La 2e édition de la Journée de coopération scientifique, organisée dans le cadre du cinquantenaire de l’Université Joseph-Ki-Zerbo (UJKZ), a été marquée par une intervention de haute portée intellectuelle. Il s’agit de la conférence de Touridomon Issa Somé, professeur de chimie analytique et coordonnateur académique du programme d’appui institutionnel de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) pour l’UJKZ. Sous le thème « Partenariat scientifique : renforcer les passerelles universitaires entre le Royaume de Belgique et le Burkina Faso », l’enseignant-chercheur a retracé les grands axes d’une collaboration qui, depuis cinquante ans, contribue à façonner l’avenir scientifique du Burkina Faso. La modération a été assurée par le Pr Yvone Bonzi/Coulibaly, chimiste à l’UJKZ et membre de l’Académie nationale des sciences, des arts et des lettres du Burkina Faso (ANSAL-BF).

À l’entame de sa conférence, le Pr Touridomon Issa Somé a rappelé la philosophie fondatrice de cette coopération scientifique. Une relation pensée non pas comme une assistance descendante, mais comme un engagement mutuel, construit sur les besoins exprimés par les partenaires du Sud. Ce modèle, a-t-il insisté, place les institutions burkinabè au centre des décisions, garantissant leur autonomie et leur capacité à orienter les priorités scientifiques nationales.

Une coopération vieille de plusieurs décennies

Revenant aux premiers pas de cette collaboration, le Pr Somé a replongé l’auditoire dans les années 1970, époque à laquelle se dessinait la structure naissante de l’enseignement supérieur burkinabè. Au cœur de cette période fondatrice, une rencontre déterminante eut lieu, relate-t-il, entre le Pr Oumarou Clément Ouédraogo, alors figure majeure du développement de l’université, et le Pr belge Léopold Moll, rencontré lors d’un déplacement à Niamey. De cette interaction est née une coopération qui allait s’étendre progressivement à plusieurs domaines disciplinaires.

Dans un Burkina Faso encore en phase de structuration académique, il a rappelé que l’appui belge a facilité la création d’institutions et de nouvelles filières, l’arrivée d’experts et la mise en place de bases solides pour l’enseignement supérieur. « Nous avons une convention avec l’École supérieure des sciences de la santé (ESSA), qui a permis la création de l’Institut de recherche en science de la santé (IRSS) installé à Wemtenga », a-t-il précisé. Cette initiative, ajoute-t-il, a été suivie par la mise en place d’une unité d’extraction des matières premières, financée par l’Organisation des Nations-unies pour le développement industriel (ONUDI), capable d’isoler les principes actifs des plantes locales en vue de la production de médicaments.

De son point de vue, ces réalisations illustrent parfaitement l’ambition de souveraineté que porte la politique de coopération, à savoir renforcer progressivement l’autonomie nationale en matière d’enseignement, de recherche et même de production pharmaceutique. Il a toutefois regretté que l’unité d’extraction, après une période d’expérimentation prometteuse, soit aujourd’hui presque à l’arrêt. C’est dans ce contexte que se sont ensuite développés les premiers cadres de coopération, poursuit-il, avec l’université de Ouagadougou, notamment à travers l’outil dénommé « Appui institutionnel ». Cet appui, selon Pr Issa Somé, consiste à choisir une université par pays pour améliorer ses performances administratives, scientifiques et organisationnelles. Au fil du temps, plusieurs programmes successifs, baptisés P1, P2, P3…, ont été déployés, menant aujourd’hui à la mise en œuvre d’un sixième programme d’appui institutionnel, témoin de la continuité et de la profondeur de cette collaboration.

Ainsi, les premières collaborations ont touché le droit, la médecine, la chimie, puis se sont élargies à d’autres champs stratégiques à mesure que l’université prenait de l’ampleur. Pour le Pr Somé, cette alliance n’a jamais été une simple coopération administrative, mais un compagnonnage intellectuel ayant façonné des générations d’enseignants et de chercheurs burkinabè.

L’un des points mis en relief à cette conférence a concerné les outils structurants correspondant justement aux programmes suscités, et mis en place par l’ARES, bras opérationnel de la coopération universitaire belge. Le Pr Somé en a présenté les mécanismes, soulignant leur complémentarité et leur pertinence pour le contexte burkinabè.

Les projets de recherche pour le développement

Les Projets de recherche pour le développement (PRD) constituent l’un des instruments les plus emblématiques de la coopération scientifique entre la Belgique et les pays partenaires, parmi lesquels le Burkina Faso. Ils visent à identifier des problématiques de développement dans chacun des 18 pays concernés et à démontrer, par la recherche, la possibilité d’y apporter des solutions concrètes. Le conférencier a expliqué que ces projets, d’une durée de trois à cinq ans, sont fortement compétitifs et doivent convaincre un jury international.

Les porteurs d’un PRD sur trois ans bénéficient d’un financement de 350 000 euros, tandis que ceux engagés dans un programme de cinq ans reçoivent 500 000 euros. Ces ressources permettent de conduire des recherches de terrain en lien direct avec des enjeux sociaux, sanitaires, environnementaux ou économiques. Un exemple particulièrement significatif est celui d’un projet achevé récemment sur l’accès à l’eau potable dans l’ex-région du Nord (actuelle région de Yaadga). « Un projet que nous avons achevé, s’est penché sur comment résoudre le problème d’accès à l’eau potable des populations au Nord. On a doté les populations de beaucoup de forages », a-t-il confié.

Selon le récit de Pr Issa Somé, ce projet s’est heurté à deux défis majeurs. Le premier était d’éviter le transport systématique des échantillons d’eau vers Ouagadougou pour analyse, ce qui exigeait la mise au point de techniques analytiques utilisables directement sur le terrain. Le second consistait à éliminer l’arsenic présent dans certaines eaux souterraines, un problème de santé publique critique pour les communautés rurales. Ces enjeux ont donné lieu à deux thèses de doctorat : la première consacrée à l’élaboration de méthodes d’analyse pour mesurer l’arsenic et divers métaux in situ, et la seconde au développement de procédés permettant la décontamination de l’eau afin de la rendre propre à la consommation. Ces recherches ont produit des résultats tangibles, même si leur intégration dans les politiques publiques reste un défi, comme l’a souligné le conférencier. L’exemple illustre néanmoins la pertinence des PRD, qui est de montrer que la science peut fournir des réponses adaptées aux besoins pressants des populations.

« Un autre projet actuellement financé par la coopération belge porte sur la valorisation des médicaments traditionnels, en collaboration avec le département de SVT », Pr Touridomon Issa Somé, coordonnateur académique du programme ARES pour l’UJKZ.

L’objectif de ce projet est d’accompagner les tradipraticiens dans la standardisation et la sécurisation de leurs produits, afin qu’ils répondent à des normes fiables et ne constituent pas un danger pour les populations. Ce type d’initiative traduit la volonté de concilier savoirs endogènes et exigences scientifiques modernes pour créer des solutions thérapeutiques crédibles.

Les projets de formation Sud

En plus des PRD, la coopération belge propose un second outil stratégique. Celui des projets de formation Sud, qui visent à renforcer durablement les capacités humaines dans des secteurs où la demande en compétences est forte. Lorsqu’un pays identifie un domaine critique dans lequel il manque de professionnels, les universités peuvent proposer un projet de formation équivalent à la durée d’un PRD. S’il est accepté, il bénéficie d’un financement conséquent et exige la formation d’au moins deux doctorants destinés à assurer la pérennité de la filière.

Le conférencier a rappelé qu’il y a une vingtaine d’années, un projet de formation Sud avait permis de former des techniciens supérieurs en analyse biologique. Plus récemment, un autre projet, financé à hauteur de 500 000 euros, a été lancé pour former des personnels destinés à exercer dans les centres de recherche, les industries minières, l’agroalimentaire ou encore dans les universités. Ce besoin se fait particulièrement ressentir aujourd’hui, alors que le Burkina Faso nourrit d’ambitieuses perspectives d’industrialisation nécessitant des techniciens chimistes qualifiés.

L’appui institutionnel

Enfin, un troisième outil majeur de la coopération est l’appui institutionnel, destiné à renforcer les capacités matérielles et humaines des universités. Il s’agit d’un programme de longue haleine auquel l’université Joseph-Ki-Zerbo participe depuis près de trente ans. L’appui institutionnel est néanmoins soumis à une compétition permanente, soutient l’enseignant-chercheur. L’université doit constamment prouver qu’elle progresse grâce au soutien reçu, tout en démontrant qu’elle possède encore des besoins spécifiques pour améliorer sa performance interne et externe. C’est grâce à cet instrument, insiste le Pr Somé, que les écoles doctorales de l’UJKZ ont pu être consolidées, devenant aujourd’hui l’un des piliers de la formation et de la recherche au Burkina Faso.

Les projets Amorce

Le projet Amorce occupe une place singulière dans l’arsenal des outils de la coopération. Car il vise avant tout à faire émerger de nouvelles idées et à agir comme un incubateur d’innovations. Il s’adresse aux chercheurs ou équipes qui disposent d’un concept prometteur, mais n’ont pas encore les ressources nécessaires pour le concrétiser. Une fois le projet soumis et sélectionné, les porteurs échangent avec les partenaires belges afin d’explorer la faisabilité et les modalités de mise en œuvre. Grâce à ces interactions, de simples idées peuvent se transformer en initiatives structurées et porteuses d’impact.

Très souvent, les projets développés dans le cadre d’Amorce évoluent ensuite vers des dispositifs plus robustes comme les Projets de formation Sud (PFS) ou les Projets de recherche pour le développement (PRD). Ces transitions témoignent du rôle catalyseur d’Amorce dans la création de partenariats durables. L’objectif final reste toujours le même, à savoir renforcer les capacités des institutions du Sud, en particulier les universités, en leur offrant un tremplin pour se projeter dans des initiatives de plus grande envergure.

« C’est depuis 2002 que j’entretiens des relations professionnelles et d’amitié avec les Belges jusqu’aujourd’hui », Pr Yvone Bonzi/Coulibaly, chimiste à l’UJKZ et membre de l’ANSAL-BF.

Les projets de valorisation

À côté d’Amorce, les projets de valorisation viennent compléter cette dynamique en croisant les expertises académiques, celles de la société civile et du secteur privé. Financés à hauteur de 40 000 euros par an, ils misent sur la complémentarité des acteurs pour donner une seconde vie aux résultats de la recherche ou aux innovations locales.

Les bourses de formation

En dehors de ces instruments spécifiquement orientés vers les universités, la coopération belge met également en œuvre des outils ouverts à toutes les catégories socio-professionnelles. Ce sont les outils de formation internationale. Ils consistent en l’octroi de bourses permettant à de jeunes professionnels des pays partenaires de suivre des formations spécialisées en Belgique, au niveau Bachelor ou Master. Ces programmes, entièrement pris en charge, favorisent le transfert de compétences pointues et le renforcement du capital humain dans des secteurs stratégiques.

Les projets de mobilité

À cela s’ajoutent les projets de mobilité, une modalité précieuse qui offre aux personnels administratifs ou scientifiques des universités partenaires, l’opportunité de séjourner dans des institutions belges pour renforcer leurs compétences opérationnelles. Par exemple, certains cadres peuvent y apprendre le fonctionnement d’un service moderne des relations internationales ou d’un service de coopération universitaire. À leur retour, ils proposent souvent des rapports riches en recommandations pertinentes. Cependant, la lourdeur administrative interne et les blocages institutionnels freinent parfois l’adoption de ces propositions, décourageant ainsi les bénéficiaires malgré la qualité de la formation reçue.

Un autre instrument important est la recherche en appui à la politique, qui vise à mobiliser l’expertise des chercheurs afin d’améliorer la qualité et l’impact de l’aide publique au développement. Il s’agit d’une démarche appliquée, destinée à éclairer les décisions, orienter les politiques et renforcer la pertinence des interventions. Comme pour tous les outils de la coopération, un principe demeure incontournable : la nécessité d’un partenaire belge pour co-construire le projet, assurer la complémentarité des expertises et garantir la solidité de la proposition.

Enfin, un défi persistant concerne la faible implication des chercheurs dans la rédaction de projets. Beaucoup hésitent à se lancer ou se heurtent à la complexité du processus de sélection. Il faut savoir que l’obtention d’un financement ne se fait que rarement dès la première tentative. Chaque projet est évalué par des experts internationaux qui formulent des remarques détaillées. Les propositions rejetées une année sont souvent améliorées puis resoumises avec davantage de chances de succès. L’expérience le montre : certains projets n’aboutissent qu’après trois ou quatre tentatives. L’essentiel est donc de ne pas se décourager, car la persévérance finit généralement par être récompensée.

Dans un contexte mondial marqué par des défis sécuritaires, climatiques, sociaux et informationnels, l’université apparaît comme l’espace stratégique par excellence pour préparer les réponses d’avenir. En célébrant ce demi-siècle de collaboration, la conférence du Pr Touridomon Issa Somé aura permis de révéler toute la profondeur, la cohérence et la solidité du partenariat entre la Belgique et l’université Joseph-Ki-Zerbo. Un partenariat construit sur la confiance, la vision et la mutualisation des expertises. Les acquis sont nombreux, les défis réels, mais les perspectives prometteuses.

Hamed Nanéma

Lefaso.net

Source: LeFaso.net