
Quatre minutes. C’est tout ce qu’il fallait pour connaître le groupe sanguin d’une jeune mère de 27 ans. Quatre minutes qui lui ont coûté la vie.
Dr. Arielle Ahouansou a assisté à ce drame et a juré qu’il ne se reproduirait plus jamais. Aujourd’hui, les bracelets qu’elle vend à travers l’Afrique sauvent des millions de vies qu’elle n’a pas pu sauver cette nuit-là.
En 2017, alors qu’elle n’était encore qu’une étudiante en sixième année de médecine, Arielle Ahouansou a vécu une scène qui allait dévier sa trajectoire, bouleverser sa vocation, et déclencher l’une des révolutions les plus importantes de la santé digitale africaine.
Elle ne l’a jamais oubliée. Parce que ce jour-là, dans un grand hôpital du Bénin où elle était de garde, quelque chose est mort. Et quelque chose est né.
L’hôpital en question vibre de son agitation habituelle : des pas pressés, des cris étouffés, des bips de machines, des portes qui claquent.
Soudain, les portes des urgences s’ouvrent ouvertes avec fracas. Puis, le bruit métallique de la civière qui roule sur le carrelage. Des voix qui crient des chiffres, des termes médicaux, des prières déguisées en instructions cliniques. Sur la civière : une jeune femme de 27 ans.
Vingt-sept ans. L’âge où la vie est censée commencer vraiment. L’âge des projets, des rêves qui prennent forme, des premiers accomplissements. L’âge d’Arielle, presque exactement.
La patiente venait d’accoucher de jumeaux dans un autre centre de santé, quelque part dans la ville. Deux vies nouvelles étaient entrées dans le monde ce jour-là. Deux miracles minuscules qui attendaient leur mère.
Mais leur mère saignait. Elle saignait de cette façon qui fait pâlir même les médecins les plus endurcis. Une hémorragie post-partum sévère, le genre qui transforme les draps blancs en champs de bataille écarlates. Le genre d’hémorragie qui tue.
Arielle—brûlante de jeunesse et de dévouement—s’approche, ses mains déjà gantées, son esprit déjà en mode urgence. Elle avait été formée pour cela. Des centaines d’heures de cours, de simulations, de stages. Elle sait quoi faire : transfusion sanguine. Immédiate. C’est la seule solution. Simple, en théorie. Salvateur, en pratique.
Mais il faut d’abord connaître le groupe sanguin.
« Elle a été testée pendant sa grossesse », dit l’infirmier du centre de transfert, essoufflé, en tendant un dossier incomplet.
Arielle ouvre le dossier. Ses yeux parcourent rapidement les quelques pages mal organisées, les notes griffonnées à la hâte, les résultats d’examens dispersés sans logique apparente. Elle cherche l’information vitale. Celle qui sauvera cette vie. Le groupe sanguin n’y est pas.
Peut-être est-il dans un autre dossier, resté au centre d’origine ? Peut-être mal classé ? Peut-être jamais correctement noté ? On ne le saura pas. On ne le saura jamais. Dans la plupart de nos pays, les informations médicales voyagent rarement avec les patients. Elles restent prisonnières de cahiers poussiéreux, de classeurs débordants, de mémoires humaines défaillantes.
« Il faut refaire le test », dit Arielle, d’une voix qu’elle veut calme mais qui trahit déjà l’urgence.
Un test de groupe sanguin, c’est pourtant simple. Quelques gouttes de sang, quelques réactifs, et peut-être cinq minutes d’attente. Cinq minutes à peine.
Mais dans une salle d’urgence, le temps ne s’écoule pas comme ailleurs. Il se contracte. Il hésite. Il se déforme. Il devient un animal sauvage, prêt à mordre au moindre retard. Ce que les livres appellent quelques minutes peut devenir une éternité. Et nos grands-parents le savaient mieux que quiconque : entre la bouche et la main, le morceau peut glisser. Et parfois… ce morceau, c’est une vie.
Arielle fixe la jeune femme sur la table. Malgré la pâleur qui envahit doucement son visage, il reste d’une beauté désarmante : les traits fins, fragiles, encore porteurs d’une promesse de vie. Une vie que le monde n’aurait jamais dû lui refuser.
Le technicien s’élance vers le laboratoire. Ses pas claquent dans le couloir, secs, rapides, presque désespérés. Chaque écho ressemble à un sablier qui se renverse.
Arielle ramène son regard sur la patiente. La respiration est saccadée, hachée, comme un fil qui se détend trop vite. Les yeux, mi-clos, sont accrochés à un point invisible. Comme si la jeune femme cherchait quelque chose, quelqu’un, une main, une issue… Mais rien ici ne répond à son appel silencieux.
Les minutes commencent à tomber. Une. Deux. Trois.
Le pouls vacille. Arielle sent sa gorge se serrer. Elle glisse une main sur la peau glacée.
« Tenez bon », murmure-t-elle.
Elle ne sait pas si elle parle pour la patiente ou pour elle-même.
Quatre. Cinq.
Le souffle devient un murmure.
Puis un soupir. Puis… presque rien.
Six.
La poitrine cesse de bouger.
« Non… Non… NON ! »
Le cri déchire la salle comme un verre qu’on brise contre le sol.
Arielle plaque son stéthoscope, cherche un battement, un souffle, un frémissement, n’importe quel signe. Un miracle. Un refus du destin. Une note perdue dans la symphonie du vivant.
Mais il n’y a rien. Rien qu’un silence lourd, intolérable, obscène.
Alors elle agit. Pas parce qu’elle y croit encore, mais parce que renoncer serait impensable. Elle pose ses mains au centre du sternum chaud. Et commence. Trente compressions. Deux insufflations. Trente compressions. Deux insufflations. Encore. Encore. Encore.
Ses bras brûlent. Sa respiration se mêle à celle qu’elle tente de ramener. Le monde autour d’elle se rétrécit jusqu’à ne devenir que ce torse immobile et ses propres mains qui refusent d’abandonner.
Autour d’elle, l’équipe s’agite. Mais l’agitation suit un rythme étrange, presque chorégraphié : adrénaline, défibrillateur, gel conducteur.
« On choque. »
Silence. Rebond. Puis on recommence. Encore des compressions. Encore de l’espoir injecté dans un corps qui semble déjà ailleurs.
Mais Arielle sent la vérité se glisser sous sa peau, froide comme une lame. Une vérité qu’elle refuse, qu’elle repousse, mais qui revient malgré tout.
Elle sait déjà. Elle sait que, parfois, la mort ne laisse aucune seconde chance. Elle sait que, parfois, l’hôpital devient témoin d’un combat perdu avant même d’avoir commencé. Elle sait que, parfois, la vie bascule sur une seule information manquante.
Et dans le vacarme des machines, dans le chaos du protocole, dans l’acharnement de l’équipe, Arielle perçoit déjà la présence qui la suivra des années durant : le fantôme de cette jeune femme, venue mourir ici, dans ses bras, à cause de quelques minutes. À cause d’un dossier absent. À cause d’un système qui oublie.
Elle continue pourtant à presser, à insuffler, à se battre. Parce que l’amour de la vie ne s’éteint jamais chez ceux qui la voient disparaître trop souvent.
Mais au fond d’elle, elle sait avant que le médecin senior pose sa main sur son épaule. Elle sait avant qu’il secoue doucement la tête. Elle sait avant que le moniteur émette ce son continu, cette note unique et terrible qui signifie la fin. Elle sait déjà que quelque chose d’irréversible vient de se produire et que rien, absolument rien, ne sera plus jamais comme avant.
Vingt-sept ans. Deux bébés. Six minutes.
Parfois, une vie entière tient dans cette équation impossible.
Le silence qui suit une mort n’est pas un silence ordinaire. Ce n’est pas une pause. Ce n’est pas un vide. C’est un silence plein, dense, presque palpable. Un silence chargé de tout ce qui ne sera jamais : des anniversaires manqués, des premiers pas qu’elle ne verra pas, des diplômes qu’elle ne fêtera pas, des rires d’enfants qu’elle n’entendra plus, des petits-enfants qu’elle ne serrera jamais dans ses bras.
Arielle sentit quelque chose se fissurer en elle. La terre, sous ses pieds, se mit à flotter. Elle connaissait la mort. Elle l’avait déjà vue. Elle avait déjà appris à composer avec elle, cette colocataire indésirable du métier médical.
Elle connaissait les gestes techniques, les protocoles de réanimation, les phrases qu’on murmure aux familles pour tenter de retenir leur monde qui s’effondre. Elle avait appris à construire autour d’elle une carapace professionnelle, ce rempart invisible qui empêche un soignant de se briser à chaque décès.
Mais cette fois… c’était différent. Ce n’était pas la première mort qu’elle voyait. C’était la première aussi absurde, aussi inutile, aussi révoltante.
Car cette jeune mère n’était pas morte par manque de compétence. Ni par manque de matériel. Ni à cause d’un chirurgien indisponible. Ni faute de médicaments.
Elle était morte parce qu’une simple information s’était perdue, égarée entre deux centres, coincée dans un dossier. Bloquée dans un système trop lent pour suivre la vitesse à laquelle le sang quittait un corps.
Arielle retira ses gants. Ses mains tremblaient, juste assez pour trahir ce qu’elle tentait de masquer. Elle sortit de la salle, avança mécaniquement dans un couloir désert, chercha un coin sombre, près d’une fenêtre ouverte sur la nuit béninoise.
Et là, loin des regards, loin des protocoles, loin de la façade qu’on exige des soignants, la carapace céda. Les épaules s’affaissèrent. Le souffle se bloqua. Et les larmes jaillirent, violentes, chaudes, incontrôlables.
Elle pleura pour cette inconnue qui aurait pu être elle. Pour ces jumeaux qui grandiraient sans mère. Pour ce mari qui, à cet instant précis, vivait encore sans savoir que son avenir venait de s’effondrer. Elle pleura pour l’injustice brute, nue, atroce de ce qui venait de se passer.
Six minutes. C’est tout ce qu’il avait fallu. Six minutes entre la vie et la mort. Six minutes où tout se jouait. Mais quatre d’entre elles avaient été perdues, gaspillées à rechercher une information qui existait déjà quelque part, dans un autre dossier, dans un autre centre, mais inaccessible au moment où elle aurait pu sauver une femme.
Cette nuit-là, Arielle comprit que la mort n’est pas toujours une fatalité. Parfois, c’est une erreur d’organisation. Parfois, c’est un bug. Parfois, c’est un oubli. Et cet oubli-là venait de lui briser le cœur, et de lui tracer un destin.
On dit que les grandes missions naissent des grandes douleurs. Cette nuit-là, alors que l’aube étirait sur le ciel un voile de rose fragile, Arielle Ahouansou rentra chez elle en portant, dans le silence de ses pas, une vérité nouvelle.
Elle n’était plus la même. Quelque chose s’était brisé en elle : une fissure nette, profonde, irréversible. Mais de cette fracture montait aussi une lueur inattendue. Une lumière qui ne cherchait pas à guérir, mais à guider.
Sur le chemin du retour, la jeune mère ne la quittait pas. Ni son visage, ni sa pâleur, ni son souffle qui s’éteignait. Et derrière elle, comme une ombre qui s’allonge, Arielle vit soudain des milliers d’autres visages.
Des visages anonymes. Des Africains morts non par manque de soins, mais par manque d’information.
Elle pensa à ceux qui arrivaient inconscients aux urgences, sans que personne ne sache qu’ils étaient diabétiques. À ceux à qui l’on administrait un médicament mortel parce que leur allergie n’était notée nulle part. À ceux qui perdaient dix minutes, dix vies, dix avenirs, pendant que leur groupe sanguin restait introuvable dans un dossier poussiéreux.
Elle comprit alors quelque chose de terrible : Dans la plupart de nos pays, la discontinuité de l’information médicale n’est pas une simple faille administrative. C’est un tueur silencieux.
Arielle avait passé six ans à devenir médecin. Six années de mémorisation acharnée, de garde épuisante, d’odeur de désinfectant qui colle à la peau, de sacrifices invisibles. Elle aimait la médecine. Elle aimait ses patients. Elle aimait ce pouvoir sacré : celui d’apaiser, de réparer, de sauver.
Mais cette nuit de 2017 lui révéla une vérité plus immense, plus lourde, plus dangereuse. Elle pouvait sauver une vie à la fois comme médecin. Ou elle pouvait créer un système qui sauverait des milliers de vies tous les jours, sans pause, sans sommeil, sans oublier.
Ce choix-là n’était pas seulement difficile, il était déchirant.
Abandonner une carrière respectée ? Quitter une voie tracée d’avance pour se lancer dans l’inconnu absolu de l’entrepreneuriat ? En Afrique ? En tant que jeune femme ?
Tout ce que la logique, la prudence, la société lui criaient… c’était Non. Non, reste médecin. C’est sûr. C’est stable. C’est valorisé. C’est recommandable.
Oui, tout proclamait « non ».
Mais une seule image, elle, murmurait « avance ». L’image de la jeune mère. Vingt-sept ans. Deux bébés. Six minutes.
Cette image la suivait partout : dans ses rêves brisés, dans ses insomnies haletantes, dans le moindre battement de son cœur. Chaque fois qu’elle tentait d’oublier, la hantise revenait. Silencieuse, mais implacable.
Elle fermait les yeux et voyait encore cette femme. Elle voyait son regard décroché du monde. Elle voyait sa vie suspendue à un formulaire manquant. Elle voyait ce drame absurde, brutal, évitable… recommencer ailleurs, demain, après-demain, chaque jour.
Alors la question revenait, obsédante, insistante, douloureuse :
« Et si c’était moi ?
Et si c’était ma sœur ?
Et si c’était ma mère ?
Et si ça recommençait demain ? »
C’est ce soir-là qu’Arielle comprit une vérité que peu acceptent : certaines douleurs ne sont pas faites pour être guéries. Elles sont faites pour être portées. Pour être transformées. Pour devenir des missions.
Et parfois, il suffit d’une seule femme qui refuse d’accepter qu’une autre femme meure à cause d’un papier perdu pour qu’un continent amorce son changement. Elle l’avait vu clairement : le problème n’était pas le manque de médecins, ni le manque de matériel, ni le manque de compétence.
Le vrai ennemi, c’était l’oubli. Cette brèche, invisible mais létale, où disparaît l’information médicale dès qu’un patient franchit une nouvelle porte.
Dans tant de nos pays, les histoires cliniques s’effacent. Le groupe sanguin se volatilise. L’allergie critique devient un secret. Le traitement en cours se dissout. Et la vie d’une personne—sa santé, son passé, son futur—devient un puzzle dont personne ne possède les pièces.
Arielle aurait pu se résigner. Mais elle fit ce que font ceux dont la douleur a déjà choisi la route à leur place : Elle décida de bâtir ce qui manquait. Elle s’assit, prit une respiration, et écrivit trois mots qui allaient la suivre toute sa vie :
Identité Médicale Universelle.
Trois mots qui ressemblaient à un rêve. Trois mots qui sonnaient comme un défi. Trois mots qui, en réalité, étaient le début d’un combat.
L’idée était simple, audacieuse, évidente, urgente : créer un système où chaque citoyen d’Afrique—chaque femme, chaque enfant, chaque vie fragile—porte sur lui sa propre vérité médicale, accessible en quelques secondes, n’importe où, par n’importe quel soignant.
Imaginez un continent où :
— votre groupe sanguin ne dépend plus d’un papier égaré ;
— votre allergie mortelle ne se perd plus dans un dossier poussiéreux ;
— vos maladies chroniques ne disparaissent plus quand vous changez de ville ;
— votre contact d’urgence est accessible même si vous êtes inconscient.
Le tout, encodé dans un simple code QR. Un bracelet. Une carte. Un pendentif. Une empreinte numérique de ce qui pourrait vous sauver. Pas besoin de réseau. Pas besoin de dossier papier. Pas besoin de deviner. Le scan révèle l’essentiel, immédiatement, sans hésitation, sans perte de temps.
Arielle sentit, à cet instant, quelque chose se mettre en marche. Une idée venait de naître. Et avec elle, un destin. Elle ne le savait pas encore, mais elle venait de poser la première pierre de Kea Medicals.
L’idée était belle, oui. Puissante, oui. Nécessaire, absolument. Mais en Afrique, transformer une idée en réalité, c’est avancer dans un champ de mines. Un champ où chaque pas peut faire exploser un budget, un partenariat, une confiance, un avenir.
Et pourtant, elle avança.
Arielle retira sa blouse blanche comme on quitte une peau familière. Devant elle s’ouvrait un monde où elle n’avait aucun repère, aucun diplôme, aucune carte : l’entrepreneuriat, la tech, le business development, le fundraising, les réglementations sanitaires, les certifications, les partenariats internationaux. Un univers immense, brutal, opaque. Un univers où rien n’est garanti. Où tout s’apprend à coups de nuits blanches, de portes closes et de cicatrices. Chaque jour apportait un nouveau combat.
Des investisseurs promettaient monts et merveilles, puis disparaissaient sans laisser de trace. Des contrats que l’on croyait signés, scellés, acquis s’évaporaient la veille de l’annonce. Des partenaires souriaient le lundi, et poignardaient le vendredi. Les bureaucraties semblaient avoir été inventées pour une seule raison : tuer l’innovation avant même qu’elle n’apprenne à marcher.
Et certains soirs, elle regardait le solde du compte en banque et sentait la panique grimper comme une vague noire prête à l’avaler. Il y eut des nuits silencieuses où elle se demanda si elle n’avait pas commis la plus grande erreur de sa vie. Si elle n’aurait pas dû rester médecin—un métier clair, balisé, respecté. Si ce rêve n’était pas trop dangereux, trop naïf, trop immense pour une jeune femme africaine sans réseau, sans fortune, sans expérience entrepreneuriale.
Mais chaque fois que le doute devenait presque plus lourd que son propre souffle, l’image revenait. La jeune mère, ses yeux, sa pâleur, les jumeaux qu’elle n’élèverait jamais, les six minutes qui avaient décidé de tout.
Cette hantise devenait un moteur, une ancre, une boussole. Et alors, Arielle se remettait debout. Encore. Et encore.
Puis, comme l’aube qui surgit après la nuit la plus longue, les premières lumières apparurent.
Techstars—l’un des accélérateurs les plus prestigieux des États-Unis—accepta Kea Medicals. Dans une salle pleine d’entrepreneurs venus du monde entier, parmi les pitches, les écrans et les regards critiques, Arielle portait sur ses épaules quelque chose de plus lourd que son projet : elle portait l’Afrique, la santé, la dignité, l’espoir.
La GSMA, l’organisation mondiale représentant tous les opérateurs mobiles, investit dans sa vision. Orange, géant des télécommunications, devint partenaire stratégique. Puis l’UNCTAD, l’agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, lui ouvrit ses portes, convaincue de la portée de sa mission.
Les titres, les articles, les conférences, les photos… Tout cela était beau, oui. Gratifiant, historique. Mais ce n’était pas ça qui faisait battre son cœur.
Ce qui la bouleversait réellement, c’était autre chose. Quelque chose de plus humble, de plus humain, de plus précieux. C’était ce message d’un médecin d’un hôpital rural du Togo :
« Aujourd’hui, un patient est arrivé inconscient après un accident. Nous avons scanné son bracelet Kea Medicals. En quelques secondes, nous savions qu’il était diabétique et sous anticoagulants. Ces informations ont changé tout le protocole. Nous lui avons sauvé la vie. Merci. »
C’était cette mère au Ghana qui écrivait :
« Ma fille a de graves allergies. Avant, je vivais dans la peur qu’en mon absence, quelqu’un lui donne quelque chose qui la tuerait. Aujourd’hui, elle porte son bracelet partout. Je dors enfin la nuit. »
C’était cet hôpital au Bénin qui rapportait :
« Depuis que nous utilisons le système Kea Medicals, notre temps de prise en charge des urgences a diminué de 40 %. Nous sauvons plus de vies. »
Ce n’étaient pas les trophées qui comptaient. Ni les interviews. Ni les partenariats avec les géants internationaux. Ce qui comptait, ce qui la faisait vibrer, ce qui donnait un sens à chaque nuit blanche, c’était cela : Une vie sauvée. Puis une autre. Puis une autre. Chaque témoignage est une victoire. Chaque bracelet, une promesse. Chaque scan, une rédemption.
Arielle bâtissait une entreprise. Mais elle bâtissait aussi autre chose, de plus vaste, de plus intime : une revanche sur l’oubli. Un rempart contre l’injustice. Une deuxième chance pour tous ceux à qui la première avait été refusée.
Aujourd’hui, Kea Medicals s’étend à travers l’Afrique et bien au-delà. Des milliers de personnes portent désormais leur identité médicale universelle. Des dizaines d’hôpitaux ont intégré le système d’information développé par Arielle et son équipe. Dans des salles d’urgence, des cliniques rurales, des maternités, des centres de santé perdus au bout de routes poussiéreuses, un simple scan sauve des vies.
La douleur, lorsque quelqu’un ose la métamorphoser en objectif, devient une force irrésistible. Arielle Ahouansou aurait pu garder cette tragédie comme on garde une blessure : cachée, brûlante, impossible à toucher. Elle aurait pu laisser cette nuit de 2017 la hanter, la consumer, l’éteindre.
Mais elle en a fait tout le contraire. Elle en a fait un phare, une boussole, une raison de se lever chaque matin, même quand le monde semblait conspirer contre elle. Une promesse silencieuse faite à une inconnue perdue dans un couloir d’hôpital. Elle n’a pas oublié cette jeune mère. Elle ne l’oubliera jamais.
Mais aujourd’hui, chaque fois qu’un patient est sauvé grâce à Kea Medicals, chaque fois qu’un médecin scanne un code QR et accède instantanément à ces informations qui font la différence entre la vie et la mort, cette mère de 2017 respire un peu. Son histoire continue dans chaque vie épargnée. Sa mémoire circule dans chaque innovation qui rend la santé plus rapide, plus connectée, plus juste, plus humaine.
L’Afrique a besoin de plus d’Arielle. De plus de personnes qui voient la douleur et y répondent par la création. De plus d’esprits qui transforment les tragédies en solutions. De plus de visionnaires qui refusent la fatalité du « c’est comme ça » et osent imaginer le « et si ça pouvait être autrement ? ».
Kea Medicals n’est pas une simple startup de santé digitale. C’est un manifeste, une rébellion contre le système. Une déclaration que l’Afrique mérite, elle aussi, des infrastructures médicales du XXIᵉ siècle. Que chaque vie africaine porte une valeur infinie. Que la technologie, lorsqu’elle est dirigée vers l’humain, peut combler les failles que l’histoire a laissées ouvertes.
Et pendant que vous lisez ces lignes, quelque part en Afrique, une femme enceinte porte un bracelet Kea Medicals. Son groupe sanguin, ses allergies, son contact d’urgence, son historique médical essentiel ? Tout cela est là, enveloppé dans un simple QR code, accessible en un scan.
Si dans quelques semaines, quelque chose tourne mal, si elle doit être transférée en urgence dans un autre centre, si la panique s’installe et que les minutes se réduisent en étincelles, les médecins sauront instantanément. Ils n’auront pas à chercher. Pas à deviner. Pas à ouvrir des dossiers. Pas à perdre les six minutes qui séparent la vie de la mort.
Cette femme ne sait peut-être pas qu’elle doit sa tranquillité d’esprit à une tragédie qui s’est jouée en 2017. Elle ne connaît peut-être pas l’histoire d’Arielle. Elle ignore qu’une jeune médecin a renoncé à la stabilité d’une carrière tracée, qu’elle a affronté les montagnes russes de l’entrepreneuriat, qu’elle a pleuré, douté, lutté, persévéré, pour créer une solution aussi simple qu’un scan —mais assez puissante pour lui sauver la vie.
Et c’est ça, le véritable héroïsme. Ce n’est pas toujours visible. Ce n’est pas toujours célébré. Ce n’est pas toujours compris. Parfois, c’est simplement quelqu’un qui décide qu’une mort ne sera pas vaine. Que quatre minutes perdues en 2017 doivent résonner à travers les décennies. Que de cette nuit d’horreur peut naître une génération de survies. Parfois, c’est quelqu’un qui transforme son cœur brisé en un pont vers l’avenir.
L’histoire de Dr Arielle Ahouansou nous rappelle cette vérité fondamentale : nos plus grandes blessures peuvent devenir nos plus beaux héritages si nous avons le courage de transformer la douleur en mission. Si nous avons la volonté de faire d’une injustice une promesse pour des millions de vies. Si nous avons la vision de regarder au-delà de notre chagrin. Si nous avons la détermination de bâtir le monde que nous voulons, même lorsque tous prétendent que c’est impossible.
Cette nuit de 2017 a pris une vie. Mais elle a donné naissance à un mouvement qui en sauvera des milliers. Et c’est cela, la première vraie victoire sur la mort.
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Naya Sankoré
Source: LeFaso.net
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