La victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection du 24 mars 2024 au Sénégal a la même portée symbolique que l’insurrection populaire de 2014 au Burkina. Elles sont toutes deux des marques de l’intervention du peuple dans l’histoire, quand bien même les modalités diffèrent. Elles sont des signes de prise de responsabilité. Une large partie de la population décide de prendre ses responsabilités face au cours de l’histoire et crée le changement.

La victoire du candidat désigné pour remplacer Ousmane Sonko du parti des Patriotes sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité continue de susciter admiration, louange et fierté à l’égard du peuple sénégalais pour l’importante bataille qu’il a livrée pour arriver à cette fin qui n’était pas celle que Macky Sall avait prévue. Il a fallu encore des morts, du sang, des larmes, des institutions fortes comme le Conseil constitutionnel pour en arriver à cette élection. Qui sont les gagnants et les perdants de cette élection en Afrique ? Quel sera son impact dans ce continent où les putschistes et une certaine société civile ont fait un hold-up de certains concepts ?

Si nous sommes si nombreux à célébrer cette victoire, c’est parce qu’elle est une espérance et une source de paix. Macky Sall, par ses manœuvres et la persécution contre Ousmane Sonko et son parti qu’il a fini par interdire, est aussi un des artisans de cette victoire. La défaite de Macky Sall, c’est celle d’un homme qui a hésité, tergiversé à respecter son engagement à ne pas faire un 3e mandat et qui n’a pas soutenu le candidat qu’il a lui-même désigné pour le remplacer. Il part sans honneur après avoir divisé son parti et sa coalition.

Les Africains, comme tous les hommes, ne veulent pas vivre dans des prisons. Ils veulent s’exprimer, s’expliquer et opiner sur les questions de l’État, la vie publique, et savoir que leur voix compte. Et quoi de plus normal que les Sénégalais se soient battus pour dire à ce pouvoir et aux nombreux candidats compromis avec lui qu’ils veulent rompre avec le système, choisir des jeunes pour répondre à leurs aspirations ? Les Sénégalais ont osé le changement par les urnes.

Le Conseil constitutionnel a mis des limites au pouvoir du président et de l’Assemblée nationale quand l’un a pris un décret et l’autre voté une loi, tous deux anticonstitutionnels. Ce qui est une illustration de la maxime qui dit que le pouvoir limite le pouvoir. Et que la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice sont les gages de la démocratie et les gardiens qui empêchent que le pouvoir ne soit accaparé par un seul homme. Les Sénégalais se sont battus pour que leur pays ne soit pas une prison, où leurs droits n’existent pas.

La démocratie reprend des couleurs face à l’épidémie des coups d’État

Le changement radical contre le système néocolonial ne s’obtient pas seulement par des coups d’État. On peut afficher son programme, battre campagne pour quitter le franc CFA, chasser l’armée française, réviser les contrats léonins sur le gaz et le pétrole, les accords de pêche avec les multinationales et les Chinois, etc., et se faire élire par ses compatriotes à une très large majorité -54,28%- des suffrages et gagner au premier tour des élections. Ce choix de se faire élire, d’obtenir la confiance de ses compatriotes, est l’une des plus grandes formes de respect du peuple et de ses concitoyens.

C’est aussi une confiance en soi et en son programme politique. C’est tout le contraire de la conspiration et de la prise du pouvoir par les armes. Cette victoire est aussi un message adressé à ceux qui ont peur de l’expression du peuple, qui confisquent les droits et les libertés. Le souverain, c’est le peuple et la meilleure manière pour lui de s’exprimer c’est par le jeu démocratique, et les Sénégalais nous ont enseigné en quoi il peut-être aussi beau qu’un match de football avec le fair-play, la vérité des urnes : les médias publiant les procès-verbaux de décompte des voix des bureaux de vote.

Le panafricanisme hors sol est démonétisé

La victoire de Bassirou Diomaye Faye avec son programme panafricaniste ringardise tous les panafricains des réseaux sociaux incapables de se constituer en force de mobilisation sociale avec un programme politique, si ce n’est en force de soutien des régimes militaires au pouvoir. Il n’est pas facile de faire le travail politique d’expliquer un programme, de recruter des hommes pour un parti politique et d’en faire des militants engagés qui se battent pour la victoire du parti. Mais être à la remorque pour emmener des marcheurs et des applaudisseurs est plus facile. Encore plus facile de rester en Europe, avec des passeports européens et s’ériger en donneur de leçons de panafricanisme sans se donner aucune tâche nationale, aucune responsabilité pour faire advenir un changement démocratique dans son propre pays, sauf celle d’applaudir des régimes et des partis.

Sans réduire la contribution des Africains de la diaspora à l’émancipation des peuples africains, des électrons libres sans attaches nationales et dans les couches populaires ne peuvent pas être décisifs dans le changement de la destinée de nos peuples.

La victoire de Diomaye Faye est aussi celle d’une organisation. Macky Sall s’en est pris à Sonko, l’accusant de viol qui n’a pas été établi et s’est transformé en corruption de la jeunesse. Il l’a emprisonné et il a empêché sa candidature à la présidentielle. Mais le PASTEF a eu un plan B qui est Diomaye Faye. Le parti, même dissout, a fait campagne pour lui alors qu’ils étaient en prison Sonko et lui. Sans une organisation solide, sans un peuple informé, mobilisé et engagé avec vous, la victoire est impossible.

C’est une victoire, belle, pleine de grâces et d’élégance parce qu’elle n’est pas déshonorante bien au contraire elle est totale, sans tâche, ni contestation. Elle n’est pas celle d’un homme avide du pouvoir. C’est l’homme de l’ombre et des dossiers qui a été appelé à la lumière parce que le charismatique Sonko a été écarté, empêché. Mais sortis de prison, Sonko et Diomaye ont fait campagne ensemble pour la victoire, Sonko acceptant de devenir le second de celui qu’il a choisi pour le remplacer pour porter leur parti et leur programme au pouvoir. C’est aussi la victoire de l’abnégation et des sacrifices jusqu’à la prison. C’est pourquoi ils font taire ceux qui n’ont pas obtenu la caution populaire dans leurs choix.

Ils ont avec eux aujourd’hui la légalité et la légitimité populaire pour quitter le CFA s’ils le désirent, dénoncer et renégocier les accords, chasser l’armée française et tutti quanti. Mais leur plus grande victoire sera d’avoir toujours des pyramides à bâtir comme préserver l’unité africaine et la solidarité régionale. Ne pas être des démolisseurs, mais des bâtisseurs pour corriger les défaillances de la CEDEAO, montrer que nous sommes capables de changer de partenaires sans se vassaliser.

En un mot, préserver notre indépendance vis-à-vis de tous, brandir le drapeau de la nouvelle Afrique fière et courageuse qui ne pleure pas sur son passé et rejette la faute de ses malheurs sur les autres mais se bat pour s’en sortir.

Sana Guy

Lefaso.net


Photo : AFP / John Wessels

Source: LeFaso.net