Au Burkina Faso, après un an de pouvoir du Mouvement pour la sauvegarde et la restauration, deuxième du nom (MPSR2), le pays est toujours en guerre contre les groupes terroristes, mais une autre guerre contre les libertés est en cours. Cette guerre menée par le pouvoir et ses soutiens est contre le pays et son histoire, tout ce qui a fait le Burkinabè, comment il a vécu, résisté et lutté depuis la naissance du pays. Il s’agit d’un grand chambardement, d’une grande remise en cause des droits et des libertés pour faire des Burkinabè, non des insurgés, et des chasseurs de dictateurs, mais des béni-oui-oui, prêts à s’aplatir.

Il s’agit de faire d’eux des hommes qui refusent la réflexion, et ont une sainte horreur de ceux qui pensent, s’expriment, lisent et écrivent. Le dernier feuilleton de cette lutte a mis aux prises la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) et les soutiens du régime sur les réseaux sociaux et dans les médias depuis le 17 octobre 2023. Certains ont sortis les machettes, se filmant avec l’outil préféré de la haine, pour aller attaquer ceux qui ne pensent pas comme eux qui iraient le 31 octobre 2023 à ce meeting.

Sur l’air du pays est en guerre, on refuse que les syndicats et organisations de la société civile qui appelaient à une rencontre à la Bourse du travail, pas au rond-point des Nations unies, ni à la place de la Révolution, mais au siège des organisations syndicales se retrouvent. Mais pourquoi ? La guerre est l’argument massue contre ceux qui réclament des droits et des libertés. Si la guerre même a des règles, cela veut dire qu’elle ne permet pas tout et qu’elle n’enlève pas au citoyen tous ses droits. Quelles sont les limites que la guerre peut imposer au droits et libertés du citoyen comme celle d’opinion et de presse, de réunion et de manifestation etc. ? Pourquoi le MPSR2 ne dit pas ce qui est permis et ce qui est interdit et ne le fait pas adopter par l’Assemblée législative de transition ?

Si on prend le conflit avec la presse, cela fait un an que les communicateurs du régime racontent que tout n’est pas permis en temps de guerre, qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir, que l’on ne peut pas faire du journalisme hors sol, et patati et patata.

Quel est le « danger réel, manifeste, présent ou imminent »

Mais pour l’instant, ce nouveau code de l’information en temps de guerre n’est pas encore publié et il est gravé dans la tête des idéologues qui ne le font pas adopter par les députés. Il est difficile de faire mieux que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en son art 11 qui dit : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Tous les observateurs sérieux de la presse burkinabè savent qu’elle se fixe des limites concernant les questions de sécurité nationale et d’intégrité du territoire. Les opérations militaires sont traitées dans la presse burkinabè par les militaires eux-mêmes ou des journalistes choisis par eux. Ainsi la presse ne peut pas divulguer des informations sensibles à l’ennemi de son fait, puisqu’elle ne publie que des communiqués provenant de l’armée. Alors dans ces conditions, y a-t-il la nécessité de changer la loi ? Quel est le « danger réel, manifeste, présent ou imminent » que la presse fait peser sur la lutte contre le terrorisme ? Est-ce que sur la base de craintes de soi-disant soutiens au régime les libertés doivent être confisquées ? La presse est un outil d’aide à la décision. Les opinions critiques aident le pouvoir à mieux s’orienter sur certaines questions. Si les dirigeants actuels s’attaquent à la liberté d’expression, c’est parce qu’elle permet et conditionne l’exercice des autres libertés, comme celles de réunion de manifestation, d’opinion etc. Les reproches à la presse ne le sont pas pour la guerre, mais contre l’expression de positions critiques, envers le régime.

La furie a été déclenchée contre les organisations qui ont voulu commémorer l’insurrection victorieuse des 30 et 31 octobre 2014 qui a mis fin à 27 ans de règne du capitaine Blaise Compaoré et s’exprimer pour l’occasion sur la situation du pays. Ce branle-bas de combat visait à faire taire une opinion contraire qui fait peur. Le meeting devrait se tenir à la Bourse du travail de Ouagadougou, siège des centrales syndicales, dans un endroit clos. Face au déferlement de vidéos haineuses, avec des machettes qu’on aiguise pour aller à l’encontre de ceux qui participeraient à cette rencontre. On a attendu en vain une parole de paix, un appel à l’apaisement du gouvernement. Le salut est venu du président de la délégation spéciale de Ouagadougou qui a demandé aux syndicats et OSC de surseoir à leur meeting.

La CGT-B a aidé le pouvoir par son opposition

Certains soutiens aux pouvoirs disent que la CGT-B a refusé que les travailleurs cèdent 1% de leurs salaires pour l’effort de guerre et donc elle n’a pas le droit de s’exprimer sur la marche de la nation et tenir un meeting. Les libertés et les droits des Burkinabè ne dépendent pas de ce qu’ils pensent du MPSR2. Quelles que soient leurs opinions, ils ont les mêmes droits, ceux qui pensent que le capitaine Ibrahim Traoré est un dieu vivant et ceux qui pensent que c’est un jeune capitaine, un homme tout simplement. Les opinions ne déterminent pas les droits qui sont concédés aux Burkinabè. Nous avons les mêmes droits indépendamment de notre race, ethnie, religion, opinions politiques et syndicales. Si on fait une analyse rétrospective, le refus des syndicats de céder les 1% des salaires a permis au gouvernement par les taxes d’élargir l’assiette fiscale.

La première approche n’allait concerner que les travailleurs du secteur formel. Or les taxes ciblent les consommateurs qui sont des travailleurs du secteur formel et informel, les chômeurs et les retraités, les étrangers de passage chez nous. Voilà un exemple qui prouve que les libertés d’expression, d’opinion, sont des opportunités d’éclairer la prise de décision des autorités. Même si c’est dur à accepter pour ceux qui ne comprennent que le langage des machettes, cette opposition des syndicats a fait plus de bien aux recettes du Fonds patriotique que certains soutiens.

Des Burkinabè égaux

C’est bien parce que certains soutiens ont peu à offrir au pouvoir qu’ils utilisent la stratégie de dévalorisation des autres, de ceux qui ne soutiennent pas le régime, en les traitant d’apatrides, des gens qui ne seraient pas patriotes ce qui permet de leur retirer leurs libertés, et de créer dans le même pays deux types de citoyens. Ceux qui soutiennent le pouvoir et ont le droit de l’exprimer par des marches et meetings, et ceux qui veulent un soutien critique qui ne peuvent pas le faire. De tous les droits de l’homme, l’égalité est la règle d’or disent les spécialistes.

Concluons pour une fois pour se faire applaudir, par le Premier ministre, Dr Apollinaire Joachimson Kyélèm de Tambèla, qui lors de la traditionnelle montée des couleurs à la Primature, le lundi 02 octobre 2023 à Ouagadougou a dit ceci : « Pour que les dirigeants gagnent la confiance de la majorité, le pays doit être gouverné de manière impartiale, de sorte que le peuple ne ressente pas qu’une catégorie ou un groupe bénéficie au détriment d’un autre. »

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net