Si le travail participe au bonheur de l’individu, il arrive parfois que se lever de son lit pour s’y rendre devienne un supplice. Le burn-out professionnel est un sujet tabou, mais bien réel. Derrière les objectifs à atteindre, de nombreux travailleurs s’effondrent en silence. Les chefs d’entreprise y sont également confrontés. Pour en savoir davantage sur la question, Lefaso.net s’est entretenu avec le psychologue Jean-Pierre Lankoandé. À travers ces lignes, il expose les causes du burn-out professionnel, ses conséquences ainsi que les solutions de prise en charge.

Lefaso.net : C’est quoi le burn-out professionnel ?

Jean-pierre Lankoandé : L’Organisation mondiale de la santé définit le burn-out comme un syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès. Il se caractérise par trois dimensions principales : épuisement émotionnel, dépersonnalisation et sentiment d’accomplissement personnel réduit. Les travaux de la psychologue américaine, Christina Maslach, ont permis de concevoir le syndrome d’épuisement professionnel comme un processus de dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions. La première est l’épuisement émotionnel, qui se traduit par le sentiment d’être vidé de ses ressources émotionnelles.

La deuxième, la dépersonnalisation, correspond à une forme de cynisme vis-à-vis du travail, à une déshumanisation de la relation à l’autre, à une vision négative des collègues et du milieu professionnel, ainsi qu’à une insensibilité au monde environnant. Enfin, la troisième dimension est la diminution de l’accomplissement personnel, marquée par le sentiment de ne pas parvenir à répondre correctement aux attentes de son entourage, par une dépréciation de ses résultats et par une baisse de l’efficacité professionnelle.

Comment savoir qu’on fait un burn-out ?

Les signes peuvent être observés sur quatre plans : physique, comportemental, cognitif et émotionnel. Sur le plan physique, on peut constater une fatigue généralisée, une tension musculaire, des maux de tête, des troubles digestifs, une fatigue chronique, des troubles du sommeil et une variation du poids. Au niveau de l’appareil gastro-intestinal, on observe des douleurs abdominales ou épigastriques, des éructations, des régurgitations, des nausées ou des vomissements. Au niveau de la peau, on peut constater une sensation de brûlure, des fourmillements, des engourdissements, une irritation.

Il y a même des symptômes au niveau de l’appareil gynécologique comme des règles douloureuses ou des dyspareunies. Sur le plan émotionnel, on assiste à une tension permanente, de l’irritabilité, de l’hypersensibilité, une humeur triste, une perte d’envie, une perte de vitalité, de l’hyperréactivité, une anxiété permanente, une absence d’émotion ou l’alexithymie (difficulté à identifier, comprendre et exprimer ses émotions), l’installation de l’ennui et du cynisme ainsi qu’un sentiment de vide intérieur. Sur le plan comportemental, on assiste à un retrait, une tendance à s’isoler, du détachement et de l’insensibilité.

Aussi, une perte de sens de l’accomplissement de soi, de réalisation et de confiance en soi, une mésestime de soi, une conduite addictive (alcoolisme, tabagisme, café). L’individu souffre de troubles alimentaires. On constate de l’absentéisme, des plaintes, de la colère, de l’agressivité, de l’agitation inutile, de la méfiance et une hostilité envers les autres. Sur le plan cognitif, on constate une diminution de la concentration, des doutes, de l’indécision, des oublis, un trouble de la mémoire, de l’inquiétude, du découragement, de l’irritabilité, de l’agacement et de l’énervement. En somme, les signes motivationnels du burn-out professionnel sont l’effondrement de la motivation, la dévalorisation, le manque d’initiative, la procrastination, l’indifférence, le désinvestissement au travail, les ruminations constantes et le sentiment de culpabilité de ne pas être à la hauteur.

Quelles sont les causes du burn-out professionnel ?

Les causes se situent à trois niveaux. Il y a la surcharge de travail à savoir le volume de tâches excessif, les délais irréalistes, les objectifs inatteignables qui créent une pression constante. Il y a l’incohérence entre les objectifs et les valeurs morales de l’employé, les frustrations émotionnelles, la culture du négatif, le harcèlement moral, la violence au travail. On peut citer également le manque d’autonomie, le contrôle excessif, le micro-management, l’absence de marge de manœuvre dans l’organisation du travail, la difficulté à dire non et le manque de confiance en soi. Il y a un autre aspect à prendre en compte : le déséquilibre vie-travail.

Les horaires excessifs, les sollicitations permanentes, l’impossibilité de se déconnecter du travail, la fusion entre vie personnelle et professionnelle, la solitude et l’absence de relations sont des facteurs à considérer. Les conflits entre salariés ou entre un salarié et sa hiérarchie, l’absence de coopération et de soutien social dans une équipe, le manque de respect les uns envers les autres et les personnalités difficiles (anxieuses, paranoïaques, obsessionnelles, histrioniques, narcissiques, évitantes ou agressives) sont d’autres aspects à prendre en compte.

« Le burn-out n’est pas une fatalité. Avec un accompagnement adapté et des mesures préventives, il est possible de retrouver un épanouissement professionnel durable », indique Jean-Pierre Lankoandé.

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Quelle est la périodicité du burn-out professionnel en moyenne ?

Il n’y a pas de durée fixe. Le burn-out s’installe progressivement ; parfois en quelques mois, parfois en plusieurs années. La récupération, elle, peut prendre de six mois à deux ans selon la gravité et l’accompagnement.

À quel moment faut-il s’inquiéter ?

Il faut s’inquiéter lorsque la fatigue devient chronique et que la motivation chute durablement. Le stress qui déborde sur la vie personnelle, accompagné de troubles du sommeil, d’irritabilité et de difficultés de concentration, doit également alerter. Quand le plaisir disparaît aussi bien dans le travail que dans la vie sociale, le burn-out n’est souvent plus très loin.

Les entreprises sont-elles responsables de cette situation ?

En partie oui. Une entreprise qui ne prend pas en compte le bien-être de ses employés crée un terrain favorable au burn-out professionnel. Des charges de travail excessives, un manque de reconnaissance, une mauvaise organisation et un climat toxique peuvent favoriser le burn-out. En ce sens, le rôle de prévention relève aussi de la responsabilité de l’entreprise.

Que doivent-elles faire pour lutter contre le burn-out ?

Pour lutter contre le burn-out, il faut une évaluation des risques psychosociaux, une formation des managers à la prévention et à la détection du burn-out, la mise en place d’espaces de parole et un aménagement des charges de travail. Elles doivent promouvoir une culture du bien-être, des pauses, un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Quelle est l’incidence du burn-out sur le développement de l’entreprise ?

Elle se traduit par une baisse de productivité et une augmentation du taux d’absentéisme au sein des équipes en souffrance. On observe également une hausse du turnover, c’est-à-dire le rythme auquel les employés quittent l’entreprise et sont remplacés par de nouveaux. Cette instabilité entraîne par ailleurs une augmentation des coûts liés au recrutement.

Quel rôle doit jouer le directeur des ressources humaines pour éviter que les employés souffrent de burn-out ?

Il est nécessaire de procéder à une sensibilisation et une formation. Il faut former les équipes managériales à reconnaître les signaux d’alerte et créer un environnement de travail bienveillant. Il faut mettre en place certains outils, développer des dispositifs d’écoute, des questionnaires anonymes et un accompagnement personnalisé. Il faut assurer un suivi et procéder à des ajustements en surveillant les indicateurs de bien-être afin d’adapter les conditions de travail en conséquence.

Les chefs d’entreprise sont-ils eux aussi exposés au burn-out ?

Les chefs d’entreprise sont particulièrement exposés au burn-out. Ils doivent faire face à une charge mentale constante et à une pression permanente liée à la réussite. Leurs horaires souvent extensibles et leurs difficultés à déléguer accentuent encore ce risque d’épuisement.

Pourquoi le sujet reste-t-il tabou ?

Le burn-out reste un sujet tabou parce qu’on a peur d’être jugé ou perçu comme faible. Malheureusement, il y a peu de place pour les émotions au travail. La crainte de perdre son emploi ou des opportunités fait que les employés restent silencieux. Il y a un véritable manque de sensibilisation au sein des entreprises. La pression de la performance fait que la santé mentale est reléguée au second plan.

Comment surmonter un burn-out ?

Il faut une prise en charge médicale. Il est important de consulter un médecin traitant, d’envisager un arrêt de travail si nécessaire, et de se faire accompagner par un psychologue spécialisé. Il faut également une réorganisation personnelle, établir des limites claires, apprendre à dire non, redéfinir ses priorités et retrouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Un réseau de soutien est aussi essentiel : s’entourer de proches bienveillants, rejoindre des groupes de parole et ne pas hésiter à demander de l’aide professionnelle.

Propos recueillis en ligne par Samirah Bationo

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Source: LeFaso.net