Classées au patrimoine mondial de l’UNESCO ou sur la liste nationale, les ruines de Loropéni, le musée des civilisations des peuples du Sud-ouest ou encore la tombe de Bafoudji Palé font partie des richesses culturelles du Poni, dans le Sud-ouest du Burkina Faso. Pourtant, leur fréquentation touristique est en baisse. En cause, selon Albert Héma, directeur provincial de la culture, des arts et du tourisme du Poni, une image sécuritaire biaisée de la région. Il plaide pour une réappropriation du patrimoine par les Burkinabè eux-mêmes.
Lefaso.net : Parlez-nous des sites majeurs que l’on retrouve dans la province du Poni ?
Albert Héma : D’abord, je dirais que ce sont des sites qui répondent à un certain nombre de normes et qui accueillent un certain nombre de visiteurs. Mais il y a d’autres sites qui n’en accueillent pas, simplement parce qu’ils ne sont pas aménagés. Parmi les sites majeurs, nous avons le musée des civilisations des peuples du Sud-ouest. Il y a également les ruines de Loropéni et les sanctuaires des rois Gan. Les ruines de Loropéni sont l’un des premiers sites du Burkina classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, depuis 2009. Donc, ce sont véritablement ces trois sites qui constituent, au niveau du Poni, les sites majeurs. Ce sont des sites que l’on peut même envisager d’inscrire sur la liste nationale. Il y a, par exemple, la tombe de Bafoudji Palé, qui est un site majeur inscrit sur la liste nationale du patrimoine.
L’une des étapes pour être inscrit sur la liste de l’UNESCO, c’est justement d’être préalablement inscrit sur la liste nationale. Donc, il y a le site de Bafoudji, où se trouvent la tombe et le monument. Et puis le monument Thomas Sankara, vers le marché de Gaoua, y est également inscrit. Si vous allez à Madeleine-Père, il y a aussi la tombe de Madeleine-Père, qui figure sur cette même liste. Nous avons une soixantaine de sites dans le Poni, tous confondus, majeurs et mineurs. Mais vous remarquerez que ce sont surtout les sites inscrits sur la liste nationale qui attirent l’attention des visiteurs.
Quelle est la particularité des sites dits mineurs dont vous avez parlé ?
C’est simplement le fait qu’il n’y ait pas de guides. Si vous prenez, par exemple, un site comme la maison sacrée de Loropéni, vous verrez qu’il faut négocier avec les propriétaires terriens pour qu’ils acceptent de vous recevoir et de vous expliquer. Si vous souhaitez y aller, on les appelle, ils vous accueillent et vous guident, mais pas de manière professionnelle comme cela se fait dans les sites aménagés, comme le musée ou les ruines de Loropéni.
Y a-t-il de l’affluence au niveau des sites touristiques dans la province du Poni ?
C’est une question très importante pour nous. Quand on regarde les chiffres en termes de visites, bien avant la crise sécuritaire, et aussi avant la pandémie de Covid-19, les sites étaient pris d’assaut par les visiteurs. Nous avions même du mal à faire face à la demande. Mais avec la crise sécuritaire et le fait que des pays occidentaux aient peint notre territoire en rouge, les gens ont peur. Ils croient davantage à ce qu’on publie ailleurs, alors qu’aujourd’hui, le Sud-ouest est l’une des zones les plus sûres du Burkina en matière de sécurité. Je suis allé plusieurs fois aux ruines de Loropéni, je ne saurais même dire combien de fois exactement.
La semaine dernière encore, nous y étions avec la direction régionale pour voir l’état du site. Actuellement, c’est le musée qui reçoit le plus grand nombre de visiteurs. L’année dernière, on a compté environ 5 000 visites. Mais pour le moment, je ne peux pas vous donner un chiffre exhaustif. Déjà en janvier, nous étions à 90 visites au musée. En février, 85. En mars, 44. Et ça, c’est juste pour le premier trimestre. Si nous faisons le cumul, nous ne sommes même pas à 200 visiteurs. Il y a une période de pic pendant les vacances où les visites augmentent généralement. Aussi, avec le mois du patrimoine national qui vient de s’achever, on peut espérer une hausse des chiffres.

Comment se porte le site des ruines de Loropéni ?
Les ruines de Loropéni sont constituées d’une muraille de près de 11 mètres de hauteur. C’est un site bien conservé. S’il ne l’était pas, il n’aurait même pas été inscrit sur la liste de l’UNESCO. Il y a une direction au sein du ministère chargée de l’aménagement et de la restauration des sites, notamment ceux classés au patrimoine mondial. Il y a un guide permanent sur place, qui veille à l’état général du site. Et lorsqu’un problème se pose, il remonte l’information afin que nous puissions intervenir. Il y a également des maçons formés et affectés à la tâche de restauration. Quand vous visitez, vous verrez des cailloux superposés datant pratiquement du XVIᵉ siècle. Nous travaillons à préserver les ruines à travers des actions spécifiques de protection. Sans cela, j’ai bien peur que nous ne puissions plus parler de cet endroit aujourd’hui.
Quelles sont les difficultés que rencontre le tourisme dans la province du Poni ?
Au-delà des problèmes communs, la difficulté principale est de sortir les gens de l’idée que la zone est en insécurité. Récemment, nous avons organisé une sortie touristique pour un groupe prévue le 24 mai. Mais dès que nous avons mentionné les ruines de Loropéni dans le programme, ils ont automatiquement refusé. Ce qu’ils pensent de la zone est faux. Mais les mentalités ont été conditionnées à croire que ces zones ne sont pas sûres. Pourtant, nous y sommes allés plusieurs fois, même avec des véhicules identifiables en fond rouge. Lors d’un festival, une équipe est même partie à 16h pour ne revenir qu’à 22h, sans aucun incident. Donc, le vrai problème aujourd’hui, c’est de déconstruire cette perception négative et de faire comprendre que les sites sont fréquentables et accessibles. L’État a déjà consenti des efforts pour rendre les routes praticables. J’ai échangé récemment avec le guide des ruines de Loropéni, qui m’a confié qu’en 2024, il n’y avait eu aucune visite de touristes extérieurs. Seuls les touristes locaux viennent, et encore, leur nombre reste faible.
Quel est votre message à l’endroit des Burkinabè ?
Mon message est d’inviter les frères et sœurs burkinabè à visiter nos sites touristiques. C’est à nous de prendre en charge les sites présents dans nos provinces et nos régions, en réponse à l’appel du chef de l’État, lors de son adresse à la nation pour le lancement du mois du patrimoine. Le président a demandé à chaque Burkinabè de s’approprier notre patrimoine. Ce n’est pas à d’autres de venir nous montrer ce que nous avons. Chacun devrait essayer de connaître un pan de l’histoire de son pays. Quand je demande à certains jeunes de Gaoua s’ils ont déjà visité le musée, beaucoup me répondent non. Mais quand il s’agit d’aller acheter à boire, il n’y a aucun problème. Je pense qu’il est temps que les comportements changent sincèrement.
Pièce jointe : liste des sites touristiques du Poni
Farida Thiombiano
Gaoua
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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