Le département « Sciences juridiques, politologie et histoire » de l’Institut des sciences des sociétés (INSS) a organisé ce jeudi 5 juin 2025 un séminaire scientifique sur le thème : « Gouvernance politique au Burkina Faso : enseignements des coups d’État et de la chefferie traditionnelle ». Deux communications ont été animées par deux chercheurs issus de ce département. Parmi ces deux communications, on retient celle du Dr Ollo Pépin Hien, socio-politologue, qui s’est penché sur « Les coups d’États militaires au Burkina Faso : trajectoires historiques et enjeux politiques dans un monde multipolaire ». Tout en égrenant les causes de ces coups d’État, il a invité les décideurs politiques à tirer les enseignements de ces coups d’État militaires pour fonder des institutions fortes et stables pour un véritable développement socio-économique.
Pour décortiquer ce thème d’actualité, Dr Ollo Pépin Hien a d’abord rappelé que le Burkina Faso est l’un des pays africains ayant connu beaucoup de coups d’État militaires. Pour lui, les coups d’États sont devenus un phénomène politique, qui nécessite une attention, un regard des sciences sociales. La présente communication vise donc à revenir sur les trajets historiques des coups d’État militaires au Burkina Faso, à tirer les leçons de ces changements politiques afin de renforcer les institutions nationales.
Tirer les enseignements des coups d’État militaires pour fonder des institutions fortes et stables.
Comme cause de ces changements inconstitutionnels, Dr Ollo Pépin Hien relève une remise en cause de la gouvernance (mauvaise gouvernance) établie. Malheureusement, il y a des coups d’État qui sont venus remettre en cause des pouvoirs, mais qui eux-mêmes ont fait l’objet aussi de critiques, parce que ces coups d’État n’ont pas pu tenir leurs promesses, selon Dr Hien. « Donc, du coup, c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, nous devons tirer les enseignements de tout ça et bâtir une société dans laquelle les institutions politiques vont avoir une certaine force, une certaine crédibilité pour pouvoir survivre aux hommes politiques, pour pouvoir survivre aux acteurs, afin que nous puissions aller vers le développement. Sans une stabilisation de nos institutions à un certain moment, ce serait difficile que nous puissions atteindre un niveau de développement, parce que les institutions sont les poumons de la société », a-t-il interpellé.
À l’entendre, cela interpelle les uns et les autres qui sont aussi invités à jeter un regard rétrospectif, un regard critique sur ces coups d’État et à voir dans quelles mesures on peut tirer des enseignements afin de renforcer les institutions politiques en place. « Donc ici, je suis revenu sur les différents coups d’État militaires que nous avons connus, qui rentrent dans le cadre des processus politiques, dans les contradictions sociales, les luttes qui opposent les différentes fractions de l’espace social pour le contrôle du pouvoir. Et à ce niveau, dans ces luttes pour le contrôle du pouvoir, les militaires ont joué un grand rôle parce que, de façon récurrente, ils sont parvenus à mettre un terme à la gestion du pouvoir des civils, notamment pour interrompre souvent l’ordre constitutionnel et s’accaparer du pouvoir, pour asseoir un contrôle, une domination sur l’ensemble de la société », a expliqué Dr Ollo Pépin Hien.
« Donc, c’est cette hégémonie politique de l’armée en termes de gestion du pouvoir qui a attiré notre attention et qui nous a amenés ici à fonder une réflexion. L’objectif de cette réflexion, c’est comment capitaliser tous ces changements que nous avons connus, ces remises en cause qui sont en même temps des enseignements et des leçons que nous devons tirer pour enrichir le processus politique en cours, à savoir comment faire en sorte que nous puissions arriver à un certain moment à une stabilisation des institutions politiques », a-t-il ajouté.
Pour Dr Hien, « ce sont les tentatives de personnalisation du pouvoir à un certain moment qui ont entraîné des dysfonctionnements des institutions au Burkina Faso. Ce qui a débouché naturellement sur l’insurrection populaire de 2014. Donc, il s’agit ici de voir comment faire en sorte que nous puissions bâtir un ordre politique, un ordre démocratique dans lequel les institutions seront fortes, dans lequel les institutions vont fonctionner selon les règles établies et dans lequel les institutions vont avoir une certaine légitimité au niveau des masses, au niveau des populations. Ce n’est que de cette façon, à ce prix, que les institutions peuvent se pérenniser et survivre aux différents régimes que nous connaissons. »
Dr Ollo Pépin Hien n’a pas manqué de citer des exemples de pays qui ont réussi à surmonter cette instabilité politico-institutionnelle. Il s’agit de ce fait de tirer les enseignements de ces ruptures de l’ordre constitutionnel pour ériger des institutions fortes en lieu et place des hommes forts.

« Le Ghana a connu une succession de coups d’État à un certain moment. Le Bénin aussi et bien d’autres pays, mais sont arrivés à un niveau de stabilisation des institutions. Donc en menant cette réflexion, c’est pour que nous puissions élargir le débat au niveau des hommes de science que nous sommes et voir comment, après avoir tiré les enseignements de toutes ces ruptures politiques que nous avons connues, afin de rendre nos institutions fortes et de créer un ordre politique qui puisse permettre de pérenniser nos institutions et de supplanter les hommes », a-t-il soutenu.
« Il y a coup d’État et il y a coup d’État »
Sur la question de savoir si les coups d’État sont vraiment la solution aux problèmes politiques et à la mal gouvernance en Afrique, particulièrement au Burkina Faso, Dr Ollo Pépin Hien répond qu’il y a différents types de coups d’État. Selon lui, il y a des coups d’État salvateurs comme celui du 4 août 1983 du capitaine Thomas Sankara et des coups d’État qui ont fait régresser le pays comme celui du 15 octobre 1987 dirigé par Blaise Compaoré.
« Il y a coups d’État et coups d’État. Il y a des coups d’État qui ont opéré ici une rupture dans la gouvernance interne, mais aussi une rupture dans les rapports de sujétion, de domination. Et je pense qu’il y a eu des coups d’État salvateurs dans notre histoire politique. Quand on prend le coup d’État du 4 août 83, aujourd’hui, c’est cité comme un modèle dans le monde. Et ce pouvoir inspire aujourd’hui la jeunesse progressiste dans le monde. C’est à partir de ce régime que réellement l’étoile du Burkina Faso a brillé. Sinon, on ne connaissait pas le Burkina Faso. Mais ce coup d’État a permis de poser les bases du développement d’un État moderne. Et on n’est pas étonné de voir certains pays qui disent s’inspirer même de la gestion ou de l’expérience de ce coup d’État du 4 août. Je parle du Rwanda qui ne cache pas vraiment la gestion du pouvoir inspirée de l’expérience de ce coup d’État du 4 août 83. Mais il y a eu des coups d’État qui ont été une régression historique, des coups d’État qui nous ont vraiment fait reculer dans l’histoire, tels que le coup d’État du 15 octobre 87. Il faut dire que ça a été un gâchis, un recul, parce que ce coup d’État est venu encore renforcer la domination extérieure vis-à-vis de notre État. Et les mêmes maux qui étaient dénoncés, combattus dans le coup d’État du 4 août 83 sont revenus avec force après le 15 octobre 87. C’est pour dire que tous les coups d’État ne sont pas bons à prendre », a-t-il longuement défendu.
Saisir l’opportunité de la transition actuelle pour engager des réformes profondes pour des institutions crédibles et solides
À en croire Dr Ollo Pépin Hien, face à cette situation, ce qu’il faut faire aujourd’hui, c’est réfléchir aux réformes politiques et institutionnelles nécessaires afin de pouvoir stabiliser les institutions nationales. Et l’occasion faisant le larron, la transition actuelle constitue une occasion d’engager ces réformes afin d’instaurer des institutions solides, stables qui répondent aux valeurs et aspirations du peuple.

« Comme on l’a dit, la démocratie dans l’histoire a toujours été le résultat des luttes révolutionnaires. À un certain moment, des gens se sont levés, ont dit non à un passé, à une certaine façon de gérer la société. Ces luttes ont accouché d’une nouvelle société et ont posé les bases d’une société démocratique à travers de nouvelles institutions. Des institutions qui, à mon sens, ont pu apporter une certaine stabilité à la société », a-t-il indiqué.
« Nous sommes à cette phase de notre histoire où, aujourd’hui, nous devrons essayer de réfléchir sur quel type de réformes nous devrons opérer. D’abord, pour pouvoir fonder une démocratie qui nous convienne et rebâtir aussi l’État dans ses fondements afin que cet État puisse refléter nos aspirations et nos valeurs. C’est pour ça que la réflexion sur les coups d’État devrait nous permettre de regarder dans le rétroviseur et de tirer les enseignements que ces remises en cause ont porté sans pouvoir résoudre, un tant soit peu, certains problèmes et amener la stabilisation des institutions que nous souhaitons. À partir du contexte de la transition dans laquelle nous sommes aujourd’hui, ça doit être un nouveau départ. Nous devrons saisir cette opportunité de la transition pour mener des réflexions profondes afin de mettre en place des institutions politiques crédibles et solides », a insisté Dr Ollo Pépin Hien, socio-politologue au département « Sciences juridiques, politologie et histoire » de l’Institut des sciences des sociétés (INSS).
Mamadou Zongo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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