outre, au niveau africain et international, l’ODJ a reçu d’organisations d’Afrique, d’Europe et d’Amérique, de nombreux messages de soutien et de condamnation de ces tueries aux allures d’un crime politique d’État.

C’est l’occasion pour nous de saluer et de témoigner toute notre gratitude aux militant-e-s et sympathisant-e-s de l’ODJ, à la jeunesse progressiste et révolutionnaire, aux démocrates et aux patriotes sincères pour les nombreuses marques de solidarité et pour l’engagement et la lutte pour la lumière sur les assassinats de CISSE Fahadou et de BALIMA Hama, et sur les autres assassinats ciblés et de masse, ainsi que tous les crimes de sang impunis dans notre pays.

Mesdames et messieurs de la presse,

Ce triste anniversaire se commémore dans un contexte d’aiguisement de la crise multidimensionnelle qui secoue le Burkina Faso depuis plusieurs décennies. Ainsi, sur le plan sécuritaire et de la lutte contre le terrorisme, la réponse du Premier Ministre Christophe Dabiré à la question d’un député lors de son discours sur l’état de la nation du 20 Mai 2021, témoigne de l’exacerbation de la situation sécuritaire – avec l’escalade des attaques notamment au Sahel, à l’Est et au Nord et la perte du contrôle de l’État burkinabé sur des portions du territoire national – et d’un aveu d’impuissance du pouvoir du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) et alliés.

« La stratégie de lutte contre le terrorisme ? Vraiment j’ai envie de répondre au député que je n’ai pas de stratégie, je n’ai pas de stratégie. Parce que si ceux qui ont posé le problème avaient une stratégie, c’était le lieu de dire nous on a une stratégie pour arrêter le développement de l’insécurité dans notre pays (…) » (Christophe Dabiré).

La dégradation de la crise sécuritaire a provoqué une grave crise humanitaire qui touche 1 147 699 personnes déplacées internes (PDI), selon des statistiques du Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR) datant du 31 mars 2021. En outre, sous couvert de la lutte contre le terrorisme, les assassinats ciblés ou de masses, les arrestations arbitraires, se multiplient sous le pouvoir MPP et alliés. En témoignent les cas emblématiques de Bahn, de Kain-Ouro et de Yirgou documentés par le MBDHP en 2019 et ceux de Tanwalbougou rapportés par le CISC en 2020.

Les deux défenseurs des droits de l’Homme dont l’ODJ pleure la mort tragique

Plusieurs témoignages relatifs à ces drames imputent la responsabilité des massacres à certains éléments des forces de défense et de sécurité (FDS) et des volontaires pour la défense de la partie (VDP). Ces exactions perpétrées par des milices et des escadrons de la mort créent un terreau favorable à l’implantation de groupes terroristes qui se présentent dans certaines localités comme les défenseurs et les protecteurs des populations. Hormis ces dérives, nous ne pouvons que féliciter et saluer la témérité, la bravoure et l’esprit de sacrifice d’autres éléments des FDS, des VDP et des groupes d’autodéfense populaires qui se battent nuit et jour pour la sécurisation du territoire et du peuple burkinabé.

En outre, c’est l’occasion pour nous de rendre un vibrant hommage aux victimes militaires et civiles du terrorisme, souhaiter un prompt rétablissement aux blessés tout comme présenter nos condoléances les plus émues aux familles éplorées et au peuple burkinabé.

Sur le plan sanitaire et socio-économique, les effets induits de la Covid-19 et la hausse des prix des produits de première nécessité (carburant, céréales, eau, électricité, etc.) ont aggravé la paupérisation des masses, notamment les jeunes qui ployaient déjà sous le poids du chômage, de la précarité et de la vulnérabilité de l’emploi.

En outre, suite à l’annonce de réformes relatives aux examens de l’enseignement secondaire – adoptées sous l’injonction des institutions de Bretton Wood (Fonds monétaire international et Banque mondiale) et de leurs laquais régionaux comme l’Union économique et monétaire ouest-africaines (UEMOA) – une grave crise secoue le système éducatif burkinabé depuis plusieurs semaines. Elle se traduit par des manifestations de rue organisées par des associations d’élèves dans plusieurs localités du Burkina pour dénoncer les conséquences néfastes des réformes en termes de baisse des taux de succès et de durcissement des conditions d’accès à l’université. Face à cette mobilisation des scolaires, le gouvernement a opté pour le mépris, le dilatoire en évoquant l’argument suranné de la manipulation et pour la répression qui s’est traduite par deux décès d’élèves, de nombreuses arrestations et de détentions.

Tout en dénonçant le recours frénétique à la répression et en demandant la libération des scolaires arrêtés, nous appelons le gouvernement à écouter et à impliquer sérieusement les différents protagonistes – les syndicats d’enseignants, les organisations scolaires ainsi que les parents d’élèves – dans la recherche de solutions à la crise et à préserver surtout les droits d’accès à tous les niveaux d’enseignement (primaire, secondaire et supérieur) à tous les enfants du peuple.

Concernant la gouvernance des ressources nationales, on assiste à une persistance de l’impunité des crimes économiques (dossiers emblématiques du charbon fin, graves délits en termes de fraude et de spéculation révélés par la commission d’enquête parlementaire de 2016), au pillage du foncier rural et urbain, à la course effrénée à l’acquisition de biens immobiliers dans certaines capitales de la sous-région, en Europe et dans des Etats arabes, comme l’a révélé l’Observateur Paalga n°10 342 du vendredi 7 au dimanche 9 mai 2021), etc.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Face à ce tableau sombre, le MPP et alliés, victorieuses des élections couplées présidentielles et législatives de novembre 2020, qui rêvent de tuer l’esprit de contestation/critique et de lutte en général et de liquider le mouvement démocratique et révolutionnaire en particulier, a réussi la phagocytose et/ou le ralliement de plusieurs partis politiques dits de l’opposition dont l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zephirin Diabré, promu ministre d’Etat auprès de la présidence du Faso, chargé de la réconciliation nationale du gouvernement Christophe Dabiré II.

Le président de l’ODJ, Gabin Korbéogo (au milieu), Chrysogone Zougmoré,président du MBDHP (à droite) et Boureima Dicko du CISC, animateurs de la conférence.

En réalité, l’un des objectifs de toutes ces grandes manœuvres est la réalisation d’une promesse de campagne du président Roch Kaboré, à savoir la « réconciliation nationale », avec en prime le retour de Blaise Compaoré. Si cette opération politique venait à se réaliser, elle compromettra le traitement sérieux et diligent des dossiers épineux de crimes économiques et de crimes de sang comme ceux des victimes de l’insurrection populaire de 2014 et de la résistance au putsch de 2015, de Thomas Sankara, de Norbert Zongo, de Dabo Boukary, etc. Il en sera de même pour le dossier des camarades CISSE Fahadou et BALIMA Hama au sujet duquel on note un mutisme, un mépris manifeste du pouvoir MPP et alliés.

Mesdames et Messieurs les journalistes,

Le peuple burkinabé, en particulier sa jeunesse combative, ne saurait accepter une telle forfaiture politique.

C’est pourquoi nous invitons le gouvernement à :

- mettre tout en œuvre et prestement pour que l’autopsie des corps des camarades CISSE Fahadou et BALIMA Hama puisse être fait ;
- prendre les dispositions pour que la vérité et la justice soient rendues aux deux camarades et dans tous les cas d’assassinats ciblés ou de masse commis au nom de la lutte contre le terrorisme ;

- respecter les libertés individuelles et collectives au Burkina Faso.

Nous réaffirmons ainsi notre ferme détermination à nous battre pour que les auteurs, commanditaires et complices de ces assassinats soient identifiés et châtiés à la hauteur de leur forfaiture.

Enfin, nous appelons toutes les organisations éprises de justice et de paix, soucieuses de l’unité de notre peuple à se joindre à nous pour exiger :
- la vérité et la justice pour CISSE Fahadou et BALIMA Hama, les tueries de Yirgou, Kain, Banh, Tanwalbougou, etc. et toutes les victimes d’actes barbares sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, et la sanction de leurs auteurs et commanditaires ;

- l’arrêt des assassinats ciblés et de masse, les arrestations arbitraires et les disparitions forcées ainsi que le démantèlement des escadrons de la mort qui écument notre territoire ;

- la défense du pouvoir d’achat, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et des populations y compris celles des FDS ;

- la garantie du droit à la sécurité et des libertés démocratiques et politiques.

Je vous remercie

Source: LeFaso.net