En rentrant allègrement et sans état dâme au « gouvernement MPP » comme Ministre dEtat auprès de la Présidence, Chargé de la Réconciliation Nationale, le « célèbre » et tonitruant Chef de File de lOpposition (CFOP) dhier, Zéphirin DIABRE alias Zeph a certes hérité dun si envié et convoité poste de Ministre dEtat, mais aussi hélas, dune redoutable « patate chaude ». Rappelons que la particularité de la « patate chaude », cest quelle est à la fois difficile à manger et difficile à tenir. Il faut souvent dailleurs avoir une bonne dose de chance et de résilience pour ne pas la laisser tomber. Un tel « cadeau » est aussi symbolisé par endroit dans nos contrées, comme le « wesla* » du dilemme. Si tu le manges ton père meurt ; si tu le laisses, ta mère meurt.
Lintéressé lui-même semble en être si conscient, quil na pas mis beaucoup de temps à engager, dès le lendemain de sa nomination, le partage de sa « patte chaude » par des consultations tous azimuts. Diverses institutions de la République, anciens Chefs dEtat, Chefs coutumiers, Chefs religieux, victimes directes et collatéraux de la violence en politique, et de la mauvaise gouvernance économique, etc., ont, tour à tour, eu droit aux premières visites et/ou prises de contact de lintéressé.
Sans transition, il a même soumis un rapport sur la question en Conseil des Ministres (CM) du Mercredi 24 Mai 2021 et obtenu accord pour la mise en place d « un Conseil national dorientation et de suivi de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale (CNOS) ». Cest précisément ce dernier élément dactualité, prévoyant dans son processus de mise en œuvre, de nombreux organes et instances de concertations nationales, régionales, provinciales, communales, etc., qui motive mon présent point de vue.
En effet, cette nouvelle donne dans le processus de la réconciliation nationale, indépendamment de sa longueur de mise en œuvre dans le temps, va coûter cher et même très cher au Trésor Public, sans que la valeur ajoutée ne saute aux yeux véritablement. En effet, quelques extraits du Compte Rendu dudit CM révèlent que :
1) ce CNOS comprend une centaine de membres dont :
• les anciens chefs dEtat ;
• les présidents dinstitution ;
• les membres du gouvernement ;
• les représentants de partis politiques (majorité et opposition) ;
• les représentants des autorités coutumières ;
• les représentants des autorités religieuses ;
• les représentants des forces de défense et de sécurité ;
• les représentants des différentes catégories de victimes ;
• les représentants des organisations de la société civile, des associations professionnelles, des ONG, etc… ;
2) ce CNOS est assorti dun « Comité des Experts » regroupant des personnes ressources choisies en raison de leurs connaissances de la question de Réconciliation Nationale et de la Cohésion Sociale et/ou de leurs expériences y relatives.
Le Comité des experts est présidé par le Ministre en Charge de la Réconciliation Nationale. Il compte une trentaine de membres ;
3) ce CNOS est meublé dinstances de concertation. Au terme de cette disposition, il sera organisé :
• Des reconcentres de haut niveau, Présidées par SEM le Président du Faso ;
• Des concertations qui se dérouleront au niveau de chaque Commune, de chaque Région, et au niveau National ;
4) Enfin, ce CNOS débouchera sur la tenue dun Forum National de Réconciliation, expression solennelle de la réconciliation, portée par le Président du Faso.
(Tous les soulignés lont été par moi).
Pour chacun de ces cinq (5) niveaux de concertation ci-dessus, le nombre de participants nest pas précisé, mais on imagine aisément la quantité de monde attendue, la quantité dorganisateurs à mobiliser pour leur mise en œuvre.
Autant de structures, dinstances, de participants et dorganisateurs à prendre en charge (« perdiemite » oblige !), tout au long du processus en termes de :
• perdiems ;
• pause-café ;
• pauses-déjeuners ;
• frais dhôtel ;
• frais de transport ;
• et autres faux frais (la vigilance de lASCE/LC et du RENLAC est interpellée ici).
Toutes ces charges (en centaines de millions) sont à supporter par le contribuable burkinabé, sans que lon ne soit sûr de leur apport réel à la Réconciliation Nationale. Tel est en tout cas mon sentiment, je dirais même mon intime conviction, et voici ci-après, mes arguments.
Selon le LAROUSSE, « la Réconciliation Nationale est un processus dacceptation et de déculpabilisation dans lopinion publique dune nation, après un épisode honteux de lhistoire récente du pays ».
Sur la base de cette définition ci-dessus, la démarche de réconciliation nationale semble double :
• permettre aux victimes des exactions et crimes de s’exprimer publiquement ;
• inviter les auteurs et commanditaires de ces exactions et crimes à reconnaître tout aussi publiquement leurs actes.
Bref, létude des motivations et des actes des deux factions en présence, ou du pourquoi chaque faction a jugé en son temps son attitude légitime, doit aider les citoyens du pays actuel et tel qu’il se retrouve à l’issue de ces luttes et de ces périodes noires, à se sentir désormais membres dune même entité et à accepter de vivre ensemble. En somme, il s’agit d’éviter au bout dune catharsis que le même traumatisme national ne se reproduise. Enfin, il sagit dune démarche collective, forcément douloureuse et politiquement périlleuse.
Voilà en gros, le décor planté pour la gigantesque et difficile mission du Ministre dEtat à la Présidence, chargé de la Réconciliation Nationale, M. Zéphirin DIABRE.
Selon le résumé fait par Zeph lui-même à sa sortie dudit CM, « cette démarche vise à faire en sorte que tous les citoyens sapproprient le concept et le contenu de la réconciliation ». Jajouterais moi ici : facile à dire, mais lhistoire récente de notre pays témoigne quil sagit dun mythe de Sisyphe**.
En effet M. le Ministre dEtat à la Présidence chargé de la Réconciliation National nignore pas :
• quil ne sagit pas ici dhomicides involontaires ou de larcins relevant généralement de circonstances accidentelles. Ici, il sagit de graves crimes de sang et crimes économiques, commis crapuleusement en grand nombre et avec préméditation, récidive et même acharnement, comme sil fallait anéantir totalement la victime en face ;
• que ces morts de la violence en politique ont-eux-même engendré des morts collatéraux, par chagrin, par non-assistance à personne en danger et même quelque fois, par suicide ;
• que ces morts de la violence en politique ont laissé des veuves et des orphelins, oubliés et abandonnés à eux-mêmes pendant des décennies et qui ne doivent leur survie quà la providence ou à la leur famille restreinte ;
• que ces morts de la violence en politique ont laissé des enfants déscolarisés à jamais, et auxquels aucune chance na été accordée pour sinsérer avec dignité dans la société ;
• que ces milliers de spoliés par les crimes économiques sont à jamais fragilisés à vie, aussi bien eux-mêmes que leurs ayants-droits.
Toutes ces victimes civiles et militaires et leurs ayants-droits seront-ils capables doublier ce profond traumatisme, et même à minima de pardonner à leurs bourreaux ? Il est permis den douter.
Restent alors pour eux au moins deux choses, peut-être trois : vérité — justice — réparation. Or cela à mon humble avis, na pas besoin de procédures longues, coûteuses voire alambiquées comme préconisées actuellement par le Ministre dEtat du gouvernement MPP, Zéphirin DIABRE. Une simple Commission « Vérité — Justice — Réconciliation » comme à la Sud-africaine, naurait-elle pas suffit ? Autrement dit, le HCRUN et autres structures assimilées ne pouvaient-ils pas sen charger ? Jai alors la faiblesse de croire que lintention cachée ici, est dembarquer autrement plus de monde et de rééditer la messe qui nous a été déjà servie ad vitam aeternam***.
En tout état de cause, cette procédure-là, disons-le net, pourrait à termes nous conduire non pas à la Réconciliation Nationale, mais plutôt à un « serpent de mer »****. Toute chose qui remettrait en cause, mais hélas sur le tard, lutilité et la pertinence de ce spécieux département ministériel, taillé comme sur mesure, juste pour noyer le poisson.
Il est vrai que contrairement à mon pessimisme à moi, lintéressé peut sen féliciter davoir eu un soutien massif de beaucoup dinstitutions et personnes ressources rencontrées. Mais tout ceci me laisse-moi réservé, car il y a parfois des soutiens qui ressemblent au soutien de la corde au pendu.
* Le « wesla » est un met populaire burkinabé constitué généralement de farine de céréales (sorgho ou mil) et de feuilles de légumineuses ;
** Mythe de Sisyphe : tâche impossible à réaliser, difficulté impossible à surmonter, …
*** Locution latine en référence à la notion déternité et dont le sens : « jusquà la fin des jours » est aujourdhui utilisé comme expression commune pour signifier quelque chose qui nest pas prêt de se terminer.
**** limaginaire médiéval évoquait des serpents gigantesques et cruels vivant au fond des mers et surgissant pour avaler équipages et vaisseaux. Mais on nen avait aucun témoignage concret. A partir des années 1850, le terme « serpent de mer » se mit à désigner dans le vocabulaire journalistique un sujet rebattu et peu crédible auquel on recourt néanmoins dans les périodes creuses.
O. Frank
Tél. : (226 70 29 04 02)
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Source: LeFaso.net
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