De plus en plus reléguée au second plan dans les préoccupations sanitaires, la tuberculose continue pourtant de faire des victimes au Burkina Faso. Chaque jour, des patients affrontent les symptômes silencieux mais ravageurs de cette maladie infectieuse. Entre le diagnostic et la prise en charge médicale se trouve parfois un fossé creusé par l’ignorance des populations. Au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo, des efforts sont menés par les soignants pour sensibiliser et accompagner les patients atteints de cette maladie oubliée. C’est tout un système de santé qui se mobilise pour freiner la propagation de ce fléau. Reportage.

Août 2024, Ouagadougou. Aïcha Ouédraogo, âgée d’une quarantaine d’années, tombe brusquement malade. Un soir, alors qu’elle s’apprête à dormir avec ses filles, une quinte de toux particulièrement violente la terrasse. En quelques secondes, elle perd connaissance. Prises de panique, ses filles l’emmènent d’urgence à l’hôpital Paul VI, tout proche de leur domicile. Mais l’état alarmant de la patiente nécessite un transfert vers un centre hospitalier plus grand. Aïcha est donc transportée au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo.

Après une série d’examens, le verdict tombe : Aïcha souffre de tuberculose. Une maladie dont elle n’avait jamais entendu parler de sa vie. « Je ne savais même pas ce que c’était, ni comment on pouvait la contracter », confie-t-elle après plusieurs mois de traitement. Pourtant, les signes étaient bel et bien là. Une toux persistante, des douleurs aiguës dans la poitrine. Pendant son hospitalisation, Aïcha perd une grande partie de sa masse corporelle, jusqu’à frôler les 55 kg. Mais une fois le diagnostic posé, elle bénéficie d’une prise en charge rapide. « Dès que j’ai repris un peu de force, j’ai été libérée, mais je devais continuer mon traitement », raconte-t-elle. Le traitement, pris directement au CHU de Bogodogo, s’avère long et exigeant. Six mois de rigueur, de fatigue et de combats invisibles.

Aicha Ouédraogo a terminé son traitement et a repris des couleurs

Malgré tout, Aïcha a été assidue. Elle ne manquait aucun rendez-vous, suivait scrupuleusement les instructions médicales et gardait l’espoir de retrouver un jour une vie normale. Sa condition physique l’avait privé de toute énergie. Elle a dû même mettre son petit commerce en pause. « Je n’avais plus de force au début de mon traitement pour sortir. Même pour aller acheter du pain, c’était difficile », se souvient-elle. Son apparence amaigrie suscitait la compassion, mais aussi des jugements. Certains ont cru à tort qu’elle était atteinte du VIH/Sida. « C’était dur, mais je me suis accrochée », dit-elle avec son masque de protection. Aujourd’hui, son état de santé s’est considérablement amélioré. Elle a repris du poids et a retrouvé des forces.

La tuberculose pulmonaire, celle dont souffrait Aicha, est la plus rencontrée au CHU Bogodogo. C’est ce que nous fait savoir le Dr Sandrine Damoué Segda, pneumologue expérimentée sur cette pathologie depuis une dizaine d’années. Elle souligne que la particularité de la tuberculose pulmonaire est son caractère très contagieux. « C’est la forme qui est la plus contagieuse. Souvent, les poumons peuvent être très touchés et la personne peut développer beaucoup de séquelles après », explique la pneumologue. Heureusement, Aïcha, qui était assistée par ses filles, n’a pas contaminé ces dernières.

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Un traitement exigeant mais accessible

8h au centre de diagnostic et de traitement des maladies infectieuses et tropicales du CHU Bogodogo. Ici, chaque matin, de nombreux malades viennent prendre leurs traitements sous l’œil vigilant des infirmiers. Un traitement dont la principale difficulté est la logistique pour les malades. Cela permet de mieux suivre leur évolution. Asséta Tiendrébéogo, atteinte de tuberculose depuis le mois de mars 2025, ne manque aucun rendez-vous pour sa prise de médicaments. « Chaque matin, je passe avaler mes comprimés avant de vaquer à mes occupations de la journée. J’ai un fils en bas âge et j’avais peur de le contaminer, mais je lui ai fait faire le test qui s’est révélé négatif », indique cette mère de cinq enfants. Après sa cure du jour, elle revient sur les débuts de sa maladie. « J’étais simplement enrhumée, mais je ne toussais pas. Seulement, ce rhume ne finissait pas. Après une consultation au CSPS de mon quartier, on m’a donné un bulletin d’examen de crachats. C’est ainsi que j’ai su que je souffrais de tuberculose. J’étais paniquée, mais les soignants m’ont rassurée que si je suis bien le traitement, je vais guérir. » Asséta a néanmoins eu la chance de découvrir sa maladie assez tôt avant qu’elle ne s’aggrave. Elle fait régulièrement des examens de suivi pour voir l’évolution de sa maladie. « Franchement, les médicaments ne me coûtent absolument rien. Il me suffit juste d’apporter mon eau pour les avaler », se réjouit-elle.

« C’est grâce au réconfort des soignants que je me rétablis rapidement », Asséta Tiendrébéogo venue pour sa cure quotidienne au CHU Bogodogo

En ce qui concerne le suivi pendant les deux premiers mois, le Dr Damoué signale que c’est une phase qui est plutôt intensive. Les patients sont invités à venir au niveau du centre de diagnostic et de traitement pour prendre les médicaments. « Ce procédé nous permet d’avoir un bon suivi et de nous assurer que le traitement est bien pris. Il faut dire qu’avant de commencer le traitement, il y a ce qu’on appelle l’entretien de mise au traitement où on explique aux patients comment ça se fera. Ce qu’il faut éviter dans l’alimentation les excitants. Il faut dire que lorsque le patient n’est pas grabataire, la prise en charge se fait de façon ambulatoire. Maintenant, lorsque l’état du patient requiert d’une prise en charge au niveau hospitalier, nous hospitalisons le patient pour lui prodiguer des soins adéquats. La prise en charge est assez spécialisée. Il y a des box où on hospitalise les patients pour éviter la contamination avec d’autres patients qui ne souffrent pas forcément de la tuberculose », explicite la pneumologue.

GeneXpert, un atout majeur pour le diagnostic

Depuis 2021, le Centre hospitalier universitaire de Bogodogo s’est doté de la technologie GeneXpert pour le diagnostic rapide et fiable de la tuberculose. Une avancée majeure dans la lutte contre cette maladie infectieuse, comme l’explique le Pr Absatou Ba/Ky, maître de conférences agrégée de bactériologie-virologie à l’université Joseph Ki-Zerbo et cheffe de service du laboratoire de biologie médicale de l’hôpital. À l’ère de la biologie moléculaire, le système GeneXpert s’impose comme une réponse efficace aux limites des méthodes classiques de dépistage de la tuberculose, telles que l’examen microscopique ou la culture bactérienne. Grâce à la technologie PCR en temps réel, cet appareil permet de détecter l’ADN des mycobactéries du complexe tuberculosis, dont mycobacterium tuberculosis, avec une grande sensibilité et en moins de deux heures.

Une vue de GeneXpert du laboratoire du CHU de Bogodogo

« Le GeneXpert est simple d’utilisation, totalement automatisé, et intègre tous les éléments nécessaires à l’amplification de l’ADN dans une cartouche unique », précise le Pr Absatou Ba/Ky. Après un pré traitement minutieux, la cartouche contenant l’échantillon est insérée dans l’appareil. En plus de détecter la présence du germe, l’outil identifie la résistance à la rifampicine (un antibiotique antibactériens), ce qui facilite l’adaptation rapide des traitements.


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Outre sa performance, le test est gratuit et accessible à tous, grâce à un approvisionnement régulier en entrants via le programme national de lutte contre la tuberculose (PNT). Le personnel du laboratoire bénéficie d’une formation continue, et la maintenance de l’appareil est assurée par une société locale sous contrat, garantissant un fonctionnement optimal. Le seul bémol est que le modèle actuellement utilisé au CHU de Bogodogo ne peut analyser que quatre échantillons à la fois, ce qui allonge les délais en cas d’affluence. « Cela reste un défi lorsque l’on doit traiter un grand nombre de prélèvements, mais dans l’ensemble, le gain en efficacité est considérable », souligne le Pr Ba/Ky qui insiste sur le fait que le GeneXpert représente un avantage pour renforcer le diagnostic précoce de la tuberculose au Burkina Faso.

« En moyenne, 50 tests pour la tuberculose sont réalisés par semaine et 200 par mois au laboratoire du CHU de Bogodogo », Pr Ba, cheffe de service du laboratoire de biologie médicale

Des progrès encourageants au Burkina, mais l’alerte reste mondiale

Au Burkina Faso, la lutte contre la tuberculose enregistre des avancées significatives. D’après les données du Programme national de lutte contre la tuberculose (PNT), le taux de notification des nouveaux cas et des rechutes est passé de 29,5 à 39,5 cas pour 100 000 habitants, signe d’un dépistage plus rigoureux et d’un meilleur suivi des malades. Parallèlement, l’incidence de la maladie a connu une baisse remarquable de 58 % sur la même période. L’autre progrès notoire est le nombre de cas manquants (non détectés ou non notifiés) qui a été réduit de manière significative, passant de 22,1 à 3,5 cas pour 100 000 habitants. Cependant, la maladie reste bien présente sur tout le territoire national. Elle est particulièrement concentrée dans quatre régions sanitaires dont le Sud-Ouest, le Centre, les Hauts-Bassins et le Sahel, qui nécessitent une attention renforcée dans les actions de dépistage, de traitement et de sensibilisation.


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Sur le plan mondial, le rapport 2024 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dresse un bilan contrasté. Le nombre de décès liés à la tuberculose a diminué, passant de 1,32 million en 2022 à 1,25 million en 2023, mais le nombre de personnes atteintes continue d’augmenter. En 2023, environ 10,8 millions de personnes ont contracté la maladie. Parmi elles, 55 % étaient des hommes, 33 % des femmes et 12 % des enfants ou jeunes adolescents. L’Asie du Sud-Est reste la région la plus touchée avec 45 % des nouveaux cas, suivie par l’Afrique avec 24 %. Malgré les progrès réalisés, le rapport de l’OMS souligne la persistance de difficultés majeures, notamment l’absence de financement pour les programmes de lutte contre la tuberculose, qui freine les efforts pour éradiquer cette maladie évitable et curable.

« Ce n’est pas une honte que d’avoir cette maladie »

Aïcha, qui a failli perdre la vie à cause de la tuberculose, tient à faire savoir que cette maladie existe toujours au Burkina Faso mais qu’elle n’est pas une fatalité. « Ce n’est pas une honte d’avoir cette maladie. Le plus important, c’est de se soigner et de ne pas abandonner le traitement. J’ai négligé une toux pendant longtemps et j’ai failli y rester. Alors qu’une consultation aurait pu m’éviter cette situation. J’invite donc les gens à fréquenter les centres de santé quand il y a quelque chose qui ne va pas », conseille Aïcha, qui remercie le personnel du CHU Bogodogo pour son appui surtout psychologique.

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Pour le Dr Sandrine Damoué, la tuberculose reste un problème majeur de santé publique au Burkina Faso. Elle rappelle que la maladie est infectieuse et hautement contagieuse. « Lorsqu’une personne atteinte tousse, rit ou éternue, elle libère dans l’air des gouttelettes contenant le bacille de Koch. Toute personne à proximité qui inhale ces particules peut, à son tour, développer la maladie », explique-t-elle. L’estimation nationale fait état de 44 nouveaux cas pour 100 000 habitants, un chiffre révélateur du défi que représente encore la tuberculose dans le pays. Au niveau du CHU de Bogodogo, les patients sont orientés vers différents services selon les organes atteints. Dans le service des maladies infectieuses, la tuberculose figure parmi les cinq principales causes d’hospitalisation. « Toute toux qui dure plus de deux semaines doit alerter. Il est important de consulter rapidement un professionnel de santé pour poser un diagnostic. Si la tuberculose est détectée tôt et le traitement bien suivi, on peut guérir sans complications », insiste-t-elle. Elle invite également à lutter contre la stigmatisation, encore présente. Une stigmatisation qui nuit aux patients et retarde parfois leur guérison.

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Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net