
4 décembre 2006-4 décembre 2025 ; cela fait 19 ans que Pr Joseph Ki-Zerbo, le « Baobab » s’est définitivement couché. D’abord caricaturé, puis pourchassé, et finalement célébré, Pr Joseph Ki-Zerbo demeure l’une des figures les plus fascinantes de l’histoire contemporaine africaine. Dix-neuf ans après sa disparition, le Pr Ki-Zerbo continue d’habiter les débats sur la mémoire, l’identité et la souveraineté africaine. En retraçant son parcours jalonné de luttes politiques, d’exil, de combats pour la démocratie, et de contributions scientifiques majeures, le journaliste Merneptah Noufou Zougmoré, revisite dans cette tribune vibrante, l’héritage d’un intellectuel dont la pensée reste d’une actualité brûlante.
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Comment nous avions connu Joseph Ki-Zerbo
Quand nous étions enfants, nos parents parlaient de l’engagement politique de Joseph Ki-Zerbo comme un échec. Pour eux, le professeur d’Histoire avait un programme qui n’emballait que les intellectuels. A l’ouverture démocratique de la décennie de 1970, il était assimilé à un rêveur par les intentions qu’on lui prêtait. Les partis politiques adverses avaient fait croire qu’il professait un système où tout devait être distribué. Des bonnes récoltes qu’une famille avait fait aux épouses qu’un polygame disposait, il fallait lui en soustraire quelques-unes et donner à ceux qui n’en avaient pas.
C’est de la manière la plus simpliste que l’explication du projet politique de l’agrégée en Histoire était donnée par ses contempteurs à la population. Puis vint la Révolution, je me souviens de l’image de Joseph Ki-Zerbo dans la première de couverture de « Afrique Nouvelle », journal d’obédience catholique qui paraissait à Dakar. L’auteur de « Eduquer ou Périr » était assis devant Thomas Sankara, le canon de sa kalachnikov posé sur le bureau avait pointé Joseph Ki-Zerbo. Après cette rencontre avec le président du Conseil national de la Révolution (CNR), des militants du Comité de défense de la Révolution (CDR) ont commencé à dénoncer le réformisme de l’Union progressiste Voltaïque (UPV) son parti. C’est dans ce climat délétère que l’intellectuel et le politique a quitté le Burkina Faso pour un exil des longues années à Dakar.
Un feu criminel consume sa bibliothèque
Les CDR dégénérés dont certains semblent être toujours dans la vie active, s’en sont pris à ses livres ensuite. Un feu criminel a eu raison de plus d’un millier d’ouvrages qu’il avait dans sa bibliothèque. Malgré son départ précipité du pays, la bagarre était loin de terminer. Dans ce qu’on a appelé la « conjuration » de juin 1984, « complot » par lequel le colonel Didier Tiendrébéogo et plusieurs autres personnes ont été exécutés après un procès sommaire, on accusait Joseph Ki-Zerbo d’être de connivence avec ceux qui étaient dans le projet de déstabilisation de la Révolution. Il aurait rencontré un des conjurés, un dimanche à la sortie d’une messe devant une église à Dakar. Ouagadougou la rumeur racontait que c’est Saïdou Bancé, un agent de renseignement de la Révolution, qui aurait surpris le professeur en conversation avec son interlocuteur venu de la Haute-Volta (le nom du pays n’avait pas changé).
Après quelques années, le président Thomas Sankara a commis ses proches d’aller persuader Joseph Ki-Zerbo de rentrer. Basile Laetare Guissou, alors ministre des Relations extérieures sous la Révolution démocratique et populaire (RDP), atteste avoir rencontré le fondateur de l’Association des étudiants voltaïque en France (AEVF) avec les messages du président Thomas Sankara qui l’invitait de revenir au pays. Il n’a pas répondu à l’appel de la Révolution. Il a fallu l’ouverture démocratique des années 90 pour qu’il rentre de l’exil. Il s’enrôle avec le reste des militants du Mouvement de libération national (MLN), l’UPV et du Front patriotique Voltaïque (FPV), tous étaient ses partis dans une nouvelle formation politique dénommée Convention nationale des Patriotes progressiste/Parti Social-Démocrate (CNPP/PSD), mais le compagnonnage dans ce parti ne durera que quelques temps.
Ki-Zerbo réhabilité par le Collectif contre l’impunité
La deuxième découverte de Joseph Ki-Zerbo va se faire à l’occasion des monstres manifestations consécutives à l’assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons d’infortunes. L’historien et le politique avec ses camarades du collectif contre l’impunité choisissent le 3 janvier 1999 pour manifester leur courroux contre le régime de Blaise Compaoré, dont on n’avait pas établi la culpabilité, mais on lui savait responsable de ce qui était advenu pour ne serait-ce que le serment d’assurer la sécurité des citoyens. Toute la journée et une partie de la soirée du 3 janvier 1999, c’était la course poursuite, le professeur et une partie de la coordination du Mouvement Trop c’est Trop ont été délogés de l’Eglise de l’Immaculée Conception. Alpagué par les forces de sécurité, ils n’auront de salut que par la pression de la rue.
Le lendemain, ils ont tous été relâchés. Les meetings organisés à cette période vont établir le lien entre l’enfant de Alfred Diban, premier catéchiste de la Haute-Volta et la jeunesse. Par cette situation de l’holocauste de Sapouy, le « réformiste impénitent » avait été réhabilité. Il était au milieu de deux groupes qui, dans un temps antérieur, était un seul et qui l’avait hargneusement combattu. Il s’agissait de ceux qui incarnaient le sankarisme et les militants ou les supposés militants du Parti communiste révolutionnaire Voltaïque (PCRV). Les sankaristes, pour l’essentiel, faisaient partie du Nouveau courant opportuniste liquidateur (NCOL21) et une partie de l’Organisation communiste Voltaïque (OCV). Les Pcrvistes représentés par leurs vitrines en constituaient l’autre flanc de l’OCV et du Mouvement national opportuniste liquidateur (MONAPOL).
Les deux acteurs contraints par les contingences politiques seront obligés par charisme du professeur et l’engouement que ses propos suscitaient dans la lutte de « l’innocenter » pour ses choix politiques des années antérieures. A propos de Réforme et de la Révolution, un acteur politique a dit que la Révolution égale à une suite des grandes réformes. On était loin de ces années où ses thèses suscitaient des grandes contestations sur les campus en Occident et en Afrique pour une frange du mouvement étudiant voltaïque.
Cette vie de plusieurs décennies du directeur du tome I de Histoire générale de l’Afrique est séquencée. De la lutte politique pour l’émancipation de l’Afrique au combat démocratique des années 1990, on ne peut pas oublier ses engagements multiples pour la science et les Droits humains. C’est ainsi que Enda Tiers Monde lui consacre deux cérémonies hommage en 2005 au Sénégal à la Maison de la Culture Douta Seck de Dakar et à l’Université Gaston Berger de Saint Louis. De toutes les interventions réunies par les Actes en hommage au professeur connu sous le titre Au professeur Joseph Ki-Zerbo Hommage et Témoignage, deux nous ont particulièrement frappés. C’est celles de Mamoussé Diagne et de Saliou Kandji. Le premier est Maître de Conférence, professeur de philosophie et le second était islamologue et diplomate sénégalais, il est aujourd’hui décédé.
Pour Mamoussé Diagne : « Ki-Zerbo appartient à cette génération d’historiens pour qui la reconquête d’une mémoire oblitérée par la parenthèse coloniale avait une dimension quasi-métaphysique, car ce qui se jouait n’était ni plus, ni moins qu’une question de vie ou de mort. Sinon comment entendre ce qui sonne comme un mot d’ordre : « On ne peut pas vivre avec la mémoire d’autrui ». Il y a en effet deux façons au moins de l’entendre. D’abord, l’idée selon laquelle un peuple privé de sa mémoire meurt, faute d’horizon et de repère balisant son aventure dans le temps ».
Le philosophe continue son développement de l’approche de la thèse sur l’histoire de Joseph Ki-Zerbo. « L’être historique amputé de son attribut essentiel, perd sa substance, même s’il ne cesse pas d’exister biologiquement. L’autre acception vise un procès de substitution par lequel d’autres repères sont fournis, le temps balisé, une orientation donnée à l’aventure humaine. Mais alors ce qui est en jeu, c’est l’existence par procuration, la violence faite à l’identité cogito : le sujet demeure mais décentré par rapport à sa propre temporalité. Que le « je » ne puisse plus maîtriser la trajectoire, ou que le « je » soit un « autre », ce qui lui échappe, c’est son double rapport à soi-même, désigné selon le cas, comme cécité ou comme mystification ».
Une figure comme Saliou Kandji, islamologue et ancien d’ambassadeur dans son témoignage disait ceci : « Je voudrai dire deux mots à l’endroit de mon ami qui a trois ans plus que moi, car j’ai 80 ans et lui 83. Je l’ai connu par l’intermédiaire d’un ami commun Cheikh Anta Diop, que j’ai rencontré en 1952, dès mon arrivé en France. Il m’avait alors remis son manuscrit « Nations nègres et Culture » en disant je te laisse quinze jours pour que tu me donnes ton avis ! quand nous nous sommes retrouvés, il m’a dit que si je voulais rester en France, il me fallait connaître Ki-Zerbo et Alioune Diop. J’ai pris note ». Dans son appréciation de l’œuvre de Joseph Ki-Zerbo, il indique qu’il « définit déjà la place de l’oralité dans l’histoire africaine, de même que celle de la linguistique.
C’est par l’oralité que Bonnel de Mézières dit avoir trouvé l’emplacement de la tombe du chef Almoravides Abou Bacr Ben Omar, près de M Boumba dans le Fouta Toro. Aucun texte écrit n’existait pour le dire. Et quand Bonnel de Mézière est arrivé sur place, ce sont les autochtones qui lui ont indiqué l’emplacement où il a procédé à des fouilles pour retrouver cette tombe. Pendant ce temps-là les autres déniaient à l’Afrique une place dans l’histoire jetaient des barrières entre les ethnies.
Pour sa part, Joseph Ki -Zerbo jette une passerelle culturelle, linguistiques entre les ethnies. Il l’a montré dans le film quand il parle d’espaces d’identités. Ce sont ces passerelles qui permettent d’arriver à l’unité pour fonder une Afrique de demain ». Joseph Ki-Zerbo, c’est aussi sa proximité avec la Revue et la Maison d’édition Présence Africaine. La preuve, c’est sa participation au Congrès des écrivains et artistes noirs en 1956 à Paris et en 1959 à Rome.
Présence Africaine lieu de rencontre des intellectuels
Du 19 au 22 septembre 1956 à la Sorbonne à l’occasion du premier congrès international des écrivains et artistes noirs, feu Alioune Diop tenait un discours qui allait rencontrer l’assentiment de l’itinéraire de Joseph Ki-Zerbo. Il clamait que : « Il n’y a pas de peuple sans culture. Mais ce que l’on perd de vue assez souvent, c’est le lien tout naturel et que je suis obligé d’évoquer pour être loyal, entre le politique et le culturel. Il est certain qu’il appartient à la culture, pour le salut et l’équilibre des peuples, d’inspirer la politique, de la penser et de l’animer ».
Lors d’un cycle de conférence dédiée à Joseph Ki-Zerbo par l’UNESCO en 2012, le message de Christiane Yandé Diop, l’épouse de feu Alioune Diop, traduisait les raisons de la proximité de son défunt époux et Joseph Ki-Zerbo. Ils avaient, tous deux, un grand intérêt pour l’histoire. Dans la Revue Présence Africaine n° 12, du février-mars 1957, Joseph Ki-Zerbo avait publié un article intitulé « L’histoire recommence ». C’était au début des indépendances des pays africains et Christiane Yandé Diop explique que « Celui-ci sera le point de départ de ses travaux futur d’historiographe sur l’Afrique dont le retentissement, les usages concrets et les significations politiques sont aujourd’hui attestés ».
La seconde raison de la proximité du fondateur de la Revue et de la Maison d’édition Présence Africaine était leur attachement commun au catholicisme et elle indique que pour les convictions religieuses de Joseph Ki-Zerbo : « Sa foi était au contraire enracinée dans la croyance d’un paradis sur terre qui serait construit par les hommes. D’une mystique qui serait inventée par les vivants. D’un monde que redresseraient les opprimés. Bref. Appliquant à la lettre africaine les paraboles bibliques, il pensait que les individus opprimés devaient légitimement être sauvé par leurs actes, libérés du joug de l’oppression par leurs propres actions. Il prêchait volontiers l’évangile de la libération qui, sans faillir accepte les prises de positions politiques. Il prêchait encore pour la reconnaissance d’une civilisation à l’échelle de l’homme ». Présence Africaine va également être un cadre de rencontre entre Joseph Ki-Zerbo et les leaders indépendantistes de l’Afrique Lusophone.
Cabral était un de ses proches
Il entretient des liens étroits avec Amilcar Cabral, Agostino Neto, Mario de Andrade et bien d’autres chefs dont les territoires sont sous le joug de l’empire portugais. Pour mesurer la proximité entre ces cadres politiques et Ki-Zerbo, ce sont les déplacements du professeur quand un événement survenait dans le sillage des militants des colonies du Portugal. Joseph Ki-Zerbo a assisté aux obsèques d’Amilcar Cabral en janvier 1973. Quand l’avenue Agostino Neto a été débaptisée pour être rebaptisée Joseph Ki-Zerbo, Jacqueline son épouse avait dit qu’elle n’était pas sûre que du vivant de l’auteur de Histoire de l’Afrique noire, D’Hier à Demain, il l’accepte. Toujours en lien avec la libération de l’Afrique, dans la préface du Journal d’Une Défaite de Amadou A Dicko, la seconde édition, Joseph Ki-Zerbo explique le contexte des années 1950 avec le débat sur l’indépendance et l’unité africaine.
Il évoque l’espoir que les événements comme le sommet des non-alignés à Bandung ont suscité et les conditions dans lesquelles, les militants du Non au référendum gaulliste de se soustraire du joug de la France ou de s’émanciper n’a pas été une réussite et la menace de l’après défaite qui était perceptible. Les kamikazes, malgré tout, s’y étaient lancés. Ils se recrutaient au Parti Africain de l’Indépendance (PAI) au Sénégal, le Parti du regroupement Africain (PRA) au Sénégal et au Niger, le Mouvement de libération national (MLN) et une partie de la dissidence du Rassemblement démocratique Africain (RDA). Cette préface donne un aperçu des espoirs et les insuffisances des indépendances. Indépendances qu’il estimait mal acquise et non conquise.
La continuité de l’action politique à son retour au pays
La vie de l’historien n’a pas été du tout repos. Dès qu’il rentre de son séjour guinéen en Haute-Volta, le Mouvement de libération national (MLN) est clandestinement en action, malgré le contexte du parti unique de fait imposé par Maurice Yaméogo alors président de la République. Dans l’environnement également du février 1974, Ki-Zerbo et ses militants suivent l’injonction des militaires qui ont perpétré la Révolution du palais, sauf qu’il a produit une tribune mémorable titrée l’Armée Voltaïque et notre avenir paru dans l’Observateur dont le journal a republié lors de son cinquantenaire.
Ki-Zerbo, enfin, c’est son combat de l’unification de la gauche Burkinabè. Il avait ameuté les sankaristes (on parle de ceux qui étaient parties-prenantes à la gestion du pouvoir sous CNR, Etienne Traoré, Alain Nindaoua Sawadogo, Alain Zoubga…) et les autres factions de la gauche pour créer le parti pour la démocratie et le progrès (PDP) qui va se muer en parti pour la démocratie et le progrès/ parti socialiste (PDP/PS). Je vous fais l’économie de son apport à la science dont la transversalité est reconnue par les sachants. Il est évoqué dans les cours de science politique par une nouvelle génération d’universitaires africains, comme le professeur Abdoul Karim Saïdou. Salim Abdel Madjid a consacré une thèse de philosophie à son œuvre.
Merneptah Noufou Zougmoré
Source: LeFaso.net
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