En marge du mois du patrimoine burkinabè, Le laboratoire de recherche sur le patrimoine et le développement durable (LR-PDD) de l’Institut des sciences des sociétés (INSS) a organisé ce vendredi 23 mai 2025, un séminaire scientifique sur le thème : « Savoirs endogènes et patrimoniaux ». Dr Mohamadou Lamine Sanogo, Dr Yabile Florance Ouattara et Dr Abdoul Karim Bonkoungou ont été les trois communicateurs de ce séminaire scientifique.
Trois communications sur les savoirs endogènes et patrimoniaux, notamment sur le patrimoine linguistique du Sud-Ouest animée par Dr Mohamadou Lamine Sanogo, les fonctions sociales et croyances liées de l’igname dans le Centre-ouest présentée par Dr Yabile Florance Ouattara et la place des pagnes tissés dans le mariage et le deuil développée par Dr Abdoul Karim Bonkoungou, ont été décryptées au cours de ce séminaire scientifique.
Patrimoine linguistique du Sud-Ouest
La première communication animée par le Dr Mohamadou Lamine Sanogo de l’INSS, a porté sur « Entre unité et pluralité : redécouvrir le patrimoine linguistique du Sud-Ouest burkinabè ». Dr Sanogo a laissé entendre que, malgré la situation économique peu viable de la région du Sud-ouest, elle accueille tout de même des populations migrantes qui, avec leur dialecte et en plus des langues des autochtones, participent à configurer l’espace de communication de la région.
« Notre communication, c’était sur la situation des langues du Sud-ouest qui appartiennent au patrimoine du Burkina Faso. C’est une situation dynamique, en ce sens que, malgré la situation économique de la zone, qui n’est pas une zone industrielle et économiquement très viable, le Sud-ouest accueille quand même des migrants agricoles et contient des grands marchés qui ont été, de par l’histoire, sur la voie du commerce transsaharien, de sorte qu’aujourd’hui, c’est une zone qui, en plus des langues locales, accueille des langues des populations migrantes, qu’elles soient des migrants agricoles, des migrants de commerce ou des migrants de services. Aujourd’hui, on peut considérer qu’outre les langues autochtones, ces langues nouvelles qui sont arrivées dans la zone participent à configurer l’espace de communication », a-t-il souligné.
« Sauf que chaque langue a ses fonctions propres. Si vous prenez les langues locales, ce sont les langues qui sont pour les traditions, la communication familiale, l’expression culturelle de la zone. Maintenant, quand ces gens veulent parler en dehors de leurs groupes ethniques, ils utilisent le plus souvent le dioula. Et quand ils s’adressent à l’administration, c’est le français. Et, comme vous le savez, depuis novembre 2023, le français n’a plus le statut de langue officielle, mais c’est devenu la langue de travail, avec l’anglais. C’est cette dynamique qu’on voulait exposer aujourd’hui », a ajouté Dr Sanogo.
Néanmoins, il y a quand même des défis à relever, à en croire Dr Sanogo. « Les défis à relever, c’est d’assurer la transmission de ces langues au niveau des jeunes, c’est-à-dire des langues locales surtout, au niveau des jeunes générations. Et faire en sorte que ces langues ne soient pas perdues avec l’urbanisation, avec la modernité, mais que ces langues puissent être prises en compte dans le cas des problèmes de numérisation, de création de contenus, pour que toute l’expression culturelle qu’elles portent puisse être vraiment diffusée et être au service du développement de notre pays », a-t-il égrené.
Selon Dr Mohamadou Lamine Sanogo, cette pluralité des langues locales dans le Sud-ouest ne constitue pas en soi un problème. « La pluralité des langues locales en elle-même n’est pas une source de conflits. C’est comment on utilise cette pluralité qui peut créer un problème. Sinon, en réalité, je ne connais pas un seul pays au monde qui n’a qu’une seule langue, ça n’existe pas, chacun gère son multilinguisme avec son histoire, sa vision et surtout, avec son idéal de développement », a-t-il défendu.
Fonctions sociales et croyances liées à l’igname dans le Centre-Ouest
La deuxième communication a été développée par Dr Yabile Florence Ouattara, socio-anthropologue du développement à l’INSS. Elle a eu pour thème « Fonctions sociales et croyances liées à l’igname au sein des groupes socio-culturels du Centre-ouest du Burkina Faso ». Dr Yabile Florence Ouattara a révélé que l’igname, étant une culture endogène, présente trois fonctions. Il s’agit de la fonction économique, de la fonction sociale et de la fonction sécurité alimentaire.
« Nous avons pu identifier, dans le cadre de nos travaux, trois grandes fonctions. La fonction économique, qui montre qu’on peut vivre avec la culture de l’igname. Et cette culture de l’igname, son cycle est tel que ça peut s’adapter aux conditions du producteur qui a le choix entre un cycle court ou un cycle long. Et du coup, il pourra gérer ses dépenses en fonction du cycle de production de l’igname, puisqu’il y a des ignames précoces et des ignames tardives. Et chaque igname, les périodes de récolte coïncident le plus souvent à des périodes de soudure ou de difficultés. C’est une fonction majeure sur laquelle on peut vraiment travailler. Ensuite, il y a la fonction sociale qui permet de restructurer la cohésion sociale dans le milieu. Parce qu’à travers les fonctions sociales de l’igname, on se rend compte que c’est vrai que c’est un aliment, mais c’est un médium de communication, c’est un médium de contrôle de la société par les détenteurs de ces cultures. Et sur la fonction de la sécurité alimentaire, c’est vraiment une culture dont la conservation peut vraiment aider. Et ce serait important, car, si la productivité est améliorée, ça va beaucoup contribuer à la sécurité alimentaire, améliorer la disponibilité alimentaire dans le pays. Et il faut savoir qu’il faut une diversification des aliments. Avec la valeur nutritive de ce tubercule, ça aura vraiment un impact positif sur le plan de la sécurité alimentaire dans notre pays », a-t-elle détaillé.
Dr Ouattara a souligné que les cultures endogènes comme l’igname ont vraiment un potentiel pour le développement du pays. Et pour ce faire, il faut des connaissances réelles sur le plan socio-économique, toute chose qui permettra de mieux orienter les résultats de recherche.
« Notre communication visait à montrer que l’igname étant une culture endogène, il y a de l’intérêt pour notre pays de le développer. Et ce développement ne peut se faire que si nous avons les connaissances réelles sur le plan socio-économique, qui nous permettront de mieux orienter les résultats de recherche afin de promouvoir davantage ces cultures endogènes telles que l’igname. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de crise sécuritaire, de crise alimentaire. Et ce sont des cultures qui contribuent énormément dans plusieurs domaines, notamment sur le plan sanitaire, alimentaire et même sur le plan économique. Donc, ce sont des cultures qui ont vraiment un potentiel pour le développement du pays. Et au regard des différentes fonctions, on se rend compte qu’on peut actionner certaines fonctions qui vont contribuer énormément au développement socio-économique du pays. Et il est de bon ton que les différents chercheurs se mettent ensemble et qu’ils travaillent de façon collaborative pour pouvoir avoir des résultats qui répondent réellement aux attentes du pays », a-t-elle soutenu.
Place des pagnes tissés Faso Danfani et du Koko Donda dans le mariage et le deuil au Burkina Faso
Dr Abdoul Karim Bonkoungou, du laboratoire littérature, art, espaces et sociétés de l’université Joseph Ki-Zerbo, professeur agrégé de l’enseignement secondaire, troisième communicateur de ce séminaire scientifique, s’est attardé sur la « Place des pagnes tissés Faso Danfani et du Koko Donda dans le mariage et le deuil au Burkina Faso ».
Dans son argumentaire, il a affirmé que les pagnes tissés ont une grande place dans le mariage et le deuil. Ces pagnes permettent de rehausser l’éclat de ces cérémonies, véhiculent des messages et ont des rôles bien précis, tels que la dignité, l’honneur, etc. Pour lui, ce sont des pratiques qui sont toujours d’actualité, même si elles tendent à disparaître et sont peu connues de beaucoup de Burkinabè, surtout les fonctions qui sont attribuées au pagne dans les différentes sociétés.
Par rapport au mariage, Dr Bonkoungou a indiqué que chaque groupe ethnique au Burkina Faso a un attachement au pagne. « Le pagne intervient dans les cérémonies de mariage, dans presque tous les groupes ethniques burkinabè. Seulement, nous allons avoir des variances au niveau de la dot. Peut-être qu’au niveau de la dot, il peut y avoir des variations sur la texture du pagne qui est demandée ou les couleurs précises qui sont demandées, ou même la quantité de pagnes qu’il faut dans la cérémonie de mariage », a-t-il confié.
Hormis cela, le pagne, c’est pour se vêtir, et selon Dr Abdoul Karim Bonkoungou, tant que les gens vont toujours se vêtir, le pagne aura un rôle à jouer dans les mariages. « On sait que les mariages, c’est le prestige, qui ne veut pas bien s’habiller pour son mariage. On veut que l’on se souvienne de son mariage. Quand c’est comme ça, ça veut dire qu’on met l’accent sur l’habillement. Et c’est pourquoi, vous allez voir que dans beaucoup de groupes ethniques, le fait qu’on associe les pagnes dans la dot, c’est pour permettre à ce que la femme puisse au moins garder son honneur, sa dignité. Parce qu’on ne veut pas laisser sa fille partir dans une autre famille, tout en sachant que dans cette famille, elle n’aura pas de quoi se vêtir. C’est pourquoi on exige de la famille qui demande de toujours apporter le pagne comme élément constitutif de la dot. Donc, le pagne va toujours exister dans la dot, dans les mariages », a-t-il ajouté.

Par rapport au deuil, Dr Bonkoungou soutient que le pagne y a toujours sa place et constitue même un signe d’identification du porteur de deuil dans certains groupes ethniques. Selon lui, dans certaines sociétés, beaucoup de personnes préfèrent plus les pagnes tissés comme linceuls, en lieu et place des tissus en popeline ou en gabardine.
« Même si avec la modernité et la vie chère qui est un peu là, les pagnes, surtout tissés, vont toujours demeurer quand même, parce qu’on a toujours besoin de pagnes dans les obsèques, que ce soit pour le linceul du défunt ou pour d’autres pratiques culturelles. Le pagne même permet d’identifier le porteur du deuil dans beaucoup de groupes ethniques, que ce soit chez les Mossés ou les Gourmantchés. Lorsque vous arrivez dans une cour et que vous voyez l’aîné des enfants, à travers le motif de pagne qu’il porte et la manière dont il a porté le pagne, on peut savoir que c’est lui qui est le porteur du deuil, qui est le fils aîné du défunt, sans même qu’on demande à quelqu’un. Ça veut dire que le pagne intervient comme un signe d’identification du porteur du deuil. Et ça permet aussi d’accompagner le défunt, parce que dans beaucoup de sociétés, pour accompagner le défunt, la dépouille, il faut toujours couvrir les corps. On n’amène pas les corps à la tombe nus. Donc, en ce moment, la texture du linceul compte. Donc, beaucoup préfèrent les pagnes tissés comme linceuls, en lieu et place des tissus en popeline ou gabardine que nous avons sur les marchés, qu’on peut retrouver à moindre coût. Alors que les pagnes tissés, les linceuls qui sont faits traditionnellement coûtent cher. C’est pourquoi beaucoup de personnes économisent, épargnent même de leur vivant pour pouvoir se procurer ces linceuls avant même de mourir. Ces intéressés ne veulent pas que leur corps soit enveloppé dans n’importe quel tissu. C’est pour dire que le linceul en Faso Danfani est très important dans la conception de beaucoup de Burkinabè », a-t-il développé.
Permettre également à la jeune génération de mieux comprendre les savoirs endogènes
Pour Marie-Thérèse Somé/Arcens, maître de recherche en sociologie urbaine, responsable du LR-PDD à l’INSS/CNRST, ce séminaire scientifique constitue une tribune pour mieux comprendre les savoirs endogènes. Il s’agit aussi de vulgariser les travaux des chercheurs sur le patrimoine burkinabè et même de l’Afrique de l’Ouest. Selon elle, c’est l’occasion de produire également des articles au profit des étudiants et jeunes afin qu’ils puissent apprendre, connaitre et renforcer leurs connaissances sur le patrimoine et les savoirs ancestraux.

« On voulait montrer notre détermination à mieux comprendre les savoirs et valeurs endogènes, tout ce qui est patrimoine, et rester dans le mois du patrimoine et des traditions que le gouvernement actuel a institué. Ça nous permet aussi de montrer les travaux de nos chercheurs sur le patrimoine burkinabè et même de l’Afrique de l’Ouest. Cela nous permet de faire des articles, des outils de connaissance pour nos propres étudiants, afin qu’ils puissent apprendre, connaitre et renforcer leurs connaissances sur le patrimoine et sur les savoirs ancestraux », a-t-elle indiqué.
Marie-Thérèse Somé/Arcens dit avoir suivi avec beaucoup d’intérêt, le développement de ces trois communications. « J’ai beaucoup apprécié les trois communications. Il y en avait une sur les langues qui sont un pilier de nos savoirs, de notre identité culturelle. C’est très important. Le Dr Sanogo nous a présenté ces langues dans le Sud-ouest, comment ça se compose, comment ça interagit, etc. Ensuite, on a eu une communication sur le rôle de l’igname, un rôle culturel, un rôle dans nos cultes ancestraux, un rôle alimentaire et comment tout cela aussi s’imbrique. On ne savait pas tout ce qu’il fallait faire pour avoir de l’igname qui vient de nos ancêtres. Le troisième, c’est sur nos pagnes, comment on fait parler nos pagnes, comment on communique. Nous, dans notre savoir africain, la femme ne peut pas dire n’importe quoi, donc elle communique à travers ses pagnes. La société communique aussi, que ce soit politique, culturel ou social, à travers les pagnes que nous portons, les dessins que nous faisons. C’était bon à savoir, parce que, non seulement c’est un patrimoine culturel, mais moderne. Il s’est modernisé et, aujourd’hui, c’est devenu un patrimoine culturel qui n’est plus ancestral, mais qui est moderne. C’était très intéressant pour nous de comprendre », a-t-elle relevé.
Mamadou Zongo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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