L’Éthiopie est le frère aîné de tous les pays africains. Il n’a pas oublié qu’il n’a jamais été dominé par un autre pays, jamais colonisé par les puissances européennes gloutonnes qui se sont partagé l’Afrique au XIXᵉ siècle. Par contre il sait que ses vrais démons sont intérieurs : des conflits armés subsistent dans les deux régions les plus peuplées du pays, l’Amhara et l’Oromia. Dans la vie des hommes et des États, on ne se réalise que quand on se connaît soi-même, et on a de l’amour à donner.

L’histoire des travaux du Grand barrage de la Renaissance sur le Nil Bleu, inauguré le 9 septembre 2025, est celle des grandes batailles pour l’eau que le réchauffement climatique nous réserve. C’est un conflit géopolitique entre l’Égypte qui doit tout au Nil, et l’Éthiopie qui est le pays où le Nil Bleu, l’affluent au plus fort débit, prend sa source dans les hauts plateaux. Le Nil Bleu et le Nil Blanc qui prend sa source au lac Victoria s’unissent au Soudan.

L’Égypte est le pays où le Nil, après son long voyage dans le continent, se jette dans la mer. Regardons ensemble ce que représente le plus grand barrage du continent comme investissement et promesse de source d’énergie pour la moitié de la population éthiopienne et pour les pays voisins. Que dit le droit international sur la propriété des eaux du Nil ? Et si conflit il y a, n’est-ce pas parce que dans l’histoire il y a eu des positions dominantes acquises, consolidées dans des traités et des accords ? Est-ce que les hommes ne peuvent pas s’entendre à l’image de ce fleuve, image de la coopération, qui venant de loin apporte de l’eau et des nutriments sur des terres qui n’en possèdent pas ?

C’est en 2011 que les travaux ont commencé et les discussions sur cet ouvrage hydroélectrique qui est, selon le Premier ministre éthiopien, après quatorze ans, une « grande réussite pour toutes les populations noires ». Malgré les tensions avec les pays en aval, l’Éthiopie a réussi à construire « un barrage de 1,8 kilomètre de large et 145 mètres de haut ». Il a nécessité « 11 millions de mètres cubes de béton » pour créer un immense réservoir d’une capacité « de 74 milliards de mètres cubes », appelé lac Nigat, qui signifie « aube » en amharique. Le coût de l’ouvrage est de quatre milliards de dollars, soit 2 000 milliards de FCFA. C’est une entreprise italienne Webuild qui l’a construit. Pendant qu’en Afrique on ne s’entend pas pour construire des barrages, la Chine en a 23 841 de grands barrages, l’Amérique de Donald Trump n’en a que la moitié. Et la Chine a construit le barrage des Trois Gorges, qui est la plus grande centrale hydroélectrique du monde, un exploit d’ingénierie très impressionnant.

Si les Éthiopiens sont tous heureux de ce Grand barrage de la Renaissance (GERD), c’est parce qu’ils y ont tous contribué par des dons, ou pour les salariés du public en acceptant une diminution de leurs salaires et les autres par des contributions spéciales pour acheter des bons de financement du barrage. Les institutions nationales ont participé également au financement. L’Éthiopie a d’autant plus adopté ce mode de financement que l’opposition du Soudan et de l’Égypte, qui en ont fait une question existentielle, a entraîné le refus de financement du barrage par la Banque mondiale et les États-Unis. Le nom de la Chine a été évoqué mais l’Éthiopie récuse cela en disant que le GERD a été entièrement financé sur fonds propres. Une preuve d’indépendance financière. La Chine, par contre, finance la construction de la ligne de transport de l’énergie pour le Djibouti, pays où il a une base navale.

L’eau doit rester ce symbole de paix et d’accueil

À l’inauguration du barrage, il y avait la présence remarquée des chefs d’État de Djibouti et du Kenya. Ce dernier fait partie des pays qui ont conclu un accord avec l’Éthiopie : l’accord-cadre sur la coopération dans le bassin du fleuve Nil (CFA), entré en vigueur le 13 octobre 2024. Tous les pays du bassin du Nil, sauf l’Égypte et le Soudan, à savoir la République démocratique du Congo, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, l’Érythrée et le Soudan du Sud optent pour une coopération régionale pour la gestion des eaux. Ces pays affirment qu’ils ont également le droit d’utiliser les ressources du Nil pour leur développement tout comme l’Égypte.

L’Éthiopie ne viole nullement le droit international car elle utilise des ressources qui existent sur son territoire pour faire une centrale qui produira de l’électricité en doublant sa production pour en fournir à la moitié de sa population qui n’en a pas, soit environ 65 millions de personnes, et en céder aux autres pays.

L’Égypte a toujours eu une position agressive sur ce barrage. Le président égyptien islamique Morsi menaçait de s’y opposer par tous les moyens (y compris en le bombardant ?). Le président Al Sissi invoque des traités de 1929 et de 1959 qui interdisent aux autres l’accès à la ressource du Nil et la conservent pour l’Égypte et le Soudan. La solution sage serait de reconnaître la dépendance commune des pays du bassin et la nécessité de s’entendre au moment des sècheresses. L’Égypte semble avoir opté pour de nuire à l’Éthiopie autrement en envoyant des soldats à la frontière du Somaliland qui a proposé d’offrir un accès à ses ports à l’Éthiopie qui est devenue enclavée avec l’indépendance de l’Érythrée.

Les pays africains, malheureusement, ont la stratégie du sorcier très facile face à un problème. On opte pour des solutions bellicistes qui font in fine du mal aux deux parties au lieu de rechercher par la coopération et l’écoute une solution acceptable pour les deux parties. L’Égypte, en criant sur tous les toits que le barrage est une menace existentielle pour elle, parce que ses ressources en eau viennent à 97 % du Nil, refuse de voir que les eaux viennent d’ailleurs et que ces pays aussi en ont besoin.

Le seul problème, c’est quand les pluies viennent à manquer. Pourquoi ne pas s’entendre pour gérer la pénurie si elle advenait et permettre à l’Éthiopie d’obtenir un milliard de dollars de recettes par la vente de l’électricité par an ? Si les pays du bassin du Nil règlent ce problème pacifiquement, on peut penser aux potentialités immenses du fleuve Congo qui pourraient fournir de l’électricité à la moitié du continent si là-bas aussi prennent fin les conflits qui persistent depuis des décennies.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net