La Journée nationale des coutumes et traditions sera célébrée pour la deuxième fois ce 15 mai 2025 au Burkina Faso. À cette occasion, Lefaso.net a tendu son micro à des Ouagalais pour savoir s’ils pensent que les coutumes et traditions sont respectées surtout par la jeunesse. Tous s’accordent à dire que les traditions restent essentielles, mais dénoncent un affaiblissement de leur transmission.
Kouvibana Aïda Hie, étudiante en data science
« À mes yeux, respecter nos traditions, c’est d’abord les connaître, les comprendre, puis les valoriser. Aujourd’hui, si les coutumes et traditions restent importantes dans l’identité burkinabè, leur respect réel est inégal, tant chez les plus âgés que chez les plus jeunes. Certes, les aînés sont perçus comme les gardiens naturels des traditions, mais force est de constater que même parmi eux, la transmission s’effrite. Quant à la nouvelle génération, elle évolue dans un monde marqué par la globalisation, les technologies, l’éducation formelle et les influences culturelles extérieures, ce qui rend la préservation des traditions plus complexe. Je pense qu’au Burkina Faso, le respect des traditions varie fortement selon les contextes. En milieu rural, les pratiques culturelles sont mieux conservées. En revanche, en milieu urbain, les modes de vie modernes, la scolarisation, les réseaux sociaux et les modèles occidentaux conduisent à une adaptation, une remise en question, voire un abandon de certaines pratiques, jugées trop rigides ou désuètes. Mais ce phénomène ne signifie pas un rejet pur et simple de la culture traditionnelle. Beaucoup de Burkinabè, en particulier les jeunes, cherchent un équilibre entre héritage et modernité. On voit émerger une nouvelle forme d’appropriation culturelle : dans la musique, le cinéma, les festivals, les habits traditionnels revisités ou encore l’artisanat local, les traditions sont réinterprétées et valorisées de manière contemporaine. Certaines valeurs fondamentales comme le respect des aînés, la solidarité, le sens de la communauté restent d’ailleurs profondément ancrées, même chez les plus jeunes. Cependant, on ne peut respecter ce que l’on ne connaît pas. Et comme on le dit souvent, l’éduqué copie l’éducateur. Si les parents, les enseignants, les chefs coutumiers ou religieux eux-mêmes ne prennent plus le temps de transmettre ou de vivre ces traditions, peut-on réellement en attendre beaucoup de la jeunesse ? Pire encore, ceux qui continuent de pratiquer ou d’étudier les traditions sont parfois moqués, soupçonnés de sorcellerie ou accusés d’être dépassés, tant la société moderne a opposé religion, science et tradition. Cette confusion nuit à la reconnaissance des savoirs locaux et à la richesse de notre patrimoine immatériel. Conscients de cette dérive, les autorités ont instauré la journée nationale des coutumes et traditions, célébrée chaque 15 mai au Burkina Faso, pour sensibiliser la population à la valeur de son héritage. Mais une journée symbolique ne suffit pas. Il faut un travail collectif, profond et continu, pour replacer nos traditions au cœur de l’éducation, de la vie sociale, des politiques culturelles et du développement local. Respecter nos traditions, ce n’est pas revenir en arrière. C’est savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. C’est reconnaître la valeur de ce que nous avons, au lieu de courir derrière ce que nous ne sommes pas. Nos traditions font partie de notre singularité, de notre force. Elles sont une boussole pour affronter le monde d’aujourd’hui sans perdre notre âme. »
Franck Ouédraogo
« Je pense que les gens ne comprennent pas ce que sont les traditions et coutumes. Beaucoup de gens sont entrés dans l’euphorie sur cette question ; pourtant, il y a des bases très essentielles à respecter. Il y a beaucoup de langues qui disparaissent aujourd’hui. Certains livres dans nos langues traditionnelles sont financés par des organismes extérieurs. Il faut écrire un manuel sur les rites et les coutumes des villages pour que les jeunes s’y réfèrent. Je connais beaucoup de personnes qui ne connaissent pas leur village ni le nom de leurs ancêtres. Pourtant, pour faire certains rites, il y a des moments où il faut invoquer les ancêtres. Combien peuvent le faire ? Et ce sont les mêmes qui parlent de traditions. Les gens ont une grande méconnaissance de leurs coutumes. Je pense que l’on doit avoir un manuel sur chaque coutume où les règles seront disponibles. Le problème avec la tradition orale, c’est que les choses se perdent. Pour exemple, de nombreux PPS (mariages coutumiers) ne respectent plus les règles. Auparavant, c’était une somme symbolique qui était remise aux tantes, mais maintenant tout est transformé selon les intérêts. Je pense que ce n’est pas la faute des religions importées, mais de notre faute. Pour mieux faire respecter les coutumes et les traditions, je pense qu’il faut établir un registre ou un dictionnaire des langues parlées au Burkina. En plus, les gens mélangent le fétichisme à la tradition. La tradition, c’est ce que l’on fait habituellement dans une famille ou une société. Mais aujourd’hui, c’est autre chose que les gens voient. Sur le plan vestimentaire, combien de personnes peuvent reconnaître une ethnie à travers le Faso Dan Fani ? Avec les tenues, avant, on pouvait reconnaître un homme marié, une femme mariée, une jeune fille, etc. Pour le 15 mai, on peut organiser une foire de présentation de nos rites et autres. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à revoir et à recadrer pour que la jeunesse connaisse ses traditions. »
Hervé Kaboré
« Pour moi, chacun est libre de choisir ce qu’il veut faire. Le Burkina est un pays laïque, donc chacun est libre de pratiquer ou non les coutumes. Il y en a qui respectent les traditions à fond, surtout dans certaines zones où c’est une obligation. Là-bas, si tu te détournes, c’est toi qui en paies les conséquences. C’est ce qui fait que beaucoup de gens restent attachés aux coutumes, c’est leur manière de vivre. Il y a aussi des jeunes qui s’y intéressent, soit par conviction, soit pour des raisons personnelles, la protection spirituelle, rites familiaux, etc. Moi, je connais des gens qui prient régulièrement, qui respectent les moments de prière dans la journée et d’autres qui suivent les coutumes de leur village. Chacun fait ce qu’il peut. Il y a aussi ceux qui choisissent les coutumes pour des raisons pratiques : par exemple, certains veulent pouvoir épouser plusieurs femmes, ce que la religion catholique ne permet pas. C’est un choix. Donc oui, beaucoup de jeunes aujourd’hui retournent vers les coutumes, pour différentes raisons. En tout cas, il faut vraiment que l’on prenne le temps de discuter de ça, de bien comprendre ce que chacun choisit, sans juger. »
Aminata Ouédraogo
« Je ne pense pas que les coutumes et les traditions soient respectées, surtout avec cette nouvelle génération. Les personnes du 3ᵉ âge qui étaient censées nous l’enseigner ont malheureusement démissionné. Donc, il est difficile d’accuser les jeunes. Je pense même que si les coutumes et traditions étaient toujours bien respectées, nous aurions pu éviter beaucoup de situations de la société. »
Propos recueillis par Farida Thiombiano
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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